Alors que l’on entrevoit le bout du tunnel avec l’augmentation de la cadence de vaccination, quelles leçons faudra-t-il tirer de la crise que l’on a traversée ? Nos certitudes de toute puissance, en particulier vis à vis de la nature, ont été remises en cause. Nous pensions que les épidémies étaient réservées aux pays sous-développés. Il n’en est rien. Cette crise nous a également donné un bel exemple de résilience : dos au mur, l’Homme a démontré qu’il avait la capacité de rapidement s’adapter, même se réinventer, et au final de mieux résister que ce que l’on pouvait espérer il y a un an.
Que dit cette crise de notre pays ? Elle démontre que notre structuration étatique est totalement dépassée avec un centralisme qui asphyxie le pays et qui s’asphyxie lui-même. Que l’on soit obligé d’attendre le 20 avril pour entendre le Ministre de la santé dire qu’il faut mettre en place une distinction territoriale, c’est quand même navrant.
La décentralisation a-t-elle reculé ? Depuis 2017 oui, clairement. Le processus de centralisation s’est renforcé avec, de surcroît, un sentiment de défiance exacerbé des corps intermédiaires et des élus locaux à l’égard du président de la République. Comment peut-il en être autrement quand on voit, dernier épisode en date, la manière dont ils ont été consultés, à la hâte, sur le report des élections ? Cette manipulation des autorités préfectorales pour influencer les maires et les rendre responsables d’une décision qui n’appartient qu’au gouvernement m’a vraiment indignée. Nous étions dans une crise sanitaire. Nous ne pouvions pas nous permettre en plus une crise démocratique.
Comment expliquer cette recentralisation ? Le Président dans son parcours professionnel ou de vie n’a jamais eu ce contact avec le terrain. Du coup, cela l’amène à penser que le premier de cordée tire toute la cordée. Or c’est entièrement faux, y compris en termes de techniques d’alpinisme !
Pourquoi a-t-on l’impression que l’État et les territoires ont de plus en plus de mal à se parler et à se comprendre ? à titre personnel, je ne défends pas un État fédéral mais une République unie et indivisible avec un État fort sur les missions régaliennes et des territoires aux pouvoirs accrus. Le problème vient du fait que la société se radicalise depuis quelques années, et les postures politiques avec. C’est-à-dire qu’au lieu de chercher des positions équilibrées, on est sur une exacerbation des différences. Or la politique, c’est faire vivre ensemble des personnes qui ont des intérêts personnels différents mais un intérêt collectif suprême.
La politique n’a-t-elle pas toujours suscité de la passion, particulièrement en France ? Oui mais là on est au-delà de la passion, c’est de la déraison. Aujourd’hui, du moment où l’autre ne partage pas son avis, on le considère comme son ennemi. On l’a par exemple vu avec l’hystérisation du débat autour des menus végétariens. C’est grave parce qu’il y a une vraie porosité entre le politique et le citoyen. S’il existe une théorie du ruissellement, elle est là : quand les gens en responsabilités sont dans de la violence, le peuple en est irrigué. Avec le risque que dans l’expression démocratique, il bascule dans les extrêmes.
Le jour de son intronisation, le 4 janvier 2016.
Vous avez été une des figures de l’opposition au macronisme pendant tout le mandat, sur la LGV, …. Pourquoi ? Contrairement à d’autres, je n’ai pas été étonnée par la politique de Macron qui s’est présenté comme un candidat de gauche et qui aura été, au final, un président de droite. Mais j’ai été surprise du manque de lucidité de beaucoup qui ont été charmés, au début, par le macronisme. J’ai souffert de voir cette débandade, ce débauchage, ces trahisons. Car des trahisons dans le camp socialiste, il n’en a pas manqué. Mais ça ne m’a pas affaiblie dans mon combat car je m’apercevais, sur le terrain, que mon analyse était partagée par beaucoup. Ce qui fait que même à une période où ce n’était pas la mode de porter le fer, je ne me suis jamais sentie seule. J’étais sûre que tôt au tard le vernis allait craquer.
Apaiser sera-t-il le gros défi du prochain président de la République ? Il faudra en effet rassembler les Françaises et les Français parce que le niveau de division et d’exacerbation des haines est élevé. On est clairement tombé dans la société des ennemis. Quand je rencontre des gens, je sens une vraie tension, une inquiétude sur l’avenir. C’est très préoccupant parce que lorsque le peuple n’a plus confiance en l’avenir, cela peut engendrer des réactions dangereuses.
