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Les aventuriers du Sentier oublié

  • BOUDU
  • 3 mai 2019
  • 5 min de lecture

Le petit sentier s’enfonce dans un sous-bois, serpente au milieu des arbres et traverse de petites clairières aux herbes hautes. La pluie, qui frappe les feuilles en un cliquetis continu, fait remonter du sol une odeur d’humus. Si ce n’était la silhouette de résidences modernes que l’on entre-aperçoit à travers les feuillages, on se croirait en pleine campagne un jour d’automne.

On se balade pourtant au beau milieu de Borderouge. Un quartier qui a vu les immeubles sortir de terre par dizaines et plus de 25 000 habitants affluer en une quinzaine d’années. Au sein de cet espace urbain, le Museum de Toulouse a préservé quelques hectares pour y installer ses Potagers du monde, et un espace plus sauvage. Un espace de 3 hectares où l’intervention de l’Homme est réduite à son strict minimum. Seul le petit Sentier oublié qui le traverse est entretenu, pour garantir le passage de quelques groupes qui ne peuvent entrer qu’accompagnés par un médiateur. Ailleurs, la nature reprend ses droits. Les herbes et les arbres poussent librement. Les branches qui tombent se désagrègent et nourrissent le sol et la faune.

« On laisse cet espace revenir à une dynamique naturelle. Mais on ne peut pas dire que ce soit un espace véritablement « naturel » », souligne Olivier Puertas, responsable des Jardins du Museum, qui nous guide ce matin-là sur le sentier. « C’est un mélange d’espèces endémiques qui se réinstallent parce qu’elles trouvent ici le milieu propice à leur développement, et d’espèces horticoles, plantées « à la grand-mère » par les anciens propriétaires qui ont suivi les modes de l’époque. » Sur les trois hectares préservés, les deux tiers poussent sur un ancien jardin de ferme. Alors on trouve au milieu des bosquets de petits chênes endémiques, des palmiers, bambous, pruniers, et autres arbres et arbustes d’ornement qui ont tous connu leur heure de gloire à la Une des revues de jardinage.

Il y a chez beaucoup d’urbains une peur de l’espace naturel parce qu’ils ne sont plus habitués à un espace qui n’est pas maîtrisé par l’Homme.

Le troisième hectare est lui installé sur une ancienne gravière creusée dans les années 1930 pour aménager les voies ferrées toutes proches, et désormais remplie par un étang peuplé de roseaux. Cette roselière, par sa taille et la diversité de faune qu’elle abrite, est unique dans la région. Au milieu des plumeaux des roseaux, beiges en cette saison, évoluent des hérons cendrés, des martins-pêcheurs, et une multitude d’insectes et de batraciens. Et même une espèce de crapaud rare qu’on ne trouve qu’ici dans la région. échaudés par les rafales et les températures fraîches pour un mois d’avril, les oiseaux se font discrets. Mais sur les trois hectares que traverse le sentier, on dénombre plus d’une centaine d’espèces de volatiles.

Alors, oui, le mélange de sous-bois, de roselière, de plaines, et de plantes endémiques et horticoles crée ici un milieu inédit dans la nature. Mais pour le directeur des lieux, « le fait que ce soit ou non un milieu naturel que l’on peut retrouver à l’« état sauvage » n’est pas vraiment la question ».

Réconcilier les citoyens avec la nature

Parce que l’objectif de cet espace laissé en friche en cœur de ville n’est pas seulement de préserver un îlot de biodiversité, mais aussi de rééduquer l’œil des visiteurs, habitués à des espaces verts tirés au cordeau. Et de permettre l’aménagement d’autres projets dans le même esprit en ville. « Plus de 90 % de nos visiteurs sont des citadins. Et quand ils viennent ici, ils sont déstabilisés. Beaucoup d’entre eux voient la nature comme un espace de pelouse entretenue, rase, propre, où tout est aligné, bien rangé. Les gens veulent du propre et c’est bien là le point de blocage », observe Olivier Puertas. « Il y a chez beaucoup de citadins une peur de l’espace naturel parce qu’ils ne sont plus habitués à un espace qui n’est pas maîtrisé par l’Homme. »

