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BOUDU

Pyrénées : Les pionniers de l’or blanc

LES PREMIÈRES TRACES DE SKI

Décembre 1918. Dans le salon du Grand Hôtel de Font-Romeu (66), ouvert quelques mois plus tôt, des dames sirotent un sidecar (cognac, liqueur d’orange et jus de citron) en observant le ballet des serveurs. Ettore Bugatti bavarde avec le prince de Monaco près des baies vitrées. Dehors, toutes les 30 minutes par -20°c, l’employé Frédéric Grau arrose la patinoire naturelle. Des patineurs de niveau national ont offert un spectacle, plus tôt dans la journée, aux locataires des 150 chambres de l’établissement. Avec sa façade de granit de 150 mètres de long et ses 365 baies vitrées, la bâtisse de l’architecte Henri Martin en impose. Au cœur des années folles, « l’hôtel accueillait une clientèle aristocratique, des artistes, des hommes d’affaires. Ce n’étaient pas des aventuriers. On déplaçait à Font-Romeu le confort auquel ils étaient habitués », raconte Christian Sarran, le directeur de l’office de tourisme de Font-Romeu. 

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La première saison de sports d’hiver est inaugurée en 1920. Les touristes fortunés viennent s’adonner aux joies du bobsleigh, du curling ou du hockey sur glace. À la même époque, Luchon (31) est en plein essor. Dès 1904, avec la création du Syndicat d’initiative, le pharmacien Ludovic Dardenne a pris les choses en main avec un slogan – « Luchon, toute l’année » – et une ambition : créer à Superbagnères une station d’altitude. Avec Jean-Raoul Paul, futur directeur de la Compagnie des chemins de fer du Midi, Ludovic Dardenne imagine une liaison entre Luchon et Superbagnères, destinée à remplacer le chemin muletier. Les travaux du train à crémaillère débutent en 1911, sous l’égide de la Société des Chemins de fer et hôtels de montagne aux Pyrénées, et se terminent un an plus tard. La première Guerre mondiale ralentit les projets de Ludovic Dardenne. En 1922, un Grand Hôtel conçu par le même architecte qu’à Font-Romeu remplace le vieux chalet de Superbagnères, tandis que le premier remonte-pente des Pyrénées – un treuil électrique tirant les skieurs sur un traîneau – est installé sur les pentes de Coume.

Pendant que Font-Romeu et Superbagnères se disputent le statut de pionniers, une autre station se distingue. En 1936, un comité, destiné à favoriser l’installation de stations de sports d’hiver en France, estime que Luchon-Superbagnères pourrait constituer une « grande station régionale ». Mais pour la station internationale des Pyrénées, le comité désigne Puymorens, une station de mineurs. Le ski, moyen de locomotion des ouvriers de la mine, est devenu en quelques années une attraction touristique encouragée par la présence du transpyrénéen. Construit en 1904 par le ministre des affaires étrangères et député de Foix Théophile Delcassé, le train marque l’arrêt à l’Hospitalet-près-l’Andorre (09) et permet aux skieurs de rejoindre à pied le col du Puymorens, six kilomètres plus loin. La commune de Porté (66) s’équipe d’un téléski en 1938. Mais quelques mois plus tard, l’incendie de la remontée mécanique – sans doute criminel – met fin à ces ambitions de station internationale.

En 1937, deux remonte-pentes font leur apparition à Font-Romeu. Haut lieu de l’entraînement des équipes de bobsleigh et de luge, la station permet désormais la pratique du ski de descente. C’est pourtant au téléski de Superbagnères, installé en remplacement du treuil « sur les pentes de la cabane », que Le Figaro rend hommage dans son « Carnet des skieurs » du 21 janvier 1938 : « Grâce à son débit, les skieurs seront remontés rapidement sur le plateau et pourront ainsi faire plusieurs descentes sur ces champs de neige très vastes. […] Superbagnères est la station idéale pour les remontées mécaniques qui sont en vogue plus que jamais. »