Vous avez souvent répété ces dernières années qu’il fallait trouver une réponse aux trois crises qui nous frappent : urgence climatique, crise sociale et crise démocratique. Cette dernière n’est-elle pas la plus difficile à résorber, celle pour laquelle les solutions ne sont pas les plus évidentes ? Vous avez raison, et cela s’explique par le fait que c’est celle qui demande le plus de constance dans la durée. En Occitanie, on a essayé de mettre en place une exemplarité, notamment en liant les indemnités des élus à leur assiduité dans l’hémicycle, ou en mettant en place des budgets participatifs. Mais restaurer la confiance avec le peuple ne se fait pas en 1 ou 2 ans. Vous nous disiez, il y a 4 ans, qu’au PS, vous creviez des individualités. Est-ce que ça va mieux, à un an de la présidentielle ? Il y en a tellement qui ont disparu depuis les échecs de 2017 que j’ai envie de vous répondre que oui ! Le parti est en train de se reconstruire à partir des territoires. On a un petit collectif, que j’appelle la France du faire, avec notamment Mathieu Klein, Johanna Rolland ou Mickaël Delafosse, qui travaille bien. Et qui s’est réuni, dans la perspective de la présidentielle, autour d’Anne Hidalgo.
Pourquoi elle ? Parce qu’elle incarne cette France du faire, elle est courageuse, elle a engagé une transformation réelle sur Paris, elle n’a jamais changé de cap, elle est restée fidèle à ses valeurs, et a donné la preuve de sa capacité à être en avance. C’est important d’être précurseure lorsque l’on est maire de la capitale de la France. Et elle l’a été sur les questions de transformation écologique et énergétique. Donc elle a tout mon soutien. Par ailleurs, je rappelle que s’il n’y a pas une candidature unique pour la gauche réformiste et écologique, c’est perdu. Donc il faut être à la hauteur de nos responsabilités. La course des petits chevaux, c’est fini.
En mars dernier, évoquant le Parti socialiste Marlène Schiappa déclarait que le PS n’a pas de ligne claire sur les questions d’universalisme. Le PS pourra-t-il longtemps exister avec une telle fracture idéologique en son sein ? On ne peut pas se réclamer du socialisme si on a la moindre ambiguïté sur ces questions. Quand je vois que Jean-Paul Garraud (candidat RN en Occitanie, ndlr) me traite d’islamo-gauchiste, j’ai envie de rappeler que c’est moi qui ai projeté les caricatures de Charlie Hebdo sur les murs du Conseil régional. Je pense qu’il faut que les socialistes, et même toute la gauche, héritière des Lumières et du progrès pour tous, aient des positions très claires sur ces sujets.
Revenons à la crise du Covid-19. N’a-t-elle pas eu la vertu d’avoir fait avancer le fait régional ? C’est vrai qu’elle a démontré que la Région était la bonne échelle pour être en force de protection et en proximité d’action. Aujourd’hui, les Régions ont des tailles beaucoup plus pertinentes pour agir, notamment sur les filières économiques. La crise sanitaire nous a également amené à réagir. On ne s’est pas demandé si on avait le droit d’agir car on en avait l’obligation pour protéger nos populations. Enfin je pense que les Régions sont pertinentes pour coordonner l’action d’autres collectivités locales.
N’est-ce pas un peu inquiétant de constater que pendant que le sentiment régional se renforce, le lien national se délite ? Oui, c’est très inquiétant et c’est la raison pour laquelle un duel Le Pen-Macron me préoccupe beaucoup en 2022. Parce que si on est dans cette configuration, le pire peut arriver.
Vous avez indiqué avoir été agréablement surprise par la résilience de nos compatriotes. Cela signifie donc que le monde d’après, vous y croyez ? Le monde d’après est atteignable parce que j’observe une vraie prise de conscience collective et un mouvement de fond sur la question des transports en commun, le gaspillage d’énergie ou de la souveraineté sanitaire. Un des points positifs de cette crise est que l’immense majorité de nos concitoyens ont compris que l’on ne pouvait pas repartir comme avant, qu’il fallait changer nos modes de vie, avoir moins d’impact sur notre environnement. L’adhésion populaire à cette nécessaire transformation s’en est trouvée décuplée. Mais je parle bien de transformation et non de rupture ou de radicalité. Car je pense qu’il faut concilier écologie et économie.
