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Les Experts : Carole Delga et Sébastien Vincini

Dernière mise à jour : 11 janv.

Bien avant d’occuper les fonctions électives qu’on leur connait, Carole Delga et Sébastien Vincini ont planché, dans leur carrière professionnelle, sur la question de l’eau. L’occasion de les questionner sur le sujet. 



Vous avez, par le passé, occupé des fonctions en lien direct avec la problématique de l’eau. Quel regard portez-vous sur l’évolution de la situation ?


C.D: J’ai effectivement durant près de sept ans occupé les fonctions de directrice d’un syndicat des eaux. La problématique de l’eau n’est pas nouvelle. Nous avons connu par le passé des épisodes de sécheresse exceptionnelle comme à l’été 1976 ou 1989-90, considérée à l’époque comme la plus importante de ces cinquante dernières années. Nous avons tous en tête, plus récemment, l’été caniculaire de 2003 et ses conséquences humaines dramatiques, avec des restrictions d’eau dans plus de cinquante départements. Depuis, chaque année nous réserve son lot de nouvelles alertes.


Les épisodes de sécheresse se multiplient et arrivent de plus en plus tôt. On parle désormais de sécheresse hivernale. Plusieurs départements d’Occitanie connaissent déjà des situations critiques. Tout cela entraîne une prise de conscience collective autour de la nécessité d’agir pour préserver la ressource. L’eau, bien de consommation courante du XXe siècle dans les pays riches, est devenu un bien précieux pour tous au XXIe siècle.


S.V.  : Ma formation d’ingénieur en hydrogéologie, puis mes premières années au BRGM dans les années 2000 et à la direction de l’environnement du Conseil régional de Midi-Pyrénées, m’ont fait très tôt prendre conscience de la fragilité de la ressource en eau et des menaces, à court et moyen termes, sur les différents usages, et plus largement sur l’environnement.


Dès 2011, l’étude prospective Garonne 2050 portée par l’Agence de l’eau et sur laquelle j’ai été amené à travailler, montrait une diminution des débits naturels de 20 à 40 %, voire 50 % en été à l’échéance 2050. Il y a plus de 10 ans déjà, on savait que le volume d’eau qui coule dans nos rivières en été allait diminuer et mettre sous pression les différents usages, baisse qui s’explique par une diminution des précipitations, la fonte précoce du manteau neigeux, et surtout par la hausse des températures. Cela fait donc plusieurs années que beaucoup d’entre nous tirent la sonnette d’alarme. Je pense notamment aux spécialistes du GIEC. Aujourd’hui, il nous faut comprendre que nous sommes face à un emballement climatique. Les répercussions du manque d’eau que l’on attendait pour 2050 sont là, maintenant.


Le gouvernement appelle en même temps à la réindustrialisation de la France et à la sobriété en matière de consommation d’eau. N’est-ce pas contradictoire ? 


C.D.  : La crise sanitaire du Covid a montré à quel point il était important pour le pays de reconquérir sa souveraineté industrielle. En Occitanie, nous avons déployé un arsenal financier important pour soutenir l’effort de réindustrialisation et de transformation écologique de nos entreprises. Cela nous permet par exemple d’être à la pointe du développement de la filière hydrogène. Mais cet effort de réindustrialisation n’exclut en rien la prise en compte des enjeux de préservation de l’eau ! Pour les rencontrer régulièrement, les industriels en ont conscience.


S.V.  : Ne tombons pas dans le piège d’opposer les usages et les usagers. L’eau est un bien commun, qui a également une valeur économique. Elle est indispensable, pour produire notre alimentation notamment. Cessons de montrer du doigt les agriculteurs qui sont la clé de notre souveraineté alimentaire. Par contre, il faut travailler en amont et anticiper la question en eau dont les industries vont avoir besoin. Il faut penser la réindustrialisation dans une vision plus large d’aménagement du territoire en adéquation avec les ressources naturelles et en lien avec les collectivités locales.


