top of page
  • BOUDU

Realecologik – Roquefort-des-Corbières

À Roquefort-des-Corbières, il fait chaud et le vent souffle fort une bonne partie de l’année. Autant dire que la commune présente les caractéristiques idoines pour y installer des éoliennes et des panneaux photovoltaïques. Aussi lorsque Jean-Marc Bouchet prend, à la fin des années 1990, son bâton de pèlerin pour prêcher la bonne parole (des EnR), il est accueilli à bras ouverts par le maire Christian Théron dans la petite commune située dans l’est du département de l’Aude. Ancien directeur d’agence du Crédit Agricole, il ne met pas longtemps à saisir l’intérêt de développer des énergies renouvelables sur son territoire. « Vu que le village était fauché, j’ai compris qu’il n’y avait pas d’autre façon de s’en sortir. » Convaincu qu’il ne faut pas laisser passer l’occasion, il profite de la traditionnelle cérémonie des vœux, « un moment propice pour faire passer des messages », pour présenter le projet à ses administrés. Et décide de ne pas y aller par quatre chemins pour situer les enjeux : « Je leur ai dit : soit on accepte et on aura des ressources pour améliorer nos conditions de vie, soit on décline et on ne pourra rien faire. » Ainsi posée, la problématique soulève l’adhésion de la population : « Les gens ne sont pas bêtes : si on leur explique pourquoi on installe des éoliennes, ils le comprennent. » L’acceptabilité du projet par la population roquefortoise est d’autant plus facile qu’il est décidé d’installer les 6 mâts d’éoliennes loin du village, pratiquement sur la commune de La Palme : « Du coup, c’est eux qui les voient, reconnaît l’ancien maire de Roquefort. Ils ont un peu râlé à l’époque mais ils ne pouvaient rien faire. »


Roquefort-des-Corbières

Christian Théron, maire de Roquefort de 1988 à 2014


Le projet mettra néanmoins 12 ans avant de sortir de terre, faute à une procédure fastidieuse et semée d’embûches. Reste qu’à la sortie, la manne financière est considérable : en additionnant les revenus (location des terrains + taxes) provenant de l’éolien à ceux issus des différentes installations photovoltaïques qui ont ensuite vu le jour sur la commune, dont la centrale solaire au sol inaugurée en 2016 par sa fille Marie-Christine Théron-Chet, qui lui succéda à la mairie en mars 2014, c’est près de 280 000 euros qui tombe encore aujourd’hui tous les ans dans l’escarcelle de la petite commune des Corbières. Désireux de profiter à fond de la poule aux œufs d’or, le maire n’allait d’ailleurs pas attendre l’inauguration des premières éoliennes en 2011 pour enclencher un second projet de 15 éoliennes accepté par le préfet de l’Aude en décembre 2008. Mais c’était sans compter sur une plainte de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) qui de recours en recours finit par obtenir gain de cause avec l’abandon définitif du projet en 2018. Un véritable gâchis pour Christian Théron qui évoque un manque à gagner de « 250 000 euros supplémentaires chaque année.Tout le monde était pour dans le village, car ils ont bien vu que les EnR ont permis de refaire le foyer rural, de rénover la place du village… »

Une assertion que l’actuel locataire de l’Hôtel de Ville, Luc Castan, n’entend cependant pas de la même oreille. D’une famille enracinée sur le territoire depuis 1607, « ce qui explique mon attachement à la commune », il a été adjoint de Chrsitian Théron jusqu’en 2001 avant de se présenter face à sa fille lors du dernier scrutin en promettant, notamment, l’arrêt des projets éoliens. Une prise de position qu’il justifie autant par une acceptabilité plus difficile de la population que par un gain qui s’est étiolé au fil du temps. Dit autrement, le jeu n’en vaut plus la chandelle depuis que les règles en matière de fiscalité ont changé. « Tout partant désormais au Grand Narbonne, l’éolien n’est plus intéressant pour la commune. Car la production d’EnR, on ne l’envisage que comme des revenus potentiels. » Pour le désormais nouvel homme fort de Roquefort, cette promesse électorale a compté dans le choix des habitants de l’élire à la tête de la commune : « Parce qu’ils sont comme partout ailleurs : favorable aux EnR… à condition de ne pas les voir. » Désormais aux commandes, l’élu n’a pas changé d’avis : « L’éolien, il y en a suffisamment, visuellement, c’est perturbant, surtout les éclairages de nuit. » Son adjoint Jackie Boulain clôt le sujet : « L’éolien, ici, c’est terminé. »


