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BOUDU

Professeur Vellas : La mémoire dans la peau

Bruno Vellas, pourquoi êtes-vous à ce point attaché à Toulouse ? Je suis né à Toulouse, mes parents étaient Toulousains, mes grands-parents aussi. Ils habitaient rue d’Alsace-Lorraine, dans le même immeuble que nous, puis on est parti à Auzeville. J’allais à l’école et au lycée Fermat. J’ai fait toutes mes études à Toulouse. Je suis parti ensuite aux États-Unis, au Nouveau-Mexique, où j’ai travaillé pendant un an sur la nutrition et le vieillissement. N’avez-vous jamais songé à vous installer aux États-Unis ? On m’a fait des propositions intéressantes, encore récemment. Mais je les ai refusées car je suis trop attaché à mes racines toulousaines. Je ne conçois pas le travail sans l’entourage familial. Toulouse, c’est là que je me sens bien. Et je n’ai jamais eu envie de vivre ailleurs. Je peux avoir un pied aux États-Unis mais le corps doit rester ici.

Est-ce à votre père que vous devez votre goût pour la médecine ? Mon père était professeur de droit international et consultant pour l’Organisation Mondiale de la Santé. À ce titre, il s’est intéressé aux grandes questions de société et notamment au vieillissement de la population. Cela l’a amené à créer, à Toulouse, les Universités du troisième âge. Mais il n’était pas du tout médecin. Ce qui le passionnait, c’était la question de la démographie. Il a été l’un des premiers à voir arriver le problème du vieillissement de la population. Mais il le considérait d’un point de vue sociétal. Parce que, vous savez, l’allongement de la durée de la vie ne doit pas grand chose aux progrès de la médecine. C’est l’amélioration des conditions de vie : le chauffage, l’hygiène... 80 % de l’augmentation de la longévité est due aux progrès environnementaux. Pourquoi, dès lors, avoir choisi d’embrasser une carrière de médecin ? J’étais dans une famille de juristes dans laquelle on ne comptait aucun médecin. Mais comme je travaillais relativement bien, le concours de médecine m’était accessible. Je l’ai donc passé et obtenu, au deuxième coup, comme tout le reste dans ma vie. J’ai tout eu en persévérant. Mon père nous disait toujours : « Entre une situation difficile et une situation facile, quand on ne sait pas choisir, la bonne solution est souvent de choisir la difficile. » Une autre phrase : « Ce qui se construit facilement se détruit aisément ; Ce qui se construit difficilement est beaucoup plus pérenne ». Ces maximes font-elles partie du petit livre écrit par votre père pour ses descendants ? En effet. Quand il a eu 75 ans, il a décidé d’écrire un petit fascicule à ses petits-enfants pour transmettre un certain nombre de messages. C’est un petit livre de citations qui sont utiles dans la vie. Mon père souhaitait que sa lecture nous permette d’éviter un petit peu du prix qu’on doit tous payer à la vie. Aviez-vous la pression de la réussite ? Le but de mes parents n’était pas qu’on réussisse mais que nous assimilions certaines valeurs. On me disait : « Quand on se comporte bien, on finit toujours par avoir la récompense ». Le message était donc d’essayer, dans toute action, de se comporter le mieux possible, de se méfier de l’argent et d’être dans le détachement vis-à-vis des honneurs. Quel genre d’élève étiez-vous ? J’étais studieux sans être brillant.  J’avais une grosse capacité de travail. Je travaillais davantage mais je réussissais moins que les autres. Puis les choses ont changé : j’ai mieux réussi dans la vie professionnelle que dans la scolarité. Pourquoi avoir choisi la gériatrie ? Au début, ce n’était pas une spécialité choisie en priorité. Comme j’avais été reçu parmi les derniers, c’était le seul stage qui me restait. Et là, c’est en écoutant mon maître, le professeur Albaret, donner des cours, que la passion m’est venue. En gériatrie, il y avait tout à faire. La filière commençait à peine à se structurer. Il y avait très peu d’effectifs. C’était d’ailleurs la première fois que ce service accueillait un interne des hôpitaux. Pendant longtemps, la gériatrie a été éloignée de l’hôpital, comme si on en avait un peu honte. À votre arrivée dans le service de gériatrie, que vous inspirent ces états de grande faiblesse ? Quand j’étais externe, durant les stages, on traversait les blocs chirurgicaux un peu comme des dieux. Alors quand on se retrouve avec des patients souvent atteints de démence sévère, on éprouve un sentiment de grande humilité. Je me souviens m’être demandé, à la fin de ma première semaine, ce que je faisais là. Et puis on prend les problèmes les uns après les autres, et on prend conscience que c’est un domaine dans lequel les soignants, les infirmières, les aides-soignants, jouent un rôle très important. Quand vous voyez une personne âgée, avant et après la toilette, ce n’est plus la même. Doit-on faire preuve de davantage d’empathie en gériatrie ? Il faut de l’empathie dans toutes les spécialités, mais il en faut beaucoup en gériatrie. Ce n’est pas une spécialité où on peut jouer les caïds. Il y a une humilité vis-à-vis de la détresse qui accompagne parfois le vieillissement, et face à laquelle on est souvent impuissant. C’est pour ça qu’on s’oriente de plus en plus vers la prévention. Car on a subi le vieillissement. Que voulez-vous dire ? Les pouvoirs publics ne l’ont pas vu venir. La gériatrie a été créée parce que sont arrivées dans les services d’urgence des personnes âgées poli-pathologiques, souvent très dépendantes ou atteintes de démence sévère. Et là, personne ne savait ou ne pouvait s’en occuper. Tout le monde était dépassé. On a donc créé les longs séjours à la fin des années 1970. Puis les moyens, et enfin les courts

séjours. C’est comme cela qu’est née la filière gériatrique. Et aujourd’hui, le grand pari, c’est de se tourner vers l’ambulatoire. C’est-à-dire agir avant que la personne soit dépendante. Alors que jusqu’à présent, on faisait l’inverse. L’inverse ? À une époque, quand on devait s’occuper d’une personne un peu fragile, on avait peur qu’elle tombe et on l’attachait au fauteuil et au lit. Du coup, elle devenait grabataire. Alors que le risque qu’une personne âgée se casse le col du fémur en tombant est de 1 %. Donc il vaut mieux prendre le risque d’une chute plutôt que d’empêcher la personne de marcher. Il y a des personnes qui perdent l’autonomie à l’hôpital parce que les soins ne sont pas adaptés. Désormais, en gériatrie, on s’attache à garder les fonctions d’un sujet. Comment est-on arrivé à cette prise de conscience ? On s’est rendu compte que la médecine classique fabriquait des dépendants. Si on ne fait pas attention, la personne dont on va s’occuper guérira mais deviendra dépendante. C’est ce qu’il faut éviter. Même l’Agence européenne du médicament dit que ce qui l’intéresse n’est pas tant les nouveaux médicaments qui vont soigner des maladies que les médicaments qui garderont les fonctions. Cela dépasse largement le cadre de la médecine, non ? En effet. Auparavant, quand arrivait l’âge de la retraite, les gens se disaient qu’ils avaient quelques années à vivre. Maintenant ils savent que leur espérance de vie est de 20 ou 30 ans ! Du coup, ils veulent rester en bonne santé et autonomes. C’est pour cela que la gériatrie, en fin de compte, est une médecine moderne. Et source d’économies, parce que ce qui coûte cher, c’est la dépendance. On peut économiser et créer de la croissance en répondant à ces besoins de populations qui, jusqu’à maintenant, passaient inaperçues. Des travaux ont montré que dans le dernier mois de sa vie, on coûte quasiment aussi cher à la Sécu que le restant de son existence. La difficulté de la discipline ne réside-t-elle pas dans le fait qu’on ne guérit pas de la vieillesse ? C’est à la fois la difficulté et la force. La médecine a beaucoup changé. Par le passé, quand un patient présentait des symptômes, il allait voir son médecin qui posait un diagnostic et proposait un traitement. Maintenant, il a une pathologie chronique dont il connaît les symptômes. Vu qu’elle est souvent assez avancée, on ne peut pas faire grand-chose. Donc il faut avoir l’humilité de reconnaître que l’on n’est pas aussi efficace que ça. Contrairement à d’autres disciplines, en gériatrie, on a d’emblée des patients chroniques qu’il faut quand même essayer de soulager. Mais il y a aussi des patients prodomaux, dont les symptômes sont si faibles qu’ils sont imperceptibles. C’est le tout début de la maladie. Et c’est là qu’il faut aller, parce que c’est là qu’on sera le plus efficace. C’est un changement quasi culturel ? Oui, car cela veut dire qu’il faut se tenir à proximité des patients. Celui qui a une maladie chronique ne va pas passer une heure dans la voiture