Cette précision, c’est en réponse à ceux qui vous reprochent de ne pas aller assez loin ? Promettre une rupture totale est dangereux. Sortir de l’aéronautique, par exemple, est impossible. Que va-t-on faire des personnes qui seront licenciées ? Je suis pour l’économie sociale et solidaire, j’en ai été ministre, je suis pour développer la filière laine, pierre, mais il faut voir la réalité en face : le rapport à l’emploi n’est pas le même. Bien sûr qu’il faut du volontarisme politique pour qu’il y ait transformation. Mais avec ce débat sur l’avion, on tombe encore une fois dans l’hystérie. Qu’est-ce que ça signifie de dire que l’on ne va plus prendre l’avion ? Que l’on ne veut plus rencontrer les peuples d’autres continents ? C’est ça l’avenir que l’on veut donner à nos enfants ?
On imagine aisément que la sortie de la mairesse de Poitiers avançant que « l’aérien ne doit plus faire partie des rêves des enfants » a dû vous faire bondir ? C’était plus de la maladresse que de l’idéologie sectaire. Mais elle est très révélatrice de la propension que l’on a, en politique, à tomber dans l’excès. Dire qu’il ne faut pas rêver sur tel ou tel sujet, ce n’est pas possible. Notre liberté, sur les rêves, est fondamentale. Si je défends l’avion, c’est d’abord pour la rencontre. Je ne veux pas d’une société repliée sur elle-même. Après bien sûr je partage les transports en commun, la rénovation énergétique et le fait que l’avion doit être décarboné. Si on soutient l’entreprise Aura Aero, ce n’est pas pour rien. Mais de là à dire que l’on bannit l’avion… C’est terrible ces excommunications. À un intégrisme religieux que l’on a connu dans l’Europe médiévale, est en train de se substituer un intégrisme sociétal.
Votre rival écologiste ne comprend pas pourquoi la Région soutient les aéroports régionaux…. Il ne comprend pas parce qu’il n’a jamais fait Castres-Paris en train. Qu’il le fasse et on en reparlera.
Venons-en au bilan de ce premier mandat. Comment le qualifieriez-vous ? On a engagé un nouveau modèle de développement, une transformation avec un Pacte vert qui consiste à concilier économie et emploi tout en opérant un rééquilibrage territorial. On a posé les bases et je souhaite le consolider sur un deuxième mandat.
Quels sont les principaux motifs de satisfaction ? Je crois que l’on a été utiles et que l’on a amélioré le quotidien des gens. Sur l’accès au savoir avec notamment la distribution d’ordinateurs à tous les lycéens et apprentis. On a bien vu son utilité lors du confinement où nous avons été la 1e région de France dans la connexion de ses lycéens et apprentis. Je citerai également la baisse du coût du transport scolaire, les éco-chèques logements pour la rénovation énergétique, les 60 000 entreprises aidées ou le doublement du budget pour l’agriculture, avec notamment le développement de la filière bio.
Des regrets ? Même si on a réussi à amener le savoir dans des petites villes de moins de 10 000 habitants grâce aux campus connectés, je crois que l’on aurait pu faire mieux au niveau de la coopération entre les grands acteurs de l’enseignement supérieur. C’est l’un de mes challenges à venir.
Et les transports ? Sur la 2e partie du mandat, des choses se sont déverrouillées grâce à l’arrivée de Jean Castex qui nous a permis d’avoir un protocole de transfert des petites lignes ferroviaires, de pouvoir enfin passer commande sur le train à hydrogène et d’avancer sur les sociétés de financement pour la LGV.
À vous entendre, les choses semblent aller mieux depuis l’arrivée de Jean Castex au poste de Premier ministre ? Oui, tout à fait, je vous le confirme. Et c’est une femme de gauche qui le dit à propos d’un homme de droite !
Quels seront les enjeux du prochain mandat ? Il faut transformer les premières initiatives du Pacte vert en une réalité de vie pour l’ensemble de nos citoyens. Il faut également amplifier les actions pour être la première Région à énergie positive et la première Région inclusive, par l’éducation, la formation, l’accès à la culture ou la santé. La gauche va se présenter en ordre dispersé à la prochaine élection. Qu’est-ce que cela vous inspire ? On a réussi, avec Occitanie en commun, à faire le rassemblement le plus large à gauche. Après, EELV a refusé la main tendue, je le regrette et en prend acte. Mais l’union de la gauche existe.
Quel est votre adversaire le plus redoutable ? L’extrême droite. Parce qu’il n’y a pas de compromis possible, de point de jonction. Ce sont deux visions de la société complètement différentes. Ce n’est pas mon ennemi mais celui de la République. Mon devoir c’est de défendre les valeurs républicaines.
Craignez-vous l’Union des droites chère à Robert Ménard ? Il y a les déclarations des candidats qui sont sur des logiques de partis, comme M.Pradié qui dit qu’il n’y aura pas de front républicain. Et puis il y a les élus. Je n’ai aucun doute quant au fait que les maires de Toulouse, Albi, Carcassonne ou Nîmes, en cas de risque d’élection du RN, appelleront au front républicain. Et me soutiendront.