Au contact des herbes hautes, certains s’étonnent de voir un espace municipal « aussi mal entretenu ». D’autres s’interrogent sur l’utilité de conserver une roselière sur un espace qui pourrait plutôt être recouvert d’un grand parking « alors qu’ils vivent à des dizaines de kilomètres de là et que ce parking ne leur servirait à rien ». Chez les riverains aussi, on craint les rats, les serpents, les araignées, les moustiques que le lieu pourrait attirer, « alors que les populations de moustiques sont régulées par les prédateurs, et qu’il n’y a pas plus de rats ici que quand vous allez manger une glace place Wilson à 22h… ». Certains vont même jusqu’à déposer des plaintes en mairie contre le coassement des grenouilles à la saison des amours. « Comme les grenouilles n’ont pas d’utilité immédiate sur la vie des gens, la nuisance devient inacceptable. Ce qui nous oblige à rentrer dans une logique dans laquelle on ne veut pas rentrer qui est celle de démontrer l’utilité de cet équilibre naturel. Or, la nature n’a pas à être utile », déplore Olivier Puertas, qui voit aussi certains citadins « oublier qu’une plante, c’est du vivant, et pas du mobilier urbain… ».

Un constat plutôt étonnant à l’heure où tout le monde – et de plus en plus de citadins – semble obsédé par la protection de l’environnement. « La biodiversité est devenue un mot très à la mode, et beaucoup de gens trouvent très bien ce qu’on fait ici. Mais ils préfèrent quand même que ce ne soit pas près de chez eux », constate Olivier Puertas.

Alors avec son équipe, ils se sont donné pour mission de changer le regard des citadins sur la nature. De leur montrer que le vivant est imprévisible, spontané, et compatible avec la vie citadine même quand il n’est pas complètement maîtrisé. « On voudrait qu’ils ressentent des émotions en prenant le temps d’écouter, de regarder, de sentir. Qu’ils repartent d’ici avec une image positive de la nature qui n’est pas linéaire, propre. »


Un exemple pour de futurs projets

Et mine de rien, à l’heure où la Ville s’engage dans une démarche pour supprimer toute utilisation de produits phytosanitaires dans ses espaces verts, le sujet a son importance. « Ça va être long, mais il va falloir changer notre façon d’aborder la notion d’entretien, accepter, par exemple, que certaines plantes puissent pousser sur les trottoirs. Nos visiteurs, citadins pour la plupart, sont influents auprès des pouvoirs publics. Si on les réhabitue à voir une nature moins maîtrisée, tout en les rassurant sur la possibilité de faire cohabiter espace naturel et habitat, ça facilitera les choses », assure Olivier Puertas, en ouvrant le passage à travers un rideau de cannes de Provence, hautes et effilées.

Il n’y a pas plus de rats ici que quand vous allez manger une glace place Wilson à 22h…

Le responsable des Jardins du Museum espère aussi faire de ce milieu, revenu à une dynamique plus naturelle et havre de biodiversité en ville, un exemple pour d’autres espaces urbains. Mais pas question pour autant de plaquer l’exemple du Sentier oublié pour transformer tous les espaces verts en friches laissées au bon vouloir de Dame nature. Une démarche qui serait de toute façon impossible dans des jardins historiques comme le Jardin des Plantes. Mais qui pourrait inspirer lors de la création de nouveaux espaces verts dans des quartiers récents. « Ici, la démarche fonctionne parce que les espaces sont bien délimités. Il n’y a pas de conflit d’usage. Et on ne peut pas faire de conservation de la biodiversité sans acceptation. » Alors pour que les espaces naturels de ce type soient acceptables auprès de la population, il est convaincu qu’il faut mêler usages des habitants – terrains de pétanques, espaces de jeux, de rencontre, de promenade – et espaces moins régulièrement entretenus, notamment en bordures. « C’est un équilibre très complexe à trouver, mais c’est faisable. »

Le petit sentier sort des sous-bois, et s’achève face aux Potagers du monde. Le chemin vers plus d’espaces en dynamique naturelle en ville, semble, lui, encore long. « Il faut apprendre à cohabiter, conclut Olivier Puertas. Si on oppose les Hommes à la nature, on a perdu. »  

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