pour une consultation qui ne lui changera pas la vie. La gériatrie a toujours été une médecine de proximité. C’est d’ailleurs une spécialité structurante vu qu’il y a des personnes âgées, en nombre croissant, sur tout le territoire. Dans certains cantons, il ne reste plus que des Ehpads. Soupçonniez-vous l’importance qu’allait revêtir la gériatrie ? Pas vraiment. Mon père, oui, certainement avant moi. Le virage très important a été quand on a commencé à ne plus subir la dépendance mais à la prévenir. Donc, l’idée n’est pas de faire de la vieillesse une maladie mais plutôt de la fragilité une alerte ? Exactement. Et il faut agir plus tôt. De la même manière que l’on essaie de garder la mobilité pour les fragiles, il faut conserver la mémoire pour les autres. On peut y arriver. C’est ça la médecine de demain. Il faut y associer exercice physique, nutrition, traitement médical. En d’autres termes, ce n’est pas parce que la vieillesse n’est pas une maladie qu’il ne faut pas traiter ses symptômes. Cette nécessité de diagnostic et de surveillance n’est-elle pas problématique à l’heure où les médecins généralistes font cruellement défaut ? C’est pour cela qu’il est important d’informer le public. Parce que s’il comprend que le fait de marcher 30 minutes peut l’empêcher de perdre du muscle, ou qu’une activité intellectuelle peut l’empêcher de perdre des neurones, on aura avancé. Cela peut être source de bien-être et de croissance économique : la silver économie, c’est ça ! Avec la nouvelle loi d’adaptation de la société, les pouvoirs publics commencent à en prendre conscience… mais c’est lent. Comment expliquez-vous ce manque d’anticipation ? Est-ce une question de génération ? On dit souvent, par exemple, que les enfants de 1968 ne veulent pas s’occuper de leurs parents… Peut-être, mais les choses changent. Avant, ils ne voulaient pas s’en occuper parce qu’ils étaient en activité. Maintenant, le changement, c’est que les retraités ont leurs parents vivants et qu’ils s’en occupent davantage. Mais cela ne peut pas expliquer la passivité des pouvoirs publics. Prenez l’exemple de la canicule de 2003 : il a fallu une rupture de stock de corbillards pour qu’on mesure l’ampleur de la catastrophe. C’est bien la preuve qu’on manque d’indicateurs. Vous incluez la dimension sociétale dans le rapport de la médecine à la vieillesse. Quel impact aura l’allongement croissant de la durée de vie sur l’organisation de la société ? Le bon côté, c’est qu’il y a beaucoup de gens qui, à 70 ans, sont en pleine forme. Il suffit de regarder les candidats septuagénaires aux dernières élections présidentielles en France et aux États-Unis pour s'en convaincre ! Le mauvais côté, c’est que certains enfants meurent avant leurs parents, parce qu’on n’a pas encore réglé le problème de la mortalité entre 50 et 60 ans, qui reste la même qu’il y a 50 ans. Il y a, d’autre part, des intérêts différents entre la conservation de l’espèce et la longévité. Faut-il comprendre que vivre vieux est néfaste pour l’humanité ?   Disons que pour assurer la conservation de l’espèce, la nature a fait en sorte que l’Homme soit le plus fort possible à l’âge adulte, pour avoir de bonnes capacités de reproduction. Mais ce n’est pas cela qui va assurer la durée de vie la plus longue. Les régimes en restriction calorique par contre, font que l’on vit plus longtemps, sans être doté d’une grande force physique ni d’une excellente capacité de reproduction à l’âge adulte. On risque donc d’avoir un jour un combat entre ce qui est bon pour l’espèce et ce qui est bon pour l’individu. Ce serait un bouleversement idéologique énorme. C'est là qu’entrent en jeu l’éthique et la morale… J’en discutais avec l’un de mes amis américains à propos du traitement œstrogène, l’hormonothérapie, qui permet de lutter contre le vieillissement. J’avais tendance à penser que si les sécrétions hormonales s’arrêtaient au bout d’un certain temps, c’était sans doute une bonne chose. Dans notre esprit un peu latin, on a tendance à penser que ce qui a été fait par la nature est une bonne chose. Mais il m’a répondu, à juste titre, que c’est la nature qui a créé le cancer et de nombreuses pathologies auxquelles on se heurte. Jusqu’où faut-il aller ? Cela reste une question difficile. On entend dire que l’homme serait fait pour vivre 150 ans. Qu’en est-il en réalité ? Ce qui est