Jean-Luc Moudenc a de la chance : le Satiricon n’est plus là pour camper le maire sortant en « Super Menteur », comme le firent jadis les Guignols avec Jacques Chirac. Il n’empêche que les Toulousains ont de la mémoire. Lorsqu’on leur demande pour quelle(s) raison(s) le maire de la ville, bien que favori, pourrait ne pas être reconduit au Capitole, ils citent d’abord la forte augmentation des impôts locaux en début de mandat (lire notre sondage ici). Cette décision n’était pas seulement en contradiction avec la promesse du candidat de garantir la stabilité fiscale. Elle constitue une rupture avec la gestion des années Baudis, qui fit de la dette zéro et de la baisse des impôts l’une de ses marques de fabrique. Moudenc, qui ne manque jamais une occasion de se présenter en héritier du maire emblématique de la fin du XXe siècle, dramatise un choix présenté comme cornélien. « J’ai fait le choix du développement de Toulouse au mépris de mon confort politique », confie-t-il (lire notre entretien p. 38). Il a bien sûr des arguments à faire valoir. En gros, c’est de la faute aux socialistes toulousains qui ont vidé les caisses, et aux gouvernements socialistes qui pressuraient les comptes des collectivités locales.
Les gratuités en question
En dépit – ou à cause – de la présence à ses côtés de Pierre Trautmann, qui fut le véritable instigateur du dogme de la dette zéro, Jean-Luc Moudenc a commis une autre infidélité à la tradition baudisienne : il a osé remettre en cause la gratuité dans les transports accordés par Pierre Baudis aux seniors. On n’a certes pas vu des cohortes de retraités descendre dans la rue pour réclamer la démission du maire. Mais qui pourra dire quel impact cette mesure, présentée comme plus juste en tenant compte des revenus et non plus de l’âge, aura dans l’opinion ? Franck Biasotto, qui conteste l’héritage centriste de Jean-Luc Moudenc, s’est engouffré dans la brèche en promettant un retour à la gratuité pour les seniors au bord des minimas sociaux (entre 800 et 1 200 € par mois). à gauche, c’est la surenchère. Antoine Maurice (Archipel Citoyen) ajoute la gratuité aux étudiants les plus précaires. Nadia Pellefigue (PS) promet la gratuité le samedi.
La première ligne de la majorité municipale inaugure la ligne à haute qualité de service, Linéo 3, le 16 février 2019.
Tous se rejoignent pour réclamer la gratuité les jours de pollution. Jean-Michel Lattes tient bon. Le bras droit du maire, président de Tisséo, refuse, au nom de l’orthodoxie financière, cette mesure toute symbolique (la préfecture n’a jamais mis en branle le plan prévoyant des restrictions de circulation après trois jours de pollution atmosphérique). Mais la municipalité, assaillie par des revendications récurrentes de gratuités (dans les transports, mais aussi les cantines scolaires), commence à lâcher du lest. Tisséo a distribué 500 000 tickets gratuits pour faire oublier les déboires de la mise en service de la ligne A « au format XXL », plusieurs fois reportée à cause de pannes et de bugs reconnus du bout des lèvres par ses ingénieurs. Le candidat Moudenc a même inscrit la gratuité du stationnement pour les propriétaires de véhicules électriques à son programme, ainsi que pour les vélos dans les parkings Indigo.
La vieille dichotomie purement toulousaine entre les partisans du métro, réputé de droite, contre ceux d’un tramway « de gauche » ne tient heureusement plus la route. N’a-t-on pas vu Quentin Lamotte, candidat du Rassemblement National, reprendre l’idée de prolonger le tram jusqu’à la gare Matabiau ? Le jeune candidat du parti de Marine Le Pen a également surpris en réclamant plus de bio dans les cantines scolaires. Les cartes du jeu politique à l’ancienne sont définitivement rebattues, brouillant toute lecture convenue. De son coté, Jean-Luc Moudenc se félicite d’avoir convaincu la maire (PS) de Colomiers et ses homologues du Sicoval de se rallier à son projet de troisième ligne de métro. La tentative du maire sortant de rejouer le match de 2014 en faisant du scrutin municipal un référendum pour ou contre le métro, à la manière de Dominique Baudis en 1983, a toutefois du plomb dans l’aile. Ni le PS de Nadia Pellefigue, ni les écologistes d’Antoine Maurice n’ont souhaité suivre Pierre Cohen, dernier opposant à espérer un combat frontal contre ce projet emblématique pour des raisons similaires à celle du maire. Les critiques portent davantage sur le financement d’un chantier évalué à presque trois milliards d’euros, et son calendrier. Les doutes exprimés par les magistrats de la chambre régionale des comptes pèsent indubitablement plus lourds que les réserves marginales posées lors de l’enquête publique sur ce sujet (voir encadré en bas de page).
