Chaque jeudi après-midi, moment réservé aux activités extrascolaires, les salles de classes de l’IUT se transforment en laboratoires d’astrophysique. Mais ce 11 février n’est pas un jeudi comme les autres. Dans une semaine, les étudiants franchissent une étape clé pour le projet TETR’ISS, mené sous l’égide de Thomas Pesquet. Le Flight model, version finale de l’expérience, est livré au Centre national d’études spatiales. « Terminer dans les temps n’est pas une option » explique Mathis Gonzalez, étudiant en deuxième année et membre du pôle communication. Le projet doit passer entre les mains d’un professionnel pour une dernière révision le lendemain. Sur un coin de table, un étudiant verse des produits à l’œil sur un morceau de carton. Aucune hésitation dans ses gestes, alors qu’il mélange la colle qui maintiendra en place les vis. Pendant que d’autres s’attellent à l’assemblage, une jeune femme photographie en détails chaque étape. Une vis : une photo. Il y en a 70. C’est long et laborieux, mais nécessaire pour que le CNES puisse suivre à distance l’opération et s’assurer de sa bonne réalisation. Dans l’effervescence, l’équipe s’inquiète de ne pas avoir fini avant que la sécurité ne lui demande de quitter les lieux. Ce qui serait loin d’être une première pour les étudiants qui ne comptent plus leurs heures. Soirées et week-ends ont été consacrés à l’expérience : « On ne déconnecte jamais vraiment » souffle Vanina Le Gall Sany, étudiante en deuxième année et coresponsable du pôle électronique, dont le téléphone sature sous les notifications en lien avec le projet.
Dans l’expérience de Chladni, la poussière permet de visualiser les ondes sonores. Sans gravité, elle prendra une forme géométrique en trois dimensions.
Première mondiale Si la pression est si importante, c’est que Thomas Pesquet en personne effectuera dans la Station spatiale internationale les manipulations préparées par les étudiants. Sous l’œil des caméras, l’astronaute français réalisera pour la première fois en apesanteur l’expérience dite des figures de Chladni. L’engin finira ensuite « en étoile filante », image poétique utilisée par Philippe Garnier, maître de conférences en astrophysique et chef de projet de TETR’ISS, pour dire qu’il sera brûlé dans l’atmosphère. Les vidéos seront analysées par les étudiants, même si le résultat de l’expérience ne fait aucun doute. Comme le souligne Philippe Garnier, cette aventure ludique et pédagogique vise surtout à montrer « qu’on peut faire des trucs chouettes en sciences ». TETR’ISS est avant tout une expérience visuelle et grand public destinée à encourager les futurs ingénieurs et à intéresser le plus grand nombre à l’espace et aux sciences. Mathis Gonzalez a ainsi participé, avec l’appui de la Cité de l’espace, à l’élaboration des manipulations scientifiques en lien avec TETR’ISS à destination des lycéens. « On veut leur montrer qu’il est possible de concevoir, à 20 ans, une expérience pour la Station spatiale internationale. »
Cette opportunité incroyable, les étudiants l’ont décrochée en remportant le concours Génération ISS. Non contents de candidater avec une expérience, les étudiants en ont présenté quatre, imbriquées dans l’espace alloué à une seule. D’où le nom du projet. Quelques changements de calendrier plus tard, une seule d’entre elles partira finalement rejoindre Thomas Pesquet au mois de juillet. Celle qui a assuré son ticket pour l’ISS est l’expérience des figures de Chladni. Sur terre, elle consiste à représenter physiquement les ondes sonores au moyen de sable déposé sur une plaque mise en vibration. La plaque vibre sous l’effet des fréquences sonores et fait prendre au sable des motifs différents. Grâce à l’absence de gravité dans l’espace, ce phénomène pourra être observé pour la première fois en trois dimensions. Jusqu’à 120 personnes ont collaboré simultanément au projet, avec l’aide des professeurs de l’IUT, d’experts du Cnes et d’enseignants extérieurs. Mais l’objectif, rappelle Philippe Garnier, « c’est de laisser le plus de choses à faire aux étudiants ». S’il ne minimise pas son propre engagement, il tient surtout à saluer ses élèves : « Franchement, je suis épaté par ce qu’ils sont capables de faire ».
Avant que TETR’ISS n’embarque pour son voyage de 408 kilomètres jusqu’à l’ISS, il a fallu suivre un protocole qualité et sécurité très strict. L’expérience ne doit représenter de risque ni pour les astronautes, ni pour la station spatiale. Exit le verre, la céramique et les matériaux dangereux. Il faut aussi éviter les problèmes d’électromagnétisme et protéger l’astronaute des brûlures, tout en facilitant la tâche de l’opérateur : « On ne se rend pas compte du travail que ça représente, tout est infiniment plus complexe dans l’espace » s’enthousiasme Philippe Garnier. Dans ce monde hostile qui n’a rien à voir avec le plancher des vaches, le moindre mouvement est difficile, il faut donc tout anticiper. Y compris… la taille des doigts des astronautes. Pour prévenir les blessures, certains éléments doivent être adaptés aux morphologies les plus extrêmes possibles, basées sur les plus petites Japonaises et les plus grands Américains.