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Après la seconde Guerre mondiale, une clientèle fortunée continue d’affluer dans les palaces de Font-Romeu et de Superbagnères. Pour Joseph Rives, jeune moniteur à Luchon en 1953, Superbagnères est alors « le Megève des Pyrénées ». À l’époque, il propose ses services à la journée ou à la semaine. Ses clients l’invitent souvent à déjeuner au Grand Hôtel. Un étalage de luxe et de raffinement qu’il n’a pas oublié : « Moi qui sortais de ma campagne, je n’étais pas à l’aise à table ! ». Mais l’accident du train à crémaillère, le 20 février 1954, obscurcit le tableau. Ce jour-là l’affluence est très importante et les skieurs attendent pour redescendre. « J’étais monté skier avec des amis et on a voulu prendre le train à 1 500 mètres. Le premier qui est passé était plein, alors on a pris le suivant ». Sans le savoir, il laisse passer le train qui termine sa course quelques centaines de mètres plus bas, en partie broyé par le choc. L’accident, dû à une erreur d’aiguillage, fait neuf morts. « On est redescendu à pied – à l’époque il n’y avait pas d’hélicoptère – et on a tout vu… »

UNE AVENTURE HUMAINE

Des visions et de la débrouille

Depuis la fin des années trente, les clubs de ski se sont multipliés dans les Pyrénées. Des passionnés grimpent à pied les pentes enneigées de leur vallée pour s’offrir quelques minutes de glisse, juchés sur des skis en bois de deux mètres de long, équipés de grosses chaussures en cuir qui prennent l’eau. À Guzet (09), le ski club de Saint-Girons a de grandes ambitions et en 1958, portée par le député René Dejean, une station voit le jour. Deux fils neige sont installés, financés par une souscription publique qui a permis de rassembler deux millions d’anciens francs. « C’était des câbles auxquels on s’accrochait avec une ceinture. Avec ça, on ne parcourait que de petites distances », décrit Jean-François Maurette, enfant du pays et moniteur de ski. Les skieurs du club saint-gironnais se chargent du montage, dans un mètre de neige fraîche.

Deux ans auparavant, un employé de Pechiney installe à Goulier des remontées mécaniques pour les enfants de l’usine. Une petite station se développe en amont de Vicdessos (09), tenue par des bénévoles, soutenue par le comité d’entreprise qui finance notamment le matériel utilisé pour remonter les pentes. La commune de Vicdessos, où Marcel Bergaye est élu, appuie l’initiative : « On récupérait tout ce qu’on pouvait et on le modifiait. Pour le déneigement, on avait acheté un 4×4 sur lequel on avait fixé deux lames. La première remontée était un téléski thermique avec un moteur diesel, qui montait jusqu’à la moitié de la pente. Le reste se faisait à pied. »

Petit jeu des années 20 : fixez le centre de l’image et louchez pour que les deux silhouettes du skieur à terre se chevauchent. Magie ! Une image en relief apparaît au centre.


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Les skieurs fous de la montagne Noire


En 1945, au sortir de la deuxième Guerre mondiale, la jeunesse mazamétaine se réunit autour d’un projet un peu fou : construire une station de ski près de chez eux, sur les contreforts de la Montagne noire. Soutenue par un riche industriel de la région, une poignée de bénévoles rénove un refuge au Triby (81) et installe un remonte-pente sur le site du Roc des Loups. « C’était un gros moteur de camion avec une corde tressée à laquelle on s’accrochait avec les mains, se souvient Jean-Paul Riols. La corde avait tendance à arracher les vêtements, à tel point qu’une fois, on a retrouvé une femme en sous-vêtement ! » À l’époque, Jean-Paul Riols est encore un enfant. Ses jeudis, il les passe dans l’atelier de son père, à visser les carres sur les skis que l’ébéniste bricole pour les gens du coin. Le week-end, il dévale les étroits chemins verglacés du pic de Nore. « Certaines pistes n’étaient pas desservies par le fil neige. Il fallait remonter à pied, les skis sur

l’épaule. Dans ces cas-là, le premier skieur qui descendait avait un sifflet à roulette pour prévenir ceux qui montaient. » Jusqu’à 1 000 personnes défilent au Triby chaque fin de semaine, dans une ambiance bon enfant. « Il y avait là-haut une solidarité extraordinaire. Une année, la neige avait piégé les voitures. Un homme est monté avec son tracteur et des lames, il a ouvert la voie à travers le pré. Seul le camion de boissons chaudes s’est renversé et à fini l’hiver là ! » Les skieurs mazamétains réputés « un peu fous », habitués à éviter les hêtres de leur forêt, s’illustrent aux compétitions de slalom et entrent en concurrence avec les Pyrénéens. « Ils ne le supportaient pas, et parfois ils en venaient aux mains ! ». Mais au milieu des années 1960, cette aventure extraordinaire se termine. La neige se faisant plus rare au Triby, les Mazamétains se reportent sur les toutes

nouvelles stations pyrénéennes, et notamment Les Angles, dont la nature encore sauvage rappelle leur forêt natale.