En tout état de cause, le projet de troisième ligne de métro ne saurait être l’alpha et l’oméga d’une ville rose plus verte, nouvelle préoccupation de citoyens autant préoccupés par les rejets de gaz à effet de serre pour l’état de la planète que par la qualité de l’air sous leurs fenêtres. Prudent, le maire sortant s’est bien gardé de dévoiler avant le scrutin le périmètre d’interdiction des véhicules les plus polluants. Après Paris et Grenoble, Toulouse doit pourtant à son tour se doter d’une zone à faible émission (ZFE) d’ici la fin de l’année. Mais Jean-Luc Moudenc, qui avait fait campagne en 2014 contre Pierre Cohen en accusant le maire socialiste de vouloir chasser les voitures de la ville, peut difficilement opérer un virage à 180°. Adepte de la politique des petits pas, il annonce sa volonté d’étendre progressivement la piétonisation du centre historique en multipliant les bornes d’accès, sur le modèle de la rue Pargaminières ou de la place Saint-Sernin. « On progresse, il n’y a plus que 9 000 habitants exposés à des seuils trop élevés de pollution », assure-t-il. Le maire sortant doit louvoyer entre une droite qui freine des quatre fers quand il s’agit d’interdire la voiture, et une gauche aiguillonnée par les écologistes qui lui préfère le vélo et les transports en commun. « Je ne suis pas adepte d’une écologie punitive », proclame Jean-Luc Moudenc, qui a troqué son véhicule de fonction pour une Zoé électrique. En campagne, il prend un malin plaisir à mettre Antoine Maurice et Pierre Cohen dans le même sac. La blagounette en meeting sur ses adversaires « pastèques, verts à l’extérieur, rouges à l’intérieur », a fait rire jaune les supporters d’Archipel Citoyen. « Il recycle les mauvaises plaisanteries de Le Pen », grince-t-on du côté des militants d’EELV et leurs alliés de La France Insoumise.
Le « maire des promoteurs » ?
L’urbanisme vient juste après les transports au rang des préoccupations des électeurs. Comment pourrait-il en être autrement, dans une ville et une agglomération qui pousse comme un champignon ? Lorsqu’il était dans l’opposition, Jean-Luc Moudenc avait créé la surprise en mettant en avant le concept de « densité modérée ». Une petite révolution, alors que l’élu qui siège depuis 1987 au conseil municipal, défendait mordicus la construction d’immeubles de plus grande hauteur pour lutter contre l’étalement pavillonnaire de l’agglomération. Sa cure d’opposition l’a incité à s’éloigner du raisonnement tenu par la plupart des architectes, urbanistes et promoteurs. Il a compris que ce discours ne passait pas sur le terrain. Revenu aux affaires, il persiste et signe. « Les quartiers évoluent malgré les habitants. Il faut savoir recueillir la parole des gens contre un certain élitisme des élus et des urbanistes. » Le maire affirme même comprendre le mécontentement des habitants, reconnaissant que sa promesse de « densité modérée » avait tardé à se concrétiser, comme à Saint-Simon (voir encadré en bas de page).
Printemps 2019. La misère est tout de même moins instagrammable que La Grave.
D’autres comités de quartier ont la dent plus dure. L’union des comités de quartier (UCQ) pointe ainsi du doigt l’opération « Dessine-moi Toulouse », dénoncée comme une façon de « céder ou faire exploiter par des opérateurs privés » des espaces publics appartenant à des communes, à Tisséo ou à VNF. L’épisode malheureux d’une élue échangeant des SMS avec un promoteur pendant un jury a renforcé la suspicion. La jeune femme a été poussée à la démission, même si le maire a tenu à lui renouveler sa confiance pour la forme. Aux Sept-Deniers, le comité de quartier qui bataillait déjà contre l’implantation de la future station de métro a fait suspendre devant le tribunal administratif la vente d’un parking au Stade Toulousain, qui s’est allié avec Unibail, spécialiste de l’urbanisme commercial, pour développer un ambitieux programme immobilier. Jean-Luc Moudenc, qui se plaît à souligner le consensus obtenu auprès des maires socialistes de la métropole pour répartir harmonieusement l’effort de construction des logements destinés à accueillir les nouveaux arrivants, doit faire face à de multiples frondes micro-locales. La plus emblématique se focalise autour de la future gare Matabiau et le projet d’un gratte-ciel à Marengo. Le maire défend mordicus ce totem, présenté en primeur dans un salon international à Cannes plutôt qu’à Toulouse. Ce building de 150 mètres de haut alimente depuis la controverse entre partisans et opposants. Au point qu’il est permis de se demander si le scrutin ne sera pas davantage un référendum pour ou contre la Tour Occitanie que sur la troisième ligne de métro, qui fait (presque) consensus.