Sébastien Vincini, en déplacement à la station d'épuration d'Auras-sur-Vendinelle
Sébastien Vincini, en déplacement à la station d'épuration d'Auras-sur-Vendinelle. A. FERREIRA / CD31

Comment assurer un accès équitable à l’eau pour les industries, les paysans, les particuliers, dans une région où les ressources sont très disparates ? 

S.V.  : C’est le nerf de la guerre du projet de territoire Garon’Amont, piloté par le CD31 et qui regroupe les Départements de l’Ariège, des Hautes-Pyrénées, du Gers, la Région Occitanie, l’Agence de l’Eau Adour-Garonne et l’État. La concertation menée en 2019 a permis de mettre tout le monde autour de la table, agriculteurs, industriels, élus, citoyens et d’élaborer un plan d’actions avec de nombreuses mesures comme une meilleure mobilisation des réserves d’EDF ou encore la gestion moderne et optimisée du Canal de Saint-Martory. Nous venons également de lancer l’expérimentation de la recharge des nappes phréatiques de la Garonne qui permettra de stocker l’eau dans les nappes alluviales et d’en restituer potentiellement 25 % à la Garonne, quand elle en a le plus besoin, soit entre 5 et 20 millions de m3 d’eau. C’est dans la proximité et la concertation que nous pourrons bâtir les nécessaires compromis entre tous les usagers.

C.D.  : La Région construit un véritable service public régional de l’eau à travers le développement d’un grand réseau hydraulique dans les territoires. Elle s’appuie pour cela sur ses deux bras armés, spécialistes de la gestion de l’eau : les entreprises publiques BRL pour le côté est du territoire et la CACG pour le côté ouest. Notre objectif est de sécuriser l’approvisionnement en eau de tous les habitants sur le long terme. C’est de l’anticipation. Le projet Aqua Domitia (voir p.54) que nous avons porté en Occitanie est un exemple unique en Europe. En connectant les eaux du Rhône et les réseaux du Biterrois et du Narbonnais, il sécurise l’approvisionnement en eau d’1,5 millions de personnes. Avec ses 140 kilomètres de canalisations enterrées, Aqua Domitia a permis de diminuer les prélèvements dans les nappes phréatiques et dans les cours d’eau. Côté Ouest, d’importants investissements sont prévus avec le même objectif d’optimiser et de sécuriser la ressource.

La croissance démographique de Toulouse et de la région tout entière est très forte. Ne faut-il pas la freiner pour pallier le déficit de la ressource en eau ?


S.V.  : Le département de la Haute-Garonne est parmi les plus dynamiques de France et c’est une bonne nouvelle. Il nous appartient de créer les conditions pour que cette attractivité soit une aubaine, tout en préservant notre territoire et ses ressources naturelles.

Nous avons lancé le mois dernier une campagne de sensibilisation auprès du grand public pour faire prendre conscience à chacun de la raréfaction de la ressource et de la nécessité de la préserver dans ses gestes quotidiens. Cet hiver, suite à la crise de l’énergie, les Françaises et les Français ont réduit leur consommation d’électricité de 9% et de 15% de gaz, ceci sans avoir l’impression de subir d’énormes privations. Nous allons devoir nous adapter, réduire nos consommations, développer la réutilisation des eaux usées traitées et de l’eau de pluie.

C.D.  : L’Occitanie est la région la plus attractive et vient de dépasser les 6 millions d’habitants. Elle a la taille d’un pays. Chaque année, elle accueille 42 000 nouveaux arrivants. À cette réalité démographique s’ajoute une forte augmentation de population en période de pics touristiques, notamment en juillet et août. Cette croissance est une chance : elle contribue évidemment au développement économique de notre région. Mais cette croissance nous oblige : il faut l’accompagner en agissant collectivement pour révolutionner nos pratiques. La sécurisation de l’approvisionnement s’accompagne de la mise en place de bonnes pratiques pour les usagers du quotidien, les agriculteurs, les industriels. C’est crucial et nous sommes tous concernés.


Après la crise énergétique liée à l’Ukraine, pour laquelle on a demandé de gros efforts aux citoyens et aux PME, on inaugure la crise de l’eau avec de nouvelles injonctions pour eux : ne pas remplir les piscines, économiser l’eau au quotidien, etc. Mais ces gestes pèsent-ils vraiment dans la balance ? 