UNE AVENTURE HUMAINE

La glisse, c’est de l’emploi

À l’aube des années 1960, le village des Angles (66), comme tant d’autres dans les Pyrénées, vieillit et se vide. Symbole des trente glorieuses, le confort moderne n’a pas atteint cette vallée reculée. Dans les rues en terre battue recouvertes de « boue de vache », de vieilles paysannes, fichu noir, châle noir, prélèvent l’eau qui coule sans discontinuer depuis la montagne dans l’une des fontaines du village. On se chauffe au bois abattu dans la forêt de la Matte non loin de là et dont la résine sert pour l’éclairage. « Le village était en dehors des circuits commerciaux, personne ne venait aux Angles par hasard, raconte le maire actuel Michel Poutade. Les délibérés municipaux de l’époque témoignent de ces conditions, où les jeunes mangeaient en hiver le pain qu’ils avaient durement gagné l’été. » Passionnés de ski et élus locaux se rejoignent autour d’une nécessité : construire des stations pour faire des sports d’hiver un nouveau pilier de l’économie locale. La montagne passait alors, selon André Melazzini, maire de Boutx, «  d’une agriculture personnelle à un développement exponentiel du tourisme ». Pour Richard Bauer, directeur de la station de Mijanes, il était nécessaire de donner aux jeunes une bonne raison de rester. « Les territoires reculés du Donozan connaissaient un exode rural massif. Le ski est devenu un outil de survie. La station de Mijanes est née de la volonté de sauver un pays qui risquait de disparaître. »

L’emploi, voilà l’enjeu qui agite alors les Pyrénées. En 1950, de grands travaux sont lancés sur le barrage hydroélectrique du lac de l’Oule. Vincent Mir, le maire de Saint-Lary (65), obtient alors que la plupart des ouvriers soient logés dans sa commune. Son neveu, Jean-Henri Mir, actuel maire de Saint-Lary, souligne l’impact de ces grands travaux : « Ça a généré une activité économique dans la région pendant dix ans. Mais quand les travaux ont été terminés, les gens se sont retrouvés au chômage. » Au Mourtis, André Melazzini affirme : « La construction de la station a donné du travail à des gens qui avaient été déclassés suite à la perte de leur emploi. » C’est le maire, Henry Dinguirard, qui porte le projet au début des années 1960. Lâché par son promoteur, la commune tient bon et tous ses habitants se mobilisent. En 1965, la station ouvre avec un télésiège, deux téléskis, une dizaine de pistes et un chalet communal, le Tuc de l’étang. « L’effort que faisait la mairie, elle le faisait pour ses administrés, et ils le savaient. On était solidaires. Tous les matins, le personnel avait son petit-déjeuner au Tuc de l’étang. »

Huile de coude et bouts de ficelle

« Les premières années de la station, tout était à faire. On apprenait le métier. On avait un terrain de jeu à dessiner, et les jeux à construire. » Albert Cachou est un des premiers employés quand Piau-Engaly (65) ouvre en 1970, après quatre ans de travaux. Pour diriger le site, la mairie fait appel à l’instituteur Jean-Bernard Vidal. Mission numéro un : former les jeunes de la vallée, pour qui les métiers de pisteur,

mécanicien, moniteur ou perchiste sont inconnus. Toutes les initiatives pour faire grandir les stations naissantes sont les bienvenues. En 1957 à Guzet, Jean-Baptiste Maurette installe une carcasse de wagon sur le parking, au pied des pistes, pour vendre des sandwiches et des boissons. L’unique commerce du coin, précise son fils, Jean-François Maurette. Lui aussi est mis à contribution. « À 15 ans, je damais les pistes avec un rouleau fixé autour des hanches. Comme il n’y avait pas beaucoup de touristes hors vacances scolaires, on skiait pour tuer le temps. Je donnais des cours, huit heures par jour, et le soir je rentrais à ski à travers les prés, depuis le Souleillous jusqu’à Aulus-les-bains, où mes parents avaient une pension de famille. J’y étais cuisinier. »

Partout les riverains se prêtent au jeu. En 1962 aux Angles, deux ans avant l’ouverture de la station, le maire Paul Samson construit un hôtel, tandis que son adjoint, M. Rivieill, ouvre un restaurant avec, au rez-de-chaussée, un magasin d’équipement de montagne. L’ancien maire, Henri Lestable, raconte qu’il n’y a eu à Cauterets (65) qu’un seul loueur de ski pendant 15 ans. Un ancien champion local « qui avait vu comment ça se passait dans les Alpes ».

Faute de moyens, les employés des stations sont souvent sur tous les fronts. À Beille (09), c’est le directeur, Patrice Gaut, qui vend les forfaits, épaulé par le

sénateur-maire Germain Authié – fervent défenseur de la station – et parfois par des clients. Comme ce procureur toulousain, Georges Allière. « Je devais partir sur un secours, alors je l’ai laissé à la vente. Quand je suis revenu, tout était mélangé, les forfaits, l’argent, la numérotation des tickets… Un vrai foutoir qu’il a fallu expliquer au percepteur ! » Tour à tour vendeur, secouriste, dameur et serveur, Patrice Gaut a appris à Beille tous les métiers du ski. « Pour pouvoir prévenir les pompiers, je partais sur les secours avec un Terra 400 de France Télécom. Ensuite j’ai eu une Radio Com 2000, une batterie de deux kilos avec un combiné au bout. Je la portais à la main en essayant de trouver du réseau dans la forêt. » Tous les jours vers 16 heures, il va chercher de l’eau à la source pour le thé. Quant à la route, il la déneige avec le maire d’une commune voisine, perché sur la benne d’un chasse-neige, à jeter des pelletés de sel. Un investissement de chaque instant qui pousse Jean-Bernard Vidal à sortir dans la tempête en 1970. Huit jours de chutes de neige continues avaient fait fermer la station de Piau-Engaly. N’y tenant plus, le directeur et deux employés partent vérifier l’état des infrastructures. « Les téléskis avaient disparu, emportés par une avalanche. On a pleuré comme des enfants à qui on aurait enlevé un jouet. »

LES AMÉNAGEURS

Les grands travaux

Juin 1956. Quatre hommes à dos d’ânes progressent sur le chemin muletier qui monte de Saint-Lary vers le Pla d’Adet. Ils se dirigent vers le chantier de la gare d’arrivée du téléphérique. Les travaux ont repris deux mois auparavant, quand la neige a commencé à fondre, rendant de nouveau accessible ce chantier commencé l’année précédente. À mi-chemin, les quatre hommes saluent les ouvriers. Le long d’un câble tendu dans la pente, les artisans tirent à la force des bras des blocs de béton armé accrochés à une poulie. Des tonnes de ferraille, de béton, des kilomètres de câbles sont acheminés au Pla d’Adet grâce à ce système ingénieux qui permet au téléphérique d’être construit en deux ans.

Dans toutes les vallées, on rivalise d’ingéniosité pour installer les remontées mécaniques, électrifier, urbaniser et apporter l’eau courante dans les futures stations de ski. Objectif principal : la route, qui permettra aux touristes d’accéder aux pistes. À Piau comme ailleurs, elle doit remplacer un chemin muletier. « Il fallait notamment prévoir un pont pour franchir la rivière, explique Jean-Bernard Vidal. Au fur et à mesure que la route avançait, on installait

les remontées mécaniques. Ça a duré jusqu’en 1975, soit cinq ans après l’ouverture de la station. » Des travaux longs, compliqués et donc coûteux, souligne Henri Lestable à Cauterets : « Le chantier avait été estimé à 450 millions d’anciens francs. Entre la construction des pylônes, les litres de béton et les mauvais terrains, ça a coûté 800 millions. » Pour les financer, les stations peuvent parfois compter sur l’État, son Plan Neige (voir encadré), ses prêts bonifiés et ses subventions… mais doivent aussi bien souvent se tourner vers des promoteurs privés.