Doublement attaqué sur la sécurité
Contrairement aux accents très sarkozystes de sa campagne de 2014, Jean-Luc Moudenc ne peut plus endosser l’uniforme sécuritaire face au laxisme supposé de la gauche en la matière. Le maire sortant a même eu la surprise de voir Nadia Pellefigue venir sur son terrain en tenant une conférence de presse dans un pressing du quartier des Sept Deniers. La candidate socialiste s’est appuyée sur le témoignage de cette commerçante, qui dit souffrir des trafics incessants des petits trafiquants de la cité Madrid voisine. Cette sortie inattendue dans le fief d’Olivier Arsac, son adjoint chargé de la sécurité, a pris le maire à contre-pied. Poussant son avantage, la tête de la liste PS-PCF-PRG s’est même permis le luxe de lui griller la politesse en proposant avant lui de développer une forme de police municipale « de proximité » dans les quartiers. Franck Biasotto applaudit. « Il faut des patrouilles à pied, ne pas se contenter de passer en voiture », dit l’ancien maire des quartiers du Mirail. Le candidat dissident soutenu par le MoDem n’avait pas hésité de son coté à confier la surveillance des cages d’escaliers de l’office HLM qu’il présidait à une société privée marseillaise qui recrute des anciens combattants de Tchétchénie. Sans surprise, le candidat du Rassemblement National attaque lui aussi le maire sur son bilan en la matière. Jean-Luc Moudenc se défend en accusant Quentin Lamotte de mélanger les chiffres de l’activité des services de police avec ceux de la délinquance. Il tente de faire de la pédagogie en distinguant les compétences de la police nationale et de la police municipale.
Et la culture ?
Nouvelle co-listière de Jean-Luc Moudenc, Nicole Yardeni a subi son baptême du feu dimanche 26 janvier au pavillon Mazar. L’ancienne présidente du Crif représentait le candidat Moudenc à un débat sur l’avenir de cette délicieuse halle cachée au fond d’une cour du centre-ville qui abrite depuis plus de 20 ans les expérimentations théâtrales du groupe Merci. Les comédiens, qui redoutent d’être expulsés par les propriétaires avant la fin de l’année, entendaient interpeller les candidats à l’élection municipale pour trouver une solution. « Vous êtes en conflit avec les propriétaires, ou avec la Ville ? », leur a demandé l’émissaire du maire, faussement innocente. Le débat, fort policé, s’est conclu par un quasi-consensus pour que la Ville, ou plutôt la Métropole, rachète le bâtiment avec le soutien financier du Département, de la Région et de l’état. Mais derrière les sourires de façade, la soirée fut l’occasion de critiquer le bilan culturel de la municipalité. La vente du centre culturel Croix-Baragnon ou du château de la Mounède restent en travers de la gorge de nombreux acteurs culturels. Les grands projets, comme l’auditorium pour l’orchestre du Capitole sur le site de l’ancienne prison Saint-Michel, ou la reconversion de l’hôpital La Grave, demeurent dans les cartons, faute d’accord financier. Le seul point positif versé à l’actif de Jean-Luc Moudenc concerne le Minotaure de François Delarozière. Pourtant régulièrement critiqué pour son coût, voisin de celui d’un grand opéra (entre 2 et 3 millions), le grand spectacle offert par la ville à près de 900 000 personnes à la Toussaint 2018 reste gravé dans les mémoires. A tel point que le maire envisage désormais de renouveler l’opération. Jean-Luc Moudenc, pourtant très réticent lorsqu’il était dans l’opposition, avait même eu l’élégance de reconnaître la paternité de Pierre Cohen dans cette réussite. Tout n’est pas perdu, même dans la défaite.
Trains du quotidien contre métro du futur
Les querelles d’experts pour fixer la date de mise en service du métro à l’horizon 2025 ne hanteront pas les esprits des électeurs au moment de glisser un bulletin dans l’urne au mois de mars. Mais Nadia Pellefigue, laissant Claude Raynal ferrailler avec Jean-Luc Moudenc à Toulouse Métropole, a beau jeu de souligner que ce futur métro ne répond pas dans l’immédiat aux embouteillages quotidiens. La vice-présidente du Conseil régional mise beaucoup sur son idée de parking-silos végétalisés le long du périphérique, avec bureaux et services intégrés, pour renouveler la vision des mobilités et du stationnement à l’échelle de l’agglomération. Résolument futuristes, ses « Portes de Toulouse » ont aussi l’avantage d’être une réponse au projet de gratte-ciel « arboré » à Marengo que le maire de Toulouse a sorti de son chapeau en cours de mandat. Faut-il vendre du rêve pour s’assurer la victoire ?