C.D.  : Il faut changer les modes de fonctionnement à tous les niveaux, dans l’industrie ou l’agriculture bien sûr, mais aussi dans les familles. Je comprends que personne n’a envie de s’imposer de nouvelles contraintes mais avons-nous réellement le choix ? Savez-vous qu’aujourd’hui un foyer français consomme deux fois plus d’eau que dans les années 50, avec en moyenne 146 litres par jour et par personne. Les écogestes permettent une réduction notable des consommations. Une chasse d’eau à double débit c’est en moyenne 7 litres économisés par chasse. Ce sont des petits gestes du quotidien mais des gestes utiles.


S.V.  : La préservation de la ressource est l’affaire de tous. Il faut changer les comportements, que ce soit pour l’énergie ou pour la ressource en eau. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le Conseil départemental a voté un plan de sobriété Eau avec l’objectif de réduire de 10% sa consommation en eau sur l’ensemble de ses bâtiments. Que ce soit pour l’entretien quotidien de nos bâtiments et de nos espaces verts, pour les chantiers de la collectivité ou encore pour la restauration collective dans nos collèges.


Des tensions apparaissent autour de l’eau depuis quelques années, entre paysans et riverains, résidents et estivants, associations et industriels. L’eau est-elle la nouvelle pomme de discorde ? 


S.V.  : Beaucoup de nos concitoyens pensent encore que l’eau est une ressource inépuisable. Les Haut-Garonnaises et les Haut-Garonnais vivaient au pied d’un château d’eau avec les Pyrénées, la prise de conscience est tardive. Mais soyons optimistes ! Il n’est jamais trop tard pour agir et nous avons su anticiper depuis 2016, avec des projets concrets et innovants. Si nous agissons collectivement, la guerre de l’eau n’aura pas lieu. C’est tout le sens du projet de territoire Garon’Amont.


La zone littorale, qui concentre la plupart des problèmes d’eau, est aussi celle dont les activités touristique et économique sont les plus fortes l’été, au moment où les ressources en eau sont critiques. Comment résoudre cette équation ? 


C.D.  : Le secteur touristique est essentiel pour notre économie, avec près de 100 000 emplois directement liés et 10% du PIB régional. Il importe donc de préserver ce secteur mais cela ne peut se faire au détriment de la préservation de la planète, de la biodiversité et des ressources naturelles. C’est pourquoi la Région s’engage pour de nouvelles formes de tourisme, de façons de voyager avec le train à 1€, une meilleure répartition saisonnière comme territoriale et accompagne les professionnels pour un impact moindre sur l’environnement.


Carole Delga, en visite près de la plage du Viaur à Laguépie (Tarn)

Carole Delga, en visite près de la plage du Viaur à Laguépie (Tarn)


Notre département / région est voisin(e) de l’Espagne, pays qui, même au nord, rencontre de grands problèmes d’approvisionnement en eau depuis des décennies. Votre institution s’inspire-t-elle de cette expérience et des solutions trouvées ?


S.V.  : Le Conseil départemental a développé avec son voisin transfrontalier plusieurs coopérations et la ressource en eau fait évidemment partie de nos échanges, notamment sur la mobilisation possible des réserves présentes sur le versant espagnol des Pyrénées. La Garonne ne s’arrête pas aux frontières. J’ai l’intime conviction que c’est ce que nous faisons en Haute-Garonne qui inspirera les autres territoires dans les prochaines années.


C.D.  : Nous travaillons main dans la main avec la Catalogne sur ces sujets pour partager les bonnes pratiques et trouver des engagements communs. Mais il faut aller plus loin en développant l’économie circulaire de l’eau. Une eau prélevée peut être utilisée plusieurs fois. Pouvons-nous encore longtemps utiliser de l’eau potable dans nos toilettes ? Non. Les eaux usées traitées peuvent trouver de nombreux emplois dans l’agriculture ou l’entretien des espaces verts. Je vais faire de l’Occitanie la première Région en matière de réutilisation de l’eau dans notre pays.

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