Au laboratoire de l’INP-ENSIACET de Toulouse, Amélie Miral et Thierry Talou étudient dans le cadre du projet Oncosmo les effets combinés du son et des odeurs sur l’anxiété et l’efficacité des chimiothérapies. Les chercheurs ont mis au point un casque qui, mêlant effets sonores et effluves apaisants, pourrait améliorer considérablement le quotidien des malades. Une preuve supplémentaire de l’importance de l’odorat sur la santé mentale et le bien-être physique.
L’orsqu’on passe la porte du laboratoire Favlab, une multitude d’effluves vient taquiner le nez. Odorats sensibles ou migraineux s’abstenir. Ici se dresse un orgue à parfums où s’alignent quelques centaines de flacons pour autant de senteurs. Certaines ont retenu l’attention d’un duo de chercheurs en quête de propriétés relaxantes. Amélie Miral, chercheuse en diplôme étudiant-entrepreneur, a rejoint en octobre 2019 un chercheur chevronné de l’INP – ENSIACET Toulouse, Thierry Talou, pour travailler à l’élaboration d’un soin de confort destiné à apaiser les patients en chimiothérapie. Ces derniers ressentent généralement une anxiété qui altère la qualité de vie et l’efficacité du traitement. À ce jour, anxiolytiques, homéopathie, exercice physique et huiles essentielles (parfois contre-indiquées en cas de cancer) sont les seules solutions proposées. La jeune chercheuse introduit les odeurs dans une démarche de bien-être pour « concevoir un traitement qui n’est pas invasif, et qui complète ceux qui existent déjà. » Les plantes sont choisies en fonction de leur action positive sur l’organisme. Comme le fenouil, qui atténue la dépression ou la cannelle qui rappelle ces « petits moments de réconfort et de gourmandise de notre enfance ». Les patients se chargent de choisir celle qui leur convient. Quelques minutes au sein du Flavlab suffisent au visiteur pour remarquer l’action de l’odorat sur le cerveau. Un sens peu utilisé dans le domaine médical, au désarroi d’Amélie Miral, intimement convaincue de son intérêt : « Contrairement aux autres sens, l’odorat n’a pas de filtre. Les odeurs arrivent directement au cerveau qui joue ensuite sur les émotions. » À l’initiative du projet, Thierry Talou est lui-même en rémission d’un cancer. La chimiothérapie empêche parfois de percevoir les odeurs : « J’ai moi-même eu des problèmes pour sentir les odeurs, je veux trouver une solution pour réduire cette perte. » Régulièrement, le sexagénaire s’oblige à sentir des odeurs singulières pour retrouver ses capacités olfactives. Une dégradation de l’odorat qui devient souvent un handicap, constaté par Amélie Miral : « On ne se rend pas compte de l’importance de ce sens. J’ai parlé à des personnes qui ont d’importants troubles de l’odorat, la plupart font une dépression. » Des huiles essentielles -senteurs relativement absentes au quotidien- sont souvent préconisées, sans davantage d’accompagnement, laissant les nez dans l’impasse.
C’est dans « Le Cube » que les deux chercheurs ont conçu le prototype pour tester leurs hypothèses. Dans cet espace clos, presque stérile, où s’accumule un matériel éclectique, ils améliorent chaque jour un casque qui a tout du casque audio à ceci près qu’un dispositif placé sous les narines du patient remplace le micro. L’imprimante 3D s’active frénétiquement pour concevoir cet embout à base de fils odorisés. Le casque délivre simultanément des sons de nature apaisants ou Weightless du groupe Marconi Union « Ce morceau musique a été scientifiquement élu la plus relaxante du monde. Son tempo de 60 bpm ralentit naturellement le rythme cardiaque de celui qui l’écoute », explique Amélie Miral. Avant de se rendre à sa séance de chimiothérapie, le patient porte le casque pendant vingt minutes pour recevoir son injection dans de meilleures conditions.
Les 14 essais dirigés par Claire Louboutin, infirmière au CHU de Toulouse en Oncologie médicale, se sont révélés encourageants. Les retours des patients à cette « évasion sensorielle qui les coupe de l’environnement hospitalier » sont positifs, malgré la nécessité d’allonger le temps passé en séance de chimiothérapie. Mais pas que ! Ces séances sont « une aide dans la relation soigné-soignant. On prend le temps de discuter avec le patient, d’écouter ses difficultés et de lui montrer qu’on peut l’aider autrement qu’avec des médicaments. » Ce dernier auto-évalue son état d’esprit avant et après la séance, et le personnel soignant réalise une prise de constantes. « Les patients semblent se sentir plus détendus car leur auto-évaluation du stress après la séance est toujours inférieure à celle donnée avant. Le rythme cardiaque est le paramètre qui diminue le plus », conclut le rapport. Crise sanitaire oblige, le CHU de Toulouse est entré en surchauffe, le masque a pris possession des nez et les essais sont à l’arrêt pour une période indéterminée. Derrière son bureau débordant d’objets et et de babioles, Thierry Talou est confiant quant à des essais à plus grande échelle à la fin de l’année : « Aujourd’hui c’est compliqué de faire des tests en milieu hospitalier, même si on a choisi des variables simples qui évitent d’avoir à utiliser des capteurs ». En attendant, les têtes pensantes du projet envisagent d’ajouter un aspect visuel au casque. « Ce qu’on fait peut être appliqué à de nombreux domaines médicaux où apparait ce stress dont les médecins ne peuvent pas prendre le temps de s’occuper », s’enthousiasme Amélie qui n’a pas attendu pour plancher sur un nouveau projet, « Ressentive ». Elle travaille en parallèle sur la « conception d’odeurs du quotidien pour stimuler et rééduquer l’odorat des personnes âgées ». Laisser l’esprit s’inspirer des odeurs pour les réassocier à des souvenirs et des émanations passées.