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Jean Couderc

Pierre Baudis, un air de famille

En annonçant sa candidature aux élections législatives les 12 et 19 juin prochain, Pierre Baudis a surpris le landerneau politique… et au-delà. Mais si ce Macroniste de la première heure formule le voeu de ne pas être ramené, pendant la campagne, au rang de "fils de", les similitudes avec son paternel sont trop criantes pour ne pas susciter la curiosité.



« Ce serait mentir que de faire le naïf. » Pierre Baudis n’est pas dupe, il sait bien que s’il ne reste plus une place assise pour sa première conférence de presse de campagne le 17 mai dernier à l’Alimentation Générale, ce n’est pas uniquement pour l’entendre exposer son projet pour la première circonscription de Haute-Garonne. Ni pour lui souhaiter un bon anniversaire avec un jour de retard. Qu’il le veuille ou non, se présenter à une élection à Toulouse, ne fusse-t-elle pas municipale, avec le patronyme Baudis n’est pas anodin. Celui qui porte le même prénom que son grand-père, maire de Toulouse de 1971 à 1983, ne le sait que trop bien. « J’ai pris conscience très tôt que j’étais un enfant plus regardé que les autres. Quand on est le fils d’un personnage public, forcément, c’est différent. Et il vaut mieux l’intégrer très tôt. » Tout comme le fait qu’il n’y a pas que des avantages à avoir un père connu. « Parce qu’une bêtise d’enfant, dans une ville comme Toulouse qui en réalité est un gros village, cela n’a pas la même importance selon que l’on est le fils du boulanger ou celui du maire. » Et les bêtises, Pierre Baudis en fera, comme tous les enfants de son âge. « Il était un peu turbulent, se souvient Serge Didier, il courrait partout lors des cérémonies publiques. » Ce que l’ancien adjoint de Dominique Baudis, devenu avec le temps l’ami (et l’avocat) de la famille, ignore peut-être, c’est les fêlures que les absences du paternel ont créé chez ses enfants : « Quand on est maire, on l’est 100 % du temps. Quand on va au restaurant, dans la rue, on est sans cesse sollicité. Pour l’entourage, il faut le comprendre et accepter très vite que l’on doit partager son père avec les autres. Sinon cela devient vite invivable », raconte Pierre Baudis.


Accepter de partager sa vie familiale avec les administrés de son père bien sûr mais aussi intégrer qu’il vaut mieux, dans certaines situations, l’appeler par son prénom « au risque de le ramener à quelque chose de beaucoup trop humain ». Accepter enfin de comprendre, plus vite que les autres, que le monde des adultes n’est pas uniquement fait de bienveillance. « Ça force à développer un esprit critique et à être attentif aux vraies intentions des gens. » Et aussi à tordre le coup aux légendes urbaines : « Depuis l’âge de 5 ans, il y a toujours eu des personnes qui me demandaient où était ma chambre dans le Capitole. Alors qu’aucun maire de Toulouse n’a habité au Capitole ! » N’allez pas croire que Pierre Baudis a traversé sa jeunesse en marchant sur des œufs. Né à Toulouse le 16 mai 1988, il grandit place Dupuy, est scolarisé à l’école Calvinhac, puis au Caousou et au lycée Saint-Joseph. Enfant, il garde le souvenir d’un père heureux dans ses fonctions. « Je suis persuadé qu’il n’y a pas 36 manières de faire de la politique : soit par ambition, soit par passion. Et Dominique était animé par la passion : il a refusé maintes fois des postes ministériels, il aimait profondément cette ville, on le voyait quand il était au contact du public. » Et de citer, ces réalisations qui, selon son fils, suscitaient autant sa fierté qu’elles le remplissaient de joie : le métro de Toulouse, le Zénith, ou la Médiathèque. « Quand on regarde les photos d’archives, c’est rare d’en voir une où il ne sourit pas » fait-il remarquer.

Jusqu’à ce qu’éclate l’affaire Alègre, le jour de ses 15 ans, qui va agir comme une déflagration sur la famille Baudis. « On a toujours fait le choix de tout partager : les moments de joie extrême comme ceux d’immense tristesse », explique-t-il. Du jour au lendemain, l’existence de l’adolescent bascule dans l’horreur : « C’est de suite un cauchemar total, il y a des journalistes qui font le pied de grue devant chez moi, qui me suivent jusqu’au lycée. Une histoire avec des partouzes sadomasochistes, des prostituées, des criminels, Tony Blair, Nicolas Sarkozy, forcément ça fait jaser, partout, au collège, au café, on sent le regard des gens. On a perdu des amis, cela a eu le mérite de faire un tri. » À l’effarement succède le sentiment d’injustice, profond, d’ingratitude même, « parce que mes parents avaient donné toute leur vie à cette ville ». Mais les Baudis vont trouver la force de se battre : «  C’est le principe de la cordée : s’il y en a un qui lâche, c’est tout le monde qui part. Et tout le monde a tenu. Mais il n’y a pas eu une discussion avec un avocat que j’ai loupé, pas un papier dégueulasse que je n’ai pas lu. » L’adolescent va cependant y laisser des plumes : « Forcément, j’ai perdu de l’insouciance », commente-t-il sobrement. Un euphémisme pour Serge Didier, aux premières loges au moment de l’affaire Alègre en sa qualité d’avocat : « Les enfants étaient traumatisés. Même si Pierre le montrait moins que sa sœur, je sais qu’il était très mal. » « Ce qui nous a sauvé, c’est que les réseaux sociaux n’existaient pas. », analyse le principal intéressé 20 ans plus tard. Sinon, il y aurait eu des morts. »


