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BOUDU

Municipales : Le jour (et l’heure) où tout bascule

Pierre Cohen raconte volontiers les souvenirs de sa campagne victorieuse de 2008. Il se souvient d’une place du Capitole en liesse, « enthousiaste ». « C’était un peu comme le 10 mai 1981, même si ça n’est pas comparable », raconte l’ancien candidat du PS. Pour les socialistes et la plupart des militants de gauche unis derrière celui qui était alors maire de Ramonville, une victoire dans la ville dite rose est un symbole qui rappelle inévitablement la victoire de François Mitterrand. Pour la tête de liste, c’était aussi comme un bol d’air après des heures « confiné » dans son local de campagne de la rue Metz. « Un moment exaltant », dit Pierre Cohen, qui se trouvait alors avec son assistante parlementaire qui deviendra sa directrice de cabinet quand le téléphone a sonné. Il se souvient avoir reçu assez vite des signaux encourageant depuis le Capitole, où deux hommes de confiance et militants chevronnés, François Briançon et Henri Matéos, étaient chargés de transmettre les premiers résultats partiels du dépouillement à son QG, installé dans une ancienne banque en face de l’hôtel d’Assézat. « C’est Trautmann lui-même qui les a averti qu’on avait gagné », rapporte Pierre Cohen. L’indispensable directeur général des services de Dominique Baudis et Philippe Douste-Blazy avait accès aux ordinateurs de la mairie où les chiffres commençaient à s’accumuler. François Briançon confirme : « On était dans la salle des Illustres, derrière un paravent, pour voir les résultats des 100 premiers bulletins de chaque bureau sur un écran ; ça donne généralement la tendance. Trautmann a dit : « ça bougera plus ». Pierre Cohen n’est toutefois pas assuré à 100 % d’avoir gagné quand il prend le chemin des studios de France 3, où il doit commenter les résultats. « Les écarts avaient commencé à se resserrer, mon équipe commençait à s’inquiéter mais ils ne m’ont pas prévenu, raconte-t-il. C’est en voyant la tête de Moudenc en face de moi que j’ai compris que le score ne serait plus remis en cause. »

Les souvenirs de Jean-Luc Moudenc de cette soirée sont moins heureux, mais tout aussi précis. Celui qui avait succédé à Philippe Douste-Blazy en cours de mandat a suivi le dépouillement depuis la préfecture, où convergent tous les résultats des bureaux de vote. Dominique Baudis était à ses côtés, ainsi que le préfet, Jean-François Carenco. « J’avais envisagé la défaite » affirme Jean-Luc Moudenc, qui a fusionné dans la douleur sa liste avec celle de Jean-Luc Forget, candidat du MoDem, quelques jours plus tôt. Il se souvient d’une campagne anormalement longue (13 mois) et « mal engagée dès le départ ». Il dit avoir assez vite eu « l’intuition » de la défaite en début de soirée. « J’ai alors eu la tentation de tout arrêter », confesse Jean-Luc Moudenc. C’est Dominique Baudis qui l’en aurait dissuadé en l’engageant à revoir le texte de la déclaration qu’il avait rédigé. 

Battu et abattu, il n’aurait toutefois eu besoin que d’une dizaine de jours pour se remettre à cheval. Il livre une anecdote supplémentaire inédite qui fonde son patient travail de reconquête. « J’ai eu un rendez-vous avec Nicolas Sarkozy à Paris. Je me souviens que c’était un jour de conseil municipal à Toulouse, le seul auquel je n’ai pas assisté. » Le président de la République veut alors savoir si Jean-Luc Moudenc a l’intention d’être à nouveau candidat en 2014. Après sa réponse affirmative, il va alors passer en revue tout le calendrier électoral avec Alain Marleix, l’expert des élections à l’UMP. « Il voulait que je sois candidat aux régionales, j’ai refusé », rapporte-t-il. La seule élection qui l’intéresse pour se remettre en selle, ce sont les législatives. « Sarkozy pensait que je serais élu dans la foulée de sa propre réélection, mais ça ne s’est pas passé comme ça ». En dépit de la défaite du président de la République face à François Hollande, l’ancien maire de Toulouse rentre à l’Assemblée Nationale. Unique député de l’UMP élu en Haute-Garonne, Jean-Luc Moudenc va alors s’imposer comme le chef de file incontournable de la droite et du centre.

Les souvenirs de la victoire de 2018 sont paradoxalement plus furtifs. « J’étais dans l’appartement d’un ami avec Sacha Briand pour attendre les résultats », raconte-t-il. Homme de chiffres, celui qui sera son adjoint aux finances lui assure rapidement que c’est gagné. Les premiers dépouillements sont favorables, les médias commencent déjà à annoncer son retour triomphal au Capitole, mais lui garde la tête froide. « J’ai mis 45 minutes avant d’accepter la victoire. Sacha a fini par me dire : tu ne peux pas être le dernier à dire que tu as gagné. »

Pour Pierre Cohen, le goût de la défaite est plus amer. « Le plus dur, c’est de voir la tristesse des gens autour de soi et puis, très vite, ceux qui prennent de la distance. Quand on a perdu, on est tout de suite moins apprécié. » Comme en 2008, il n’a pas voulu rester confiné dans son local de campagne : « Je préfère rester dans un endroit tranquille, à la maison ou chez un copain ». Il explique que la tension monte deux à trois heures avant la clôture des bureaux de vote. « Dans la journée, on reçoit plein de signaux contradictoires. Il est donc inutile de les sur-évaluer ». Comme à son habitude, Pierre Cohen est allé déjeuner à la Chunga, le restaurant de la route de Narbonne qui fait face à son ancienne permanence parlementaire. « Je vais continuer à y aller, je ne suis pas superstitieux. »

Le single Allez ouste “Douste” sorti par Zebda entre les deux tours de l’élection municipale en 2001 responsable de la défaite de la gauche selon certains observateurs.


Les entourages des candidats, qui veulent y croire jusqu’au dernier moment, ont parfois plus de flair sur le moment où l’élection bascule. Pierre Trautmann, aujourd’hui colistier de Jean-Luc Moudenc, assure avoir senti la victoire de Philippe Douste-Blazy en mars 2001 très vite après le premier tour. Contrairement aux scrutins précédents, qui avaient vu Dominique Baudis triompher dès le premier tour, les élections furent plus disputées cette année-là, avec l’irruption sur la scène politique locale des Motivé-e-s, portés par le succès musical du groupe Zebda. « J’ai su qu’on avait gagné dès que j’ai vu la fusion avec la liste du PS », raconte l’ancien directeur général des services, fidèle bras droit de Dominique Baudis.

François Simon a une autre perception de cette semaine décisive. « Pour la première fois, l’addition des scores de la gauche était majoritaire », souligne l’ancien tête de liste du PS en évoquant « l’euphorie » du moment. Il raconte avoir eu des doutes au lendemain du fameux meeting-concert organisé au Zénith devant une foule en délire, en découvrant la double-page du lendemain dans La Dépêche du Midi. « Il y avait notre fête d’un côté, et la photo de Douste visitant Airbus de l’autre. L’effet était ravageur. C’était une façon de dire : il y a ceux qui bossent, et ceux qui ne sont pas sérieux. » Avec le recul, le candidat qui a rejoint entre temps les écologistes et figure aujourd’hui sur la liste d’Archipel Citoyen reconnaît que cette soirée au Zénith était « une erreur ». « Plutôt qu’un concert, on aurait dû faire un vrai meeting. » 

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