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BOUDU

Sorano et Théâtre de la Cité : de l’audace

Lors de vos présentations de saison respectives, vous avez tous deux encouragé les spectateurs à être audacieux dans leurs choix. À quoi bon ?

Stéphane Gil : Quand on est spectateur, il faut savