Qu’est ce qui fait de Climate City une idée qui peut révolutionner la ville ? Le changement climatique a des enjeux à l’échelle globale mais également à l’échelle locale, et plus particulièrement à l’échelle des grandes zones urbaines, qui sont à la fois très vulnérables face aux impacts de l’évolution du climat et responsables d’une grande partie de cette évolution. Toute la force de Climate City réside dans le fait de pouvoir intégrer cette vision dans une approche scientifique et politique opérationnelle et inédite. Une ville comme Toulouse subit les influences négatives du changement climatique global, comme toutes les grandes villes dont l’urbanisation est en forte croissance et les plans d’adaptation réels et concrets au changement climatique en devenir.
Pourquoi les villes sont-elles si importantes lorsqu’on parle de changement climatique ? Elles sont les premières responsables du changement climatique mais également les premières victimes. Les villes représentent 66 % des émissions de gaz à effets de serre dans le monde alors qu’elles ne représentent que 2 % de la surface du globe. Par ailleurs, plus de 50 % de la population mondiale vit en ville. Il faut donc aider la population là où elle se trouve. L’un des enjeux majeurs pour réussir l’adaptation de l’humanité au changement climatique est de se focaliser sur les villes, de maîtriser l’anticipation et l’adaptation du climat urbain.
Climate City est né à Toulouse en 2015. Pourquoi ? Le Professeur Yves Tourre, ancien de Météo France, dynamicien du climat et chercheur associé à l’université Columbia, et moi-même avons envisagé de compléter les observations in situ et les observations satellitaires, pour appréhender le climat des villes, par un réseau de ballons captifs qui voleraient au-dessus des villes. Ce projet a été présenté à la COP 21 en décembre 2015 et a obtenu l’un des plus beaux prix, le grand prix Generali, issu de la conférence sur la qualité de l’air : Les Respirations. Cette distinction nous a encouragé à créer Climate City qui est donc une société née de la rencontre entre des professionnels de l’aérospatial et du climat. Même si nous travaillons en étroite collaboration avec des équipes canadiennes et américaines, basées à Trois-Rivières et à New-York, le projet continue d’être piloté sur le plan stratégique et économique depuis la Ville rose.
Comment fonctionneront ces ballons qui voleront au-dessus de nos têtes dans quelques années ? Nous avons développé la technologie des Climates Birds, ces fameux ballons captifs attachés au sol, qui volent à 450 m d’altitude. Ils enregistrent dans l’atmosphère les 50 paramètres dont nous avons besoin pour comprendre le climat. La température, les vents, les radiations en font partie. Nos instruments prennent en compte des phénomènes générés par l’activité anthropique de la ville. Ils intègrent également l’impact du climat global extérieur sur la ville.
C’est-à-dire ? Le changement climatique a un impact local avéré. Il existe un climat particulier dit urbain influencé par des phénomènes globaux mais aussi par des phénomènes hyper locaux. Si un quartier a du mal à respirer, peut-être faut-il réguler son climat urbain par une meilleure compréhension des phénomènes qui le touchent et par les choix d’urbanisme, d’aménagements divers à mettre en place ! C’est pourquoi Climate City travaille sur l’anticipation du changement climatique à moyen et long terme, grâce à la récupération de données nouvelles – à 450 m dans l’atmosphère – et à la modélisation de celles-ci en les enrichissant de données et de modèles déjà existant.
Ce projet, qui s’inscrit sur un temps long, n’est-il pas difficilement compatible avec le temps du politique ? C’est, en effet, une difficulté. La préoccupation principale est encore aujourd’hui économique avant d’être climatique. Si on veut transformer durablement la ville, et notamment avoir un impact réel sur son climat et sur le climat global, nous sommes obligés de transformer son urbanisme, son organisation industrielle, l’organisation de ses transports, de son énergie… en profondeur. La force de Climate City est de mettre en place des systèmes d’aides à la décision pour ces transformations. Ainsi, les décideurs politiques pourront voir quel type de risque est susceptible de se présenter, dans les années à venir, au sein de leur ville et de quelle manière il est possible de prendre des décisions à long terme, concrètes, étayées par des données et des modèles scientifiques précis, basés sur des données mises à jour en permanence.
Quand ces Climate Birds seront opérationnels ? On travaille aujourd’hui sur le déploiement de démonstrateurs dans plusieurs villes européennes et nord-américaines. Si ces expériences confirment l’efficacité de notre système, ils seront dans le ciel de nombreuses villes du monde dans les deux années. Notre objectif est d’exporter ces technologies à l’échelle mondiale, de déployer des réseaux de Climate Birds au-dessus de plusieurs centaines de villes dans le monde.
Quelles villes pourraient être intéressées par votre technologie ? Nous sommes en contact avec plus de 65 villes susceptibles d’être des villes pionnières. Par exemple, d’ici deux ans, notre système sera déployé dans la région parisienne, à Trois rivières au Québec, à New York dans les espaces de l’université de Columbia et peut-être à Bangalore en Inde. Nous avons déjà étudié 2000 villes dans le monde pour analyser leur situation climatique afin d’établir un classement selon l’urgence de la situation. En raison de l’épidémie actuelle, nous accélérons notre déploiement à une échelle française, pour ne pas perdre de temps, contraints par les déplacements annulés et les confinements obligatoires ! Nous souhaiterions être déployés rapidement à Marseille, Nantes, Lyon et bien entendu à Toulouse.
Quelles difficultés rencontrez-vous pour convaincre les villes de participer ? Le plus difficile est d’arriver à convaincre l’ensemble des acteurs qui participent à l’organisation d’une ville que notre système aura une utilité majeure pour eux, stratégique, économique et politique. Pour l’instant, les réactions pour équiper les villes sont très influencées par des décisions de court terme. Le climat a beau être la priorité mondiale absolue, le combat n’est pas encore gagné pour Climate City. Avec les acteurs financiers qui nous accompagneront bientôt, le dialogue doit s’inscrire dans la durée car nous sommes dans une nouvelle économie, dans une révolution, une transformation complète de notre société en raison des influences climatiques. Ces acteurs ont en effet besoin d’un retour financier basé sur l’expérience d’une exploitation économique réussie, ce que nous n’avons pas pour l’instant et que nous nous efforçons de démontrer. Nous annoncerons un tour de table renforcé bientôt, avec une consolidation financière qui sera opérationnelle début octobre.
Pourquoi avez-vous décidé de quitter votre carrière dans le marketing aéronautique pour prendre le risque de créer votre propre start up ? Je travaille depuis 25 ans sur la vulgarisation et la valorisation des applications spatiales. C’est-à-dire que j’essaie de valoriser une technologie satellitaire complexe pour la mettre à disposition du plus grand nombre, de la faire comprendre et de la vendre (souvent en mode « start-up » d’ailleurs !). Je l’ai fait en créant à Toulouse, à Montréal et à Tokyo le réseau de Conseil Explorer vendu au groupe anglo-saxon AON en 2003 ; je l’ai fait aussi en créant le premier magazine sur l’histoire de la conquête spatiale « Spoutnik » en 2000 et je le fais encore avec Green Origin, une société de Conseil dédiée à l’évolution du monde. J’aime ces aventures d’entrepreneurs imaginatifs que j’espère utiles. C’est la raison pour laquelle lorsqu’Yves Tourre est venu me proposer cette approche du climat urbain, je n’ai pas hésité longtemps. C’est tellement passionnant de pouvoir travailler sur des projets qui auront peut-être une utilité pour l’humanité et pas seulement pour nos intérêts propres. Surtout quand on sait l’impact sanitaire, politique et économique que le changement climatique va avoir sur nos vies.