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  • BOUDU

Michel et Bénédicte Bachès, citrons givrés

La démarche peut paraître saugrenue voire obsessionnelle. Depuis près de 40 ans, Michel Bachès cultive des agrumes. Et seulement des agrumes. Son paternel, arboriculteur, faisait pousser des abricots, des pêches, des poires, des pommes. Mais Michel, lui, veut aller plus loin. « Je voulais comprendre comment faire pousser les plantes. » Pour ce faire, il entreprend, une fois son bac agricole décroché à Limoux, un tour de France des pépiniéristes, qui le conduit à Paris où se trouvent les plus renommés. Il y apprend le métier pendant 10 ans, avec dans l’intervalle une parenthèse orléanaise pour parfaire sa connaissance sur les rosiers, avant de prendre la direction de Carpentras, où il rejoint la pépinière Rey. C’est là qu’il découvre les agrumes. Puis il décide de revenir au pays où il s’installe, à quelques kilomètres de Prades, son village natal, dans la petite commune d’Eus. L’analyse de la situation de son père le convainc de ne pas suivre sa trace. « Je le voyais qui portait ses pêches à la coopérative en se demandant à quelle sauce il allait être mangé. Je ne voulais pas de cette vie-là. »

Après quelques années à prendre tous les mardis la direction du MIN de Toulouse pour vendre sa production, et tous les vendredis celle de Carpentras, en sus de quelques marchés locaux, Michel décide de dire adieu aux arbres fruitiers et de se lancer à corps perdu dans les agrumes, plus précisément dans les pépins. « Les Espagnols ne cassaient pas encore les prix à cette époque-là », précise-t-il.

Une décision à laquelle celle qui va devenir sa femme, Bénédicte, n’est pas étrangère. « Lorsque je l’ai rejoint, j’arrivais de Paris et je ne faisais pas la différence entre un figuier et un pissenlit », reconnait-elle. Qu’importe, elle sent le marché qu’elle juge mûr. « Une intuition », dit-elle, modestement. Mais un tel repositionnement ne s’opère pas du jour au lendemain. Petit à petit, les Bachès arrêtent le reste de leur production pour ne plus faire que des agrumes, le genre citrus, « une plante à parfum, aux fruits magnifiques l’hiver, qui donne à manger ».


Mais la transition est longue. « Il faut compter cinq ans avant de pouvoir vendre des agrumes », précise Michel. En parallèle, le couple commence à explorer la diversité. Une nouvelle vie : « On s’est mis à voyager, à découvrir les jardins d’Espagne, à ramener des graines du monde entier, à travailler avec l’Inra, on a adhéré à l’International Citrus Society ». Devenus de véritables explorateurs d’agrumes, ils entreprennent de constituer une collection.

Au bout de quelques années, les Bachès deviennent une référence en agrumes au point de sortir un livre, Agrumes – Comment les choisir et les cultiver facilement, en 2002. Un statut qui leur permet de vendre aux jardineries locales mais aussi de mener tout un travail pédagogique pour convaincre les gens qu’ils peuvent acheter des agrumes. « On a un peu démocratisé les agrumes, résume Bénédicte. Jusqu’alors, seuls les châteaux en faisaient. » Michel poursuit : « Il faut dire que jusqu’en 1962, les agrumes, c’est l’Afrique du Nord. Dans l’inconscient collectif, ils ne peuvent pousser que dans un pays chaud et sec. Alors qu’ils ont, en réalité, besoin de beaucoup d’eau ! ».


Convaincus de la nécessité d’évangéliser la population sur ce sujet, les Bachès sillonnent la France et les fêtes des plantes pour faire œuvre de pédagogie. À force de persévérance, la greffe prend : « On s’est aperçu que les gens osaient de plus en plus, que la diversité rentrait dans les jardineries, que des forums dédiés comme Agrumes Passion se créaient… ». Quelques chefs, comme Olivier Rollinger à Cancale ou Michel Guérard figurent même parmi leurs clients. Mais le déclic intervient le jour où de la bergamote made by Bachès échoue, via les Vergers Saint-Eustache et Alain Cohen, dans les mains d’Alain Ducasse. « Il est tombé à la renverse, se souvient Michel. Il n’en avait jamais goûté de pareille. » Sentant le filon, le couple grimpe dans sa voiture et file à Rungis montrer son savoir-faire : « Après Ducasse, ça a fait tâche d’huile. C’est à partir de ce moment-là que l’on s’est vraiment ouvert à la gastronomie. Aucun chef ne s’était jamais vraiment intéressé à la diversité dans les agrumes ».

Et en matière de diversité, les Bachès sont imbattables : sur deux hectares, ce sont pas moins de 1000 variétés différentes d’agrumes qui cohabitent dans ce qu’ils appellent leur « nurserie ». « On a donné naissance à de nouvelles variétés. Tout n’est pas bon. Mais dans le lot, il y a quelques trésors. Et puis, personne n’avait jamais entrepris de rassembler dans un même lieu toute cette diversité », précise Michel. Il n’empêche que la performance est remarquable et que les pâtissiers et les parfumeurs sont également séduits. Quant aux chefs, ils accourent du monde entier « sans que l’on n’ait démarché personne ». Au total, 24 triple étoilés s’approvisionnent auprès du couple Bachès. Avec pour chacun ses spécificités, comme avec Michel Sarran, le double étoilé toulousain, premier à travailler le yuko, une espèce de petit citron. « Les chefs venaient sur le domaine, ils faisaient la cuisine, on goûtait ensemble. On était vraiment dans la construction d’une relation personnelle. On ne vendait pas des palettes de fruits mais des fruits à certaines personnes pour qui c’était utile afin de développer leur cuisine. » Était parce que depuis juillet 2017, les Bachès ont revendu l’activité de ventes d’agrumes à Perrine et Étienne Schaller tout en gardant la pépinière, la collection d’agrumes, avec l’espoir, un jour, que leur travail suscite l’intérêt des pouvoirs publics : « On n’a jamais demandé de subventions. On aime vraiment les plantes. C’est une disposition d’esprit plus qu’un commerce. On a fait d’une passion un métier. Ce serait dommage que toute cette collection disparaisse avec nous… »

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