Plus prosaïque, la liste Archipel Citoyen préfère mettre en avant un réseau de trains métropolitains de type RER. L’association Rallumons l’étoile assure qu’il est possible de mettre en œuvre ces trains cadencés rapidement et à peu de frais, contre l’avis des ingénieurs de Tisséo et de la SNCF. Carole Delga, qui soutient Nadia Pellefigue et détient les clés du financement de ces « trains du quotidien », hésite encore à engager financièrement la Région dans ce dossier, au-delà d’un soutien de principe. Signe d’une fébrilité inhabituelle au Capitole, Jean-Luc Moudenc s’est laissé aller à dénoncer devant des journalistes « une idée fumeuse à trois milliard d’euros », avant de finalement réintégrer ces RER dans son programme…dès lors que les trains ne sont pas concurrents, mais complémentaires à son projet de métro.
Le maire de Toulouse sent bien que la gauche, divisée, tient là une occasion en or de se réconcilier sur son dos. Même Franck Biasotto, son concurrent au centre, et le Rassemblement National se sont ralliés à une idée qui fait consensus. Pour tuer dans l’œuf l’embryon de contestation qui couve à la Métropole, Jean-Luc Moudenc a décidé de faire campagne à L’Union contre Marc Péré, désigné comme chef de file des maires « archipellistes » et principal supporter des RER, en allant soutenir la liste conduite par Christine Gennaro-Saint, secrétaire départementale de LR.
4 juin 2019. 600 riverains courroucés de Saint-Simon descendent dans la rue pour dénoncer la bétonisation sauvage de leur quartier.
Saint-Simon du clash à la détente
Dans ce quartier de 5 km2 situé à la frontière sud-ouest de Toulouse, traditionnellement pavillonnaire, on a l’habitude d’accueillir des gens en quête de qualité de vie. Mais en 2014, tout change. Avec l’entrée en vigueur de la loi Alur, la constructibilité des terrains est multipliée par 5. Les promoteurs immobiliers ne tardent pas à en profiter : « Ils sont arrivés tout de suite en proposant des ponts d’or aux propriétaires de maisons individuelles, raconte Serge Escartin, à l’origine de la création du collectif citoyen de Saint-Simon. Une fois qu’une maison avait été vendue, ils ont fait pression sur les autres riverains pour qu’ils vendent à leur tour ». Depuis 2014, le quartier, qui présente la densité la plus faible de la ville, voit les maisons basses toulousaines progressivement remplacées par des collectifs. Une densification à marche forcée qui provoque l’ire des riverains. « Les voitures en stationnement se sont mises à inonder les voies principales du quartier. Déjà que l’on était dans un quartier où l’on avait du mal à se croiser, avec des trottoirs étroits, c’est devenu invivable », poursuit Thierry Barbero, président de Saint-Simon Environnement qui rappelle que la population est passée, entre 2009 et aujourd’hui de 7 250 à 14 000 habitants.
Depuis 2014, ce sont 2 300 logements qui ont été accordés à Saint-Simon. L’élection de Moudenc coïncidant avec l’entrée en vigueur de la loi Alur, il n’en fallait pas plus pour que la colère se cristallise autour de sa personne. D’autant que, pendant que les immeubles sortaient de terre, les habitants de Saint-Simon n’observaient aucune amélioration de la voirie, ni aucun transport public supplémentaire. La colère est telle au printemps 2019 qu’une manifestation réunit 600 personnes et qu’un Comité de Défense du quartier Saint-Simon voit le jour. Et des tracts particulièrement virulents à l’encontre du maire commencent à circuler dans lesquels on lit : « Nous sommes aujourd’hui face à un bétonnage intensif encouragé par un maire avide de nouvelles taxes foncières et orchestré par les promoteurs ». Conscient du risque électoral dans un quartier qui a massivement voté pour lui en 2014, Moudenc rencontre une délégation début juin. Et réussit à retourner la situation en sa faveur : « Il a commencé par nous dire qu’il était tout à fait d’accord avec nous, que ce qui se passait à Saint-Simon depuis quelques années ne lui plaisait pas du tout et que les choses s’amélioreraient avec l’entrée en vigueur du PLUi-H en 2019 », raconte Serge Escartin. Et effectivement, l’entrée en vigueur du nouveau plan, couplé au retour à la normale du coefficient d’occupation des sols, stoppe net les nouveaux projets. Depuis juin, c’est donc l’idylle entre les riverains et le maire de Toulouse qui s’est par ailleurs engagé sur de nombreux points comme la mise en place d’une commission consultative préalable aux dépôts de permis. A Saint-Simon, Tout est aplani. Ou presque. « Les mécontents qui restent sont ceux qui envisageaient de vendre leur maison à prix d’or aux promoteurs pour s’acheter une belle villa à Arcachon ! », s’amuse Serge Escartin.
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