Pour ne pas sombrer, décision est néanmoins prise de l’envoyer poursuivre ses études à Bordeaux où l’année d’internat qu’il va y vivre demeure son meilleur souvenir scolaire dans un environnement où il découvre avec enthousiasme la « mixité sociale et culturelle ». Finalement de retour en terminale à Toulouse, les ragots n’ayant pas tardé à descendre la Garonne, il passe le bac avec une idée chevillée au corps : celle de devenir journaliste pour conjurer le mauvais sort. Parce que l’emballement médiatique consécutif à l’affaire Alègre, loin de le dissuader d’embrasser le même destin professionnel que son père le conforte dans sa volonté de porter le fer là où ça fait mal. « J’avais déjà ça en tête avant mais le déclic, je l’ai vraiment eu le jour de mes 15 ans avec cette affaire et les semaines qui vont suivre en voyant ce que certains journalistes et titres de presse ont pu faire ou écrire. » Un écœurement total qui ne lui laisse d’autre option que de vouloir intégrer la matrice « pour essayer de la changer de l’intérieur ». Une fois le bac en poche, le jeune Baudis s’inscrit en études de communication et journalisme à Toulouse avant de finir son cursus à Paris où il intègre le Centre de formation et de perfectionnement des journalistes (CFPJ). Pendant deux ans, il alterne les cours et l’apprentissage au service vidéo du Figaro. « Quand j’y suis entré, personne ne croyait à la vidéo sur le web. Quand je suis parti, c’était l’un des poumons financiers du groupe Figaro », s’enorgueillit-il. Au sein du groupe présidé par Dassault, il fait de belles rencontres mais découvre aussi que son patronyme est parfois lourd à porter. « Dans le monde professionnel, tout le monde pense que c’est un avantage. Dans les faits, on doit faire deux fois plus ses preuves vu que tout le monde pense que l’on est arrivé là par copinage. Au Figaro, sans que cela n’ait jamais été verbalisé, je l’ai bien senti. » Marc de Boni, qui fut son tuteur au Figaro pendant ses 2 ans d’apprentissage, confirme : « Ce n’était pas évident pour lui de supporter ce prestigieux héritage dans un journal où le nom de Baudis avait évidemment une grande signification. Il avait du coup vraiment à coeur de creuser son propre sillon. » Après le Figaro, Pierre Baudis s’essaie à la pige pendant quelques temps avant de monter sa boîte de communication et de marketing digital. Une transition du journalisme vers le social-média « naturelle car le socle est le même, à savoir l’écoute active, la curiosité pour des sujets très divers et l’audace de proposer des idées pour aider les gens dans leur entreprise ». Concomitamment, son père, Dominique Baudis, décède des suites d’une longue maladie. Comme lors de l’affaire Alègre, la famille voit resurgir le spectre de la médiatisation. « J’étais partagé entre la fierté liée à l’honneur rendu par le président Hollande ou l’union nationale des partis politiques et la lassitude d’avoir eu l’impression de l’avoir enterré 4 fois parce qu’avant de pouvoir l’inhumer, il y a eu les invalides, une messe publique à Saint-Etienne, le cercueil exposé salle des Illustres… » Alors bien sûr, le voir à nouveau sous le feu des projecteurs, mais cette fois-ci en l’ayant choisi, n’a pas manqué de surprendre, y compris dans le cercle proche. Marc de Boni témoigne : « Je sais qu’il est animé par un profond sentiment d’injustice depuis l’affaire Alègre et cette candidature est sans doute pour lui un moyen de contribuer à redorer le blason de la politique. Mais après tout ce qu’il a enduré, je trouve que c’est vraiment courageux de sa part, surtout à Toulouse… » Si le choix de se présenter dans la première circonscription de la Haute-Garonne, là même où son père (et son grand-père) furent en leur temps député, n’est pas neutre, il est compris par Jean-Luc Moudenc qui ne cache pas son affection pour le fils de celui qui lui mit, jadis, le pied à l’étrier : « Ce n’est pas étonnant de le voir en politique car lorsque l’on grandit dans une famille où il y a un fort engagement, ça imprègne. Dominique lui-même avait été marqué par son père. » Pour le maire de Toulouse, les deux hommes n’ont pourtant pas que des points communs : « Je le connais depuis toujours, je l’ai vu grandir, et je peux dire qu’il a un tempérament différent de Dominique, plus fonceur. » Pour preuve, sa réaction, lorsque l’on émet l’idée qu’il aurait été moins exposé s’il avait été candidat sur une autre circonscription : « La première, ça tombait sous le sens, balaie-t-il d’un revers de main. Je n’aurais d’ailleurs pas accepté si on m’en avait proposé une autre. Quand on s’engage, il faut que ça fasse sens. »


