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Les tribulations d’un Toulousain chez Chavez

Pour qui aurait perdu de vue Yannick Lacoste au cours de la dernière décennie, il n’y a pas lieu de tomber de sa chaise en apprenant son départ pour le Venezuela de Chavez. Car comme Obélix, il est tombé dans la marmite dès son plus jeune âge. Fils de parents encartés au PC, il saute, gamin, sur les genoux de Jean-Baptiste Doumeng, « le milliardaire rouge », chez qui sa mère fait le ménage. Même s’il ne milite pas au sein des MJC (mouvement des jeunesses communistes), il s’intéresse très tôt à la politique, en particulier aux questions internationales, notamment lors de la guerre en Irak. De la parole aux actes, il franchit un palier, en 1989, en attrapant un mégaphone pour protester contre la réforme Jospin. « J’ai commencé à me rendre compte du pouvoir de l’oralité. Tout d’un coup, j’ai vu le regard des gens changer. Moi qui étais timide, avec de gros problèmes d’acné, cela a changé pas mal de choses… en particulier avec les filles ! »

Chavez Toulouse Vénézuela

Yannick Lacoste (au centre) lors d’une manifestation publique


La débâcle de la gauche aux législatives en 1993 le convainc de plonger dans le grand bain et de prendre sa carte au PS pour participer à la recomposition du parti. Mais alors qu’il gravit les échelons au sein des MJS, il se voit barrer la route, de manière « assez sale », de la présidence du mouvement en Haute-Garonne. Écœuré par un parti gangréné par des manipulations d’arrière-boutique et par le renoncement de Jospin, à son arrivée à Matignon, de régulariser les sans-papiers, il claque la porte pour retrouver ceux qu’il croise alors régulièrement dans les luttes qui lui tiennent à cœur, à savoir ses « camarades de la Ligue communiste révolutionnaire ».

À la Ligue, il se spécialise sur les questions internationales, ce qui le conduit tout naturellement à observer avec bienveillance l’arrivée d’Hugo Chavez au pouvoir au Venezuela. Même si le fait qu’il soit militaire, lui qui a été objecteur de conscience, l’incite « à la plus grande prudence ». N’empêche l’envie d’en savoir plus sur ce qui se passe dans ce pays situé dans la partie la plus septentrionale de l’Amérique du Sud est trop forte, et qu’en 2004, il profite du fait d’avoir « beaucoup de vacances lorsque l’on est prof » (à l’INP) pour se rendre sur place pendant un mois et demi.

Sinon qu’à Caracas c’est tout sauf des vacances qui l’attendent. Hébergé à La Vega, dans l’un des quartiers les plus dangereux de la capitale vénézuélienne, par un « militant anarchiste habitué à recevoir des brigadistes du monde entier », il se retrouve au milieu de Catalans, Grecs, Allemands, Coréens, tous fascinés par ce Chavez qui tient la dragée haute à l’Oncle Sam. Marqué au fer (rouge) par cette première expérience, il n’aspire, à son retour à Toulouse, qu’à repartir. « J’ai ressenti, dans ce pays, que tout était possible, que l’on pouvait faire tomber des murs. » Tout le contraire de son quotidien français où « les gens sont tristes, où la colère s’exprime, mais sans enthousiasme. Alors que là-bas, ils ont la hargne, ce que l’on appelle l’arrechera, mais en plus ils sont joyeux, plein d’espoirs. Le mouvement était festif ».

Yannick, on va faire tomber le capitalisme !

Politiquement, le projet porté par Chavez a tout pour lui plaire : outre les missions dans l’éducation et la santé rendues possible grâce à l’argent du pétrole, il est frappé par la dimension humaniste du leader vénézuélien qui « donne une identité à plein de gens qui n’existaient pas auparavant, tout en leur donnant une conscience de classe ». En résumé, il lui semble que tout ce que Cuba n’a pas réussi à mettre en place, « ici, ça peut marcher ».

Il en est tellement convaincu que les voyages se suivent et s’intensifient. En 2006, mandaté par la 4e internationale, il sert de guide à Olivier Besancenot pour son premier voyage au Venezuela à l’occasion du forum social mondial, délocalisé pour l’occasion de Porto Alegre à Caracas. Inexorablement, ses contacts le rapprochent de plus en plus du pouvoir. Et en janvier 2008, lorsque le téléphone sonne, c’est pour une participation au centre international Miranda, un « laboratoire d’idées composé exclusivement de chercheurs internationaux » créé par Chavez, et dépendant directement de lui. Même si le côté bonapartiste du Líder Máximo de l’Amérique latine le gêne aux entournures, difficile de résister à une telle proposition. 

Une fois sur place, le professeur toulousain, à qui l’on demande des rapports d’informations sur ce qui se passe en France et en Europe dans le cadre de la « guerre médiatique », découvre l’envers du décor. à commencer par l’amateurisme, omniprésent dans tous les services de l’État. Le mot planification a beau exister, son application, elle, demeure très floue. « Je m’aperçois que ce que l’on me demande, c’est toujours dans l’urgence, et qu’il n’y a pas de suivi. Comme lorsque je suis chargé de négocier les droits et de traduire le bouquin écrit par Besancenot sur le Che. Qui ne sortira jamais. Idem pour un ouvrage demandé par le président lui-même sur l’évolution des luttes étudiantes des années 80-90 à aujourd’hui au Venezuela. Pourquoi ? Parce qu’entre-temps, on est passé à autre chose. »

Et de raconter, dans un autre registre, les blagues échangées avec ses confrères chercheurs étrangers autour de l’absence de noms de domaines officiels pour les courriels : « On savait que la CIA nous surveillait. On se disait qu’elle devait penser qu’on les enfumait parce que s’échanger des informations sensibles sur des adresses gmail ou hotmail, cela ne paraissait pas sérieux. Mais c’était notre modus operandi ».