Vous n’êtes pas la seule à considérer que les idées du RN sont dangereuses mais vous êtes l’une de celles qui les combat avec le plus de véhémence. Y-a-t-il quelque chose dans votre histoire personnelle qui puisse l’expliquer ? Déjà dans mon expression, je n’ai pas le langage châtié de tous ces énarques. Quand je dis que je veux me tenir droite devant un monument aux morts parce que ceux qui sont morts pour la France sont morts pour la République contre les nationalismes et le nazisme, je sais que je dérange dans certains cénacles parisiens. Parce qu’ils trouvent ça trop simpliste. Alors que moi, je ne trouve pas ça trop simpliste. La Fondation Jean-Jaurès vient d’ailleurs de publier une étude qui démontre que banaliser le RN revient à banaliser le vote. Après c’est vrai que cette question me prend aux tripes, notamment pour des raisons familiales.
Lesquelles ? Ma famille a été très marquée par le décès jeune de mon grand-père, revenu de la guerre après avoir été prisonnier en Allemagne pendant plus de 5 ans dans des conditions très dures. Il est rentré très affaibli et est mort quelques années après son retour faisant de ma mère une très jeune orpheline et laissant ma famille dans une situation financière très difficile. C’est pour ça que lorsque je paie des impôts, je n’oublie pas une chose : outre la chance que j’ai d’avoir une indemnité qui me permet de ne pas avoir de problème de fin de mois, je sais que ma mère et ma grand-mère n’en ont jamais payé de leur vie. Ce qui veut dire qu’elles ont dû faire beaucoup de sacrifices pour moi. Par ailleurs, je crois que la lecture des mémoires du général De Gaulle m’a beaucoup marquée.
En quoi les mémoires du général De Gaulle ont-elles été une source d’inspiration ? Il m’a amené à avoir une haute idée de la France. Pour moi, la France ne renonce pas, elle est fière de son histoire, de son indépendance, de ses valeurs, de son universalisme. C’est la patrie des droits de l’Homme. Je suis une femme qui a besoin d’éthique, d’absolu.
N’y-a-t-il pas un risque de cristalliser autour du vote RN la rancœur de tous les antisystèmes, particulièrement en Occitanie ? C’est toujours l’équilibre qui est difficile à trouver. Je me dis qu’en même temps que je dénonce les idées de l’extrême droite, il faut que j’agisse fortement. Je ne peux pas être juste dans la palabre mais dans la démonstration qu’un autre système existe, pas clientéliste, qui s’occupe de tout le monde, et qui pense en premier aux gens qui sont en difficultés. Dans le Comminges, par exemple, territoire auquel je suis très attachée, je sais ce qui se pense derrière chaque maison, je connais toute la résignation, le désespoir. C’est pourquoi j’essaie de changer la vie des gens. Avec modestie, humilité mais ténacité. Parce que c’est primordial de montrer qu’il y a une autre voie de prise en compte des souffrances que l’extrême droite.
On vous reproche un endettement de la région de 48 %. Pourrait-il, à terme, oblitérer les capacités d’investissements de la Région ? L’endettement de l’Occitanie est de 5,2 ans alors que la limite de bonne gestion pour les régions est de 9,5 ans. À tous ces messieurs qui font des raisonnements à base de calculatrice, je voudrais rappeler ce qu’est une bonne gestion. C’est comme dans un ménage : il faut d’abord faire en sorte que le train de vie n’augmente pas. C’est notre cas puisqu’il a augmenté de moins de 1 % chaque année, soit le coût de l’inflation. Mon budget d’aide aux entreprises est passé de 250 à 400 millions d’euros. Je ne le renie pas. Ces messieurs considèrent peut-être que je n’aurais pas dû aider ces entreprises ? Ensuite on a augmenté le budget de la rénovation énergétique des lycées. Là aussi, aurait-il fallu que je baisse l’investissement alors que le BTP est le seul secteur qui tient à peu près la route, grâce à la commande publique ? En résumé, ce sont des arguments de cour d’école. Dans les faits la Région est bien gérée et a une capacité d’investissement qui est encore forte.
Comment vous sentez-vous à la fin de ce mandat ? Toujours passionnée, pleine d’énergie et de force pour continuer. Avec plus de confiance sur notre capacité à réussir cette transformation.
Plus de confiance en vous également ? Disons que je me sens à ma place et que j’ai le sentiment d’avoir fait le job du mieux que je pouvais avec beaucoup de sincérité, d’heures de travail, et d’éthique.
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