Roquefort-des-Corbières

Luc Castan, actuel premier magistrat de la commune


C’est dans ce contexte que TotalEnergies et In Vivo, le premier groupe coopératif agricole français, commencent à réfléchir, en 2020, à un projet permettant de venir en aide aux viticulteurs. Car dans ce coin particulièrement aride des Corbières, on manque cruellement d’eau. De surcroit, la région est en proie à un phénomène de réchauffement avec un sur-ensoleillement de plus en plus préoccupant dès le début de l’été. Joël Castany, aujourd’hui à la tête du conseil d’administration de Cordier by In Vivo après avoir dirigé la cave coopérative de Leucate pendant 30 ans, témoigne : « La température au sol atteint les 50°C, avec un phénomène de sèche-cheveu et un dessèchement de la grappe. Sur certaines parcelles, on a l’impression que le feu est passé ». Pour y remédier, une solution émerge : celle de couvrir les vignes pour lutter contre l’assèchement des sols et limiter l’évaporation au moyen d’un outil de protection climatique qui agit en modulant le climat d’une parcelle agricole et en protégeant la culture des excès climatiques. Ce système est composé de panneaux dynamiques installés sur une structure adaptée à l’exploitation agricole. Leur mouvement est piloté par un algorithme intelligent afin de répondre aux besoins des variétés qui seront plantées sur les parcelles de l’exploitant. « Des capteurs sont présents sur la parcelle et collectent en temps réel des données climatiques (température, humidité, vent…). Et c’est à partir de ces données qu’est déterminé le pilotage des panneaux », résume Elise le Delaizir, en charge du projet pour le compte de TotalEnergies Renouvelables. Ce projet d’agrivoltaïsme, l’opérateur privé qui s’appuie sur la technologie conçue par Ombrea pour le mettre en œuvre, a compris qu’il fallait qu’il soit piloté par l’agronomie et non par la production d’électricité : « C’était la condition sine qua non pour nous », insiste Joël Castany. Cela fait longtemps que l’on réfléchit à des alternatives innovantes. On a par exemple été les premiers à faire de l’irrigation à partir d’une station d’épuration à Roquefort. »


« Dès le début, on a priorisé le bien-être des cultures, confirme Elise le Delaizir. Notre objectif est avant tout de préserver les cultures et de donner des outils pour contribuer à faire perdurer l’activité. » Rassuré sur les intentions de TotalEnergies Renouvelables, le viticulteur se heurte cependant à un problème inattendu, celui de la cartographie. Le but de la manœuvre n’étant pas de mettre du photovoltaïque sur la vigne en place mais de planter la vigne en-dessous dans le cadre d’opérations de rajeunissement, il faut trouver du parcellaire d’un seul tenant et restructurable. « L’idéal aurait été la commune de La Palme. Mais la loi Littoral l’interdisant, nous nous sommes rabattus sur Roquefort, au lieu-dit Grande-Cerbe. » Dans la commune encore échaudée par les derniers épisodes sur l’éolien, le projet est néanmoins vu d’un bon œil par le Conseil municipal. Même si la surface occupée par la vigne a baissé de 25 % en 30 ans, il reste toujours une quinzaine d’exploitations. Comme il s’agit de la seule activité génératrice d’emplois, pas question de la négliger. « Si c’est efficace, ça peut valoriser la culture de la vigne et rendre la production meilleure. On ne peut qu’y être favorable », explique Luc Castan. Convaincu du bien-fondé de ce projet pour sa commune, il n’en demeure pas moins persuadé que celui-ci n’emportera pas tous les suffrages : « Il y aura nécessairement des gens qui vont s’élever contre, il risque même d’y avoir un peu de jalousie entre viticulteurs… » Joël Castany craint que son projet pâtisse de l’ambiance délétère qui règne dans le village depuis la dernière élection : « On sait qu’il y aura des opposants mais le projet ne peut pas être combattu parce qu’il n’existe aucun argument sérieux pour s’y opposer. Après, la subjectivité, ça ne se combat pas… » Consciente du risque de voir une partie de la population prendre le projet en grippe, Elise le Delaizir ne ménage pas sa peine pour répondre à toutes les interrogations/craintes des riverains : panneaux explicatifs, permanences publiques, registre de doléances installé en mairie, site internet dédié, la cheffe de projet de TotalEnergies se veut confiante : « Si ce projet ne fonctionne pas, vu sa nature, la concertation qui est mise en place, les problèmes de sur-ensoleillement que l’on rencontre sur le territoire, aucun ne passera ! » Un avis partagé par Joël Castany, grand apôtre de la « micro-économie en puzzle » : « Je ne crois pas beaucoup aux grands discours incantatoires : la réalité du terrain, c’est l’initiative. Le mouvement crée la marche, et le fait précède le droit. C’est comme ça que j’ai toujours fonctionné et ce en quoi je crois. » Du côté de l’opérateur, l’opiniâtreté du territoire force le respect : « C’est un projet révélateur d’une volonté d’un territoire de ne pas être spectateur, et de s’adapter aux avancées technologiques, observe Jean-Luc Sanchez, chargé des affaires et relations extérieurs pour l’Occitanie. Roquefort, c’est presque un showroom de tout ce que l’on peut faire en matière d’énergies renouvelables ! »

 

(Aussi) une affaire d’argent


Roquefort-des-Corbières

Joël Castany a beau être convaincu que la solution Ombrea va grandement permettre d’aider les viticulteurs de son territoire à préserver leurs cultures, il n’en est pas moins lucide sur son intérêt purement financier. « Ne soyons pas hypocrite : la vision agronomique et environnementale, est importante. Mais l’impact financier l’est tout autant. Nous sommes des agriculteurs à très faible revenu, les plus faibles de France et même d’Europe, avec le foncier le plus bas au monde. C’est donc l’occasion d’avoir un complément de revenu, il ne faut pas l’occulter. » Soucieux de ne pas engendrer un déséquilibre entre le revenu agricole et le revenu énergie, l’agriculteur considère que l’accord passé avec TotalEnergies est « gagnant-gagnant » : « Le tarif n’est pas élevé pour eux, et pour moi, c’est ma retraite. Il ne faut pas mâcher les mots : j’ai 800 euros de retraite par mois. C’est un revenu dont je ne peux pas me passer. »

Comments


bottom of page