Les grands hommes du massif

À l’hiver 1957, Vincent Mir inaugure en grande pompe la pièce maîtresse de son projet : le téléphérique du Pic Lumière, celui qui conduira les hordes de skieurs jusqu’au Pla d’Adet, bas de piste de la future station de Saint-Lary. Déterminé à poursuivre son œuvre, le maire fusionne en 1963 les communes de Saint-Lary et de Soulan, multipliant par trois la surface du domaine skiable. En quelques années, la station est devenue l’une des plus prisées des Pyrénées. À tel point qu’en 1961, pour convaincre son conseil municipal de se lancer dans l’aventure des sports d’hiver, Paul Samson, maire des Angles, organise un voyage à Saint-Lary. Ils rencontrent notamment le directeur de la régie municipale, monsieur Prats, un ancien ingénieur des ponts et chaussées. « Il nous engagea fortement à faire la station nous-mêmes, à titre communal, sans autoriser la venue d’un promoteur, même pour faire un seul téléski à son nom. Ainsi nous resterions les patrons chez nous.* » Ravi de sa visite, le petit groupe repart avec les statuts de la régie municipale de Saint-Lary. Il s’en inspirera pour créer la Régie populaire des sports et loisirs en 1964, présidée entres autres par le maire, l’instituteur et le curé des Angles.

À Ax-les-Thermes (09), le « visionnaire » s’appelle Paul Salette. « Un hyperactif, rugbyman, résistant, pharmacien, maire d’Ax et conseiller général, décrit Jean Graulle, historien. Il se désolait de voir sa ville ne

fonctionner que l’été, avec la saison thermale. » Au début des années cinquante, l’édile se met en tête de faire dans sa ville ce que font ses voisins : une station de sports d’hiver. Il imagine un téléphérique, reliant Ax-les-Thermes au Saquet en six minutes. C’est sans compter l’opposition du conseiller général socialiste Pierre Aliot, qui voit plutôt une série de télébennes. Contre l’avis du conseil général et sans ses subventions, Paul Salette tient bon. « Il a voulu son téléphérique et il l’a fait, en 1956. Il a emprunté 200 millions d’anciens francs à la banque, une dette qu’Ax-les-Thermes a remboursée jusqu’en 1978 », raconte le moniteur Jean-Louis Fugairon.

*Paul Samson – une vie, une station, destins croisés, Robert Vernhes

Le plan neige

Face à la multiplication des fronts de neige, l’État s’en mêle. En 1955, un décret pose les conditions pour le classement en stations de sport d’hiver et d’alpinisme. Altitude de l’agglomération de rattachement, voie d’accès, capacité hôtelière, équipement sanitaire, services de secours, remontées… tout est prévu pour faire de ces sites de parfaits lieux d’accueil des touristes, toujours plus nombreux. Pour absorber la demande et palier le manque de neige à moyenne altitude, le gouvernement Pompidou lance en 1964 un plan d’aménagement de la montagne. Le Plan Neige consacre les stations intégrées, ces sites d’altitudes conçus exclusivement pour la pratique du ski et souvent bétonnés. Une heure de gloire pour les promoteurs qui, volant au secours des locaux dépassés, assurent de A à Z l’aménagement, l’urbanisation et l’exploitation de la station.

Guzet : Le promoteur, le fisc et le triton

En 1969, criblé de dettes, le syndicat intercommunal d’Aulus-La Trappe confie la gestion de la station à Adrien Pippi, propriétaire de la Société industrielle d’exploitation du béton armé (SIEBA). Spécialisé dans la fabrication de pylônes électriques, l’homme est un habitué de ce genre de projet : l’urbanisation de Port-Leucate dans l’Aude, c’est lui. « Construire des chalets, ça nous changeait du bord de mer, sourit Adrien Pippi. Nous avons accepté la proposition du syndicat, à deux conditions : pouvoir urbaniser le site et développer la station de ski. » La proposition, et bientôt le plan d’urbanisation, sont adoptés. Ils nécessitent notamment l’électrification du secteur, un captage d’eau potable, la création d’un réseau de distribution, un autre pour l’assainissement et une station d’épuration. Pour Michel Dougnac, adjoint au maire d’Ustou, « l’atout d’Adrien Pippi, c’est qu’il était à la fois promoteur immobilier et installateur de remontées mécaniques ». En 20 ans, Adrien Pippi bâtit 1 500 lits, 3 hôtels, 150 appartements, 2 discothèques, un cinéma… dans une architecture qu’il veut intégrée, en bois et en pierre de taille.