à l’indulgence que ses premières rencontres lui inspirent, comme lorsque le ministre de l’éducation lui annonce, un jour, « Yannick, on va faire tomber le capitalisme », succèdent progressivement la frustration puis la colère. Car à l’amateurisme du fonctionnement de l’État, s’ajoute la corruption qu’il découvre, présente et visible « à tous les niveaux ». Une véritable gangrène qui rend la mise en œuvre du rêve de Chavez impossible : « Une grande partie de l’argent provenant du pétrole a été investi dans les missions santé, éducation, mais pas dans les infrastructures. Quant au reste, il a été volé. Cela se chiffre en milliards de dollars. Il suffit de voir le nombre de membres proches du gouvernement qui ont de grandes demeures luxueuses en Floride ». Pas question toutefois d’exonérer le président vénézuélien de toute responsabilité : « Je n’ai pas la preuve qu’il était lui-même corrompu, mais j’ai en revanche l’intime conviction que la corruption était un mécanisme de pouvoir, une manière d’exercer le pouvoir. C’était pour lui un moyen de tenir les gens ».

Lassé de voir le rêve de grand soir tourner en eau de boudin, il reçoit le coup de grâce à l’issue d’un débat organisé par la Fondation Miranda sur le bilan du socialisme du xxie siècle : « Les débats avaient été vraiment intéressants durant toute la semaine. Sauf que durant deux heures, nous avions avancé qu’il était normal, sans remettre en cause le leadership naturel de Chavez, qu’il y ait, dans tout processus révolutionnaire démocratique, des prises de décisions collectives, et que l’on forme une relève, et donc de nouveaux leaders. Évidemment la presse d’opposition n’a retenu que ça… » Les réactions ne se font pas attendre : dans son émission Alo Presidente, qu’il anime tous les dimanches et dont il se sert de tribune pour défendre sa politique, « avec tous les ministres au garde à vous », Chavez s’en prend, en brandissant le journal, au travail de la fondation.  Le professeur de l’INP croit sa dernière heure arriver : « J’ai vraiment cru que la police d’État allait venir me chercher. Durant toute la semaine qui a suivi, nous avons subi une campagne de dénigrement extrêmement virulente orchestrée par le camp chaviste, avec Maduro en première ligne, dans laquelle on nous a traité d’incompétents mais aussi d’espions de la CIA et du Mossad. »

Chavez a beau, le dimanche suivant, intervenir pour calmer le jeu, dans la tête de Yannick Lacoste, à qui cette dérive autoritaire rappelle les tristes heures de l’URSS lorsque « l’on assassinait Trotski parce qu’il critiquait la bureaucratie », le ressort est cassé : « Quand tu vois que des copains syndicalistes se font taper dessus, que l’on te dit, que “tes critiques, servent nos ennemis”, tu te dis que ce pays ne peut pas s’en sortir ».

Quand ma fille est née, j’ai fait 11 pharmacies avant de trouver du paracétamol. Il était temps de partir. 

Comprenant que c’est fichu, et ce avant la mort de Chavez, il décide de jeter l’éponge et de démissionner. Il est cependant trop tôt pour regagner les bords de la Garonne : « J’avais envie de rester sur place pour voir comment cela allait évoluer ». Alors qu’il fonde Caracas coaching, qui deviendra la première école de coaching du pays, il assiste en tant que simple citoyen à l’effondrement d’un pays trop dépendant du prix du baril de pétrole. Et 10 ans après avoir traversé l’Atlantique pour vivre SA révolution bolivarienne, il décide de faire le chemin dans l’autre sens. « Quand ma fille est née, j’ai fait 11 pharmacies avant de trouver du paracétamol. Il était temps de partir. » Plein d’amertume et de déceptions : « Certains camarades ont du mal à dire que l’on s’est planté, parce que l’Amérique du Sud, c’est romantique. Mais moi je vis ce qui s’est passé là-bas comme une trahison. J’aurais rêvé pouvoir dire que c’était merveilleux. Mais ce n’est pas le cas ». S’il conserve aujourd’hui l’espoir de voir aboutir un compromis entre les deux camps, il est bien obligé de reconnaitre, à l’heure de faire le bilan du Chavisme, que c’est un beau gâchis : « Si l’Histoire retiendra qu’il aura su fédérer toute l’Amérique latine et faire naître un espoir, l’impact de son échec est retentissant comme en atteste l’arrivée au pouvoir de la droite dans la plupart des pays de la zone ».

Installé à Toulouse depuis quelques mois avec sa compagne vénézuélienne et leur petite fille, Yannick Lacoste, qui développe une activité de coaching depuis son retour, se reconstruit en se persuadant que ceux qui estiment que « le capitalisme est un horizon indépassable » n’ont pas gagné la partie. « C’est vrai que l’on pourrait en conclure qu’à chaque fois, cela se termine de la même façon. Mais il ne faut pas perdre de vue que ce sont des gens corrompus qui font que les idéaux que l’on défend sont salis. » 

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