clair, c’est que si on enlève les pathologies, les effets du vieillissement sont beaucoup plus faibles que ce qu’on pense. Pendant longtemps, on a dit qu’avec le vieillissement, on avait une insuffisance rénale. C’est faux. Si on a une insuffisance rénale, c’est qu’on souffre d’une maladie, pas de la vieillesse. La vieillesse n’est-elle pas, tout de même, un facteur aggravant ? Certains mécanismes du vieillissement favorisent l’apparition de certaines pathologies. Notamment le cancer et la maladie d’Alzheimer. Mais dire que c’est automatique avec le vieillissement est inexact. On a des sujets de 90 ans qui ont une très bonne mémoire. Si les sujets épargnés par les pathologies gardent de bonnes fonctions physiologiques, l’espérance d’âge ne va donc cesser de croître ? Actuellement, elle augmente d’un trimestre tous les ans, donc d’une année tous les quatre ans. Il semblerait qu’il y ait un petit fléchissement cette année. Cela dépend aussi du niveau de pauvreté. Je ne connais pas la limite biologique. Mais il y a des travaux qui montrent que même si on avait une longévité infinie, on ne dépasserait pas les 300 ans sans mourir d’un accident. Comment un spécialiste comme vous considère-t-il les débats politiques, sociaux, autour de l’âge de la retraite ou du rôle des seniors dans la société ? Toutes les données montrent que rester actif augmente la longévité et diminue l’incidence de certaines pathologies, telles que la maladie d’Alzheimer. C’est pour ça que de nombreux pays laissent l’âge de départ à la retraire libre. En médecine, on dit qu’il faut se méfier des dogmes. Et le vieillissement est un domaine où pullulent les dogmes et les clichés. En France, pendant longtemps, on a vécu le vieillissement comme un handicap alors que c’est une chance ! D’abord pour les personnes qui vivent plus longtemps, mais aussi pour la société. Les personnes âgées consomment, et elles

assurent la transmission auprès des plus jeunes. N’avez-vous pas l’impression que les personnes âgées elles-mêmes sont dans une forme de jeunisme plutôt que dans une acceptation du vieillissement ? Il y a les deux. Comme elles ont des capacités physiologiques plus importantes, elles refusent le cliché. Mais il y aussi ce sentiment d’utilité. L’un n’empêche pas l’autre. En la matière, avez-vous observé des différences de culture entre les États-Unis, la France et l’Asie ? Partout les personnes âgées se ressemblent. Mais aux États-Unis, les seniors revendiquent le « non » à la dépendance alors qu’on a tendance, dans nos cultures latines, à considérer qu’elle est inéluctable. Pourquoi la maladie d’Alzheimer fait-elle si peur ? Parce qu’elle commence par des troubles de la mémoire qui vont, au fur et à mesure, retentir sur notre capacité à réaliser des actes de la vie quotidienne. Le sujet va avoir une altération du jugement, une perte de l’orientation et une dépendance physique et cognitive importante. Chez certains, cela va évoluer très rapidement, chez d’autres très lentement. C’est une maladie sur laquelle on peut intervenir au stade précoce avec des possibilités d’action de plus en plus importantes. Et ça, tout le monde ne le sait pas. C’est une maladie très fréquente puisqu’elle va atteindre un tiers des plus de 80 ans. Souffre-t-on plus que par le passé de cette maladie ? Non, c’est même presque l’inverse. On en souffre davantage parce qu’il y a davantage de personnes âgées. Mais si l’on prend aujourd’hui 100 personnes de 70 ans, il y en a moins qui vont développer la maladie d’Alzheimer dans les 5 ans qu’il y a 20 ans. C’est dû à l’éducation, à la prévention, à l’exercice physique, à la nutrition, au traitement de facteurs vasculaires et métaboliques. Mais comme le sujet, au lieu de vivre 5 ans, va vivre 10 ans, il risque d’être plus exposé et de l’avoir après. Votre propos n’est pas très encourageant… Au début, il n’y avait que des patients métastasés et c’était difficile d’agir. Aujourd’hui, grâce aux bio-marqueurs, on parvient à détecter des lésions importantes avant que le sujet n’ait la maladie. Les plaques amyloïdes, qui apparaissent au niveau du cerveau entre 50 et 60 ans, mettent des années à s’installer, et vont rester asymptomatiques pendant à peu près 10 ans. Les détecter à temps nous donne désormais une possibilité d’action. On travaille sur différents traitements : il y a des anticorps monoclonaux qui vont faire disparaître ces plaques amyloïdes, et des molécules pour empêcher la production de ces plaques. Mais le plus important peut-être, c’est que des études poussées et récentes montrent que l’exercice physique diminue l’apparition de ces plaques. Va-t-on vers une généralisation des dépistages ? Avant cela, il faut que l’on ait prouvé l’efficacité des traitements. Le problème des maladies liées au vieillissement est que ce sont des maladies longues. Donc les études durent plusieurs années. Elles sont en cours et une fois que l’on aura des résultats, s’ils sont positifs, il faudra passer par le dépistage. À quand la mise sur le marché des médicaments ? D’ici 5 ans. On a des études en phase 3 qui vont se terminer. Actuellement, pour faire le diagnostic de ces lésions amyloïdes, il y a le Pecsam qui coûte cher, l’étude du liquide céphalorachidien qui nécessite une ponction lombaire, et à l’avenir, on l’espère, des dosages biologiques plasmatiques, c’est-à-dire des prises de sang, comme pour le dépistage des maladies cardio-vasculaires. Que sait-on de la perception qu’ont les malades de leur maladie ? Au début, ils s’en rendent compte. Quand la maladie est plus sévère, il y a toutes les formes : le sujet calme et paisible, qui ne se souvient pas mais pour lequel ça se passe bien ; celui qui rencontre des complications psychiatriques avec des délires, des hallucinations. C’est plus compliqué car ils revivent leur passé, des évènements, ils imaginent qu’ils sont poursuivis. Dans ce cas, on est proche de la démence ? La maladie d’Alzheimer crée une démence à partir du moment où il y a une destruction importante du cerveau. Il y a 50 ans, Alois Alzheimer a découvert la maladie sur une jeune femme qui avait 40-50 ans. À l’époque, un sujet de 70 ans paraissait âgé. Donc perdre la mémoire paraissait normal. C’est pour ça qu’on parlait de démence sénile. Maintenant les sujets de 70 ans sont en pleine forme. Donc s’ils perdent la mémoire, c’est vraiment qu’il  y a une pathologie. Explique-t-on autrement que par la psychologie le fait que les souvenirs qui demeurent chez les malades sont souvent les plus anciens ? Ce n’est pas par la psychologie mais par les atteintes des neuro-médiateurs, et notamment ce qui est atteint le plus fréquemment dans la maladie d’Alzheimer, la zone hypocampique, qui joue un rôle dans la mémoire récente. C’est ce qui est le plus souvent altéré. Souvent des étudiants en médecine se font avoir parce que le patient connaît sa date de naissance. Alors qu’en réalité, quelqu’un qui donne sa date de naissance ne se souvient plus de son âge. Les émotions ont-elles un rôle important ? Ce n’est pas parce qu’un patient ne va pas reconnaître des membres de sa famille que l’affectivité ne persiste pas. Il y a une différence entre la destruction du cerveau et l’affectivité. On se rend compte que des patients vont changer leur comportement, se mettre, par exemple, à ne manger qu’en présence d’un proche même s’ils ne savent plus de qui il s’agit. Quel comportement doit-on adopter face aux malades d’Alzheimer ? Il faut comprendre que le patient n’est plus capable de faire quelque chose. Quand on est fortement attaché à quelqu’un, on aime qu’il continue à être actif. Il y a souvent des conflits dans une famille. Par exemple, on va engueuler quelqu’un qui ne bricole plus. Mais s’il ne bricole plus, c’est qu’il n’en est plus capable. C’est important que l’environnement le comprenne. Il faut lui remplacer cette activité par une autre qu’il est capable de faire. L’exercice de la médecine a-t-il changé votre façon de voir la vie ? C’est plutôt l’inverse : ce sont quelques évènements de ma vie qui m’ont amené à modifier ma perception de la médecine. Quand j’étais interne, très fier de moi, je devais partir en coopération aux États-Unis. J’ai dû faire une radio qui a révélé qu’il fallait me faire une thoracotomie. Heureusement ce n’était rien. Mais pendant quelques mois, je me suis retrouvé dans les couloirs de l’hôpital poussé par un brancardier. Avoir été pendant quelques temps de l’autre côté de la barrière permet de voir la médecine sous un autre angle. Avez-vous peur de vieillir ? C’est désagréable de vieillir quand on a l’impression de perdre un certain nombre de ses capacités. La dépendance, ça ne fait envie à personne

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