Cet engagement le jour de ces 34 printemps, Pierre Baudis l’attribue en grande partie à la personnalité d’Emmanuel Macron. « Il m’a tout de suite convaincu, pour ne pas dire galvanisé. Voir quelqu’un qui arrive à rassembler autant, ça m’a fasciné. Des personnalités comme lui, il y en a une par génération. Il a réussi à faire ce que les 12 salopards (les rénovateurs de 1989 dont faisait partie Dominique Baudis) ont rêvé toute leur vie. Beaucoup d’entre eux seraient extrêmement fiers de voir ce qu’il a accompli. » Convaincu par le Macronisme, celui qui est désormais responsable du contenu numérique de la start-up Trezy n’a cependant pas franchi le pas tout de suite. Le déclic intervient lorsqu’il reçoit un appel, à la plage, au début de l’été 2020 d’Éric Dupond-Moretti, pour lui signifier son désir de travailler avec lui sur la question de la présomption d’innocence. Passé la surprise initiale – « j’ai cru à un canular » – il accepte la proposition du nouveau Garde des Sceaux, convaincu que « la justice se rend en robe dans un tribunal, pas de manière anonyme sur les réseaux sociaux ». Et conscient, une nouvelle fois, que son patronyme n’est pas étranger à cette sollicitation. « Bien sûr qu’ils ont pensé à moi parce qu’il y a eu l’affaire Alègre. Mais je pense que le fait d’avoir étudié le journalisme et les réseaux sociaux a dû aussi compter… » ajoute-t-il. Finalement installée le 31 mai 2021, la commission chargée de plancher sur le sujet, présidée par l’ancienne garde des Sceaux, Elisabeth Guigou, et composée de magistrats, avocats, représentants des forces de l’ordre et journalistes va achever de convaincre Pierre Baudis que le moment est venu de se jeter dans l’arène : « Parce que je me rends compte que l’inclusion civile est une réalité et que ce n’est pas de la poudre de perlimpinpin. Beaucoup trop de personnes se persuadent que l’on ne peut pas faire de la politique. Alors que c’est l’un des rares métiers, avec le journalisme, que l’on peut exercer sans avoir le bac. » Reste l’écueil du procès en népotisme qu’il a le sentiment que la presse lui intente : « Quand on fait une conférence de presse et que la moitié des questions portent sur lui, c’est lassant. Je suis très fier d’être le fils de Dominique et porter le nom de Baudis m’oblige. Après le suffrage universel ne se transmet pas. J’aimerais que l’on me parle de moi et de mes idées. » Ses idées, c’est que la politique, « a le pouvoir de changer la vie des gens », et que les extrêmes sont dangereuses pour la démocratie. Il assure, du reste, se retrouver pleinement dans le « en même temps » du président de la République : « Dans un pays où les partis républicains se sont effondrés, on a plus que jamais besoin de nuance. J’entends les gens me dire que la politique ne les intéresse plus. Je leurs réponds : “ Changeons-la ensemble, bordel ! ” Car la nuance, c’est la base du vivre ensemble. » Persuadé qu’il faut poursuivre les réformes engagées dans le précédent quinquennat, tout au plus consent-il à reconnaître qu’il faudra, cette fois-ci faire un effort de pédagogie : « Pris dans son élan, le Président a parfois un peu choqué dans la forme. Mais ça reste un formidable punchliner. On ne s’en rend pas encore compte mais il a prononcé des phrases incroyables qui vont marquer profondément notre génération. Plus que les 4 précédents présidents réunis ! Et puis cela a été le premier à dire : “ on n’a pas tout bien fait ” » Rien d’étonnant, dès lors, de déceler de l’émotion dans son regard à l’heure de raconter sa rencontre avec le président : « Lorsque j’ai reçu l’investiture, et qu’il m’a dit, en me regardant dans les yeux, avec ce regard incroyable, « tu la gagnes », je savais que j’avais fait le bon choix. » En attendant de faire, peut-être, son entrée au Palais Bourbon, ces premiers pas dans le grand bain valident son choix, au-delà de l’unanimité que le nom Baudis suscite dans les rues toulousaines : « Je me sens extrêmement épanoui, dans mon élément, je m’éclate, les campagnes de terrain, je trouve qu’il n’y a que ça de vrai. C’est bizarre, j’ai presque l’impression que ce n’est pas nouveau… »

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