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Dans les années 1970, la station connaît un véritable succès. Mais l’homme a de plus grands projets pour Guzet. « Pour conforter l’exploitation en hiver et valoriser la saison d’été grâce aux lacs, il fallait prévoir un développement en altitude. » Il imagine d’abord l’implantation d’un nouveau télésiège et la construction d’une piste de fond pour relier le massif du Freychet au col de La Trappe. « Cela devait mettre en valeur les commerces du secteur, qui avaient au moins le mérite d’exister », justifie-t-il. Mais le mouvement écologiste naissant, très actif en Ariège, ne l’entend pas de cette oreille. « Ils ont trouvé un triton dans un ruisseau. Un tout petit lézard qui vit dans l’eau, soi-disant une espèce rare… Un triton ! voilà ce qui a empêché cette piste de se faire. » Et les écologistes n’en restent pas là. Alors qu’un projet de piste de fond dans la vallée du Fouillet est stoppé net par l’Office national des forêts (qui a fait classer le site), ils se dressent contre le dessein le plus ambitieux du promoteur : relier Guzet au versant espagnol, par le pic du Turguilla. 150 kilomètres de pistes et 5 000 lits supplémentaires en Espagne, pour un investissement de 100 millions de francs. Mais durant les travaux, il se heurte à une barre rocheuse récalcitrante. « Il a percé à gauche, à droite et ne s’en est pas sorti, souligne Michel Dougnac. Cette histoire, ça n’a pas été bon pour Guzet mais pour Pippi, ça a été le coup de trop. Faute de pouvoir payer ses dettes, il a dû tout arrêter. » Le promoteur avance une autre version de l’histoire, qui dénonce un harcèlement politique et les contrôles incessants du Fisc, de la Sécu et de la police. À Guzet, le retrait du promoteur freine le développement de la station, sauvant peut-être aussi un patrimoine naturel exceptionnel. « Pippi était un visionnaire, soupire Michel Dougnac. Sans oublier que son équipe bossait toute l’année dans la vallée. Ça en faisait du travail pour les gens de la région. Mais il allait trop vite et ça lui a joué des tours. »

Le damage sans les dameuses

Jusque dans les années 1950, les pistes, c’était du sauve-qui-peut ! » En décrivant les « grosses ferrailles à chevron » qui balisaient les pistes depuis la mine, Jean Ribot, ancien chef d’exploitation de Porté-Puymorens, rappelle surtout qu’alors « les pistes n’étaient damées que pour les compétitions, deux fois l’an. Le reste du temps, on skiait dans la poudreuse ! ». Gendarmes, chasseurs alpins, volontaires des clubs de ski et même classes de neige, tous les hommes et femmes de bonne volonté sont réquisitionnés pour descendre perpendiculairement à la piste, selon la technique de l’escalier. En 1967, alors que l’équipe de France de ski s’entraîne à Saint-Lary, le champion François Vignole commente à l’ORTF : « On fait cinq pas par mètre, sur 3 400 mètres, je vous laisse faire le compte… ça fait beaucoup de crampes à la sortie ! »

Jean Ribot se souvient aussi des lourds rouleaux en bois que les pisteurs se fixaient parfois à la taille pour damer les pistes. « C’était épique ! Les planches étaient mal clouées et quand on allait trop vite, elles se détachaient et passaient par-dessus les skieurs. Il fallait monter le rouleau par le téléski et descendre avec. Trop de pente et ça allait trop vite ; mais pas assez, on n’avançait pas. » Dès la fin des années soixante pourtant, les dameuses débarquent dans les Pyrénées. Légères, d’abord. « La première qu’on a eu nous avait été prêtée par un constructeur, commente Jean Ribot. Elle ressemblait à une voiture avec des chenilles dessous. » Il faut dire que les bonnes machines, achetées dans les pays nordiques ou en Allemagne, coûtent cher. À Beille, un mécanicien local a eu un temps la prétention de construire les premières dameuses françaises. Fier de ses machines bricolées avec un moteur Citroën, il appelle un jour Patrice Gaut, alors directeur de la station. « On est monté avec… et on les a laissées sur place. Ça n’a jamais marché. » La station se reporte alors sur le modèle que tout le monde s’arrache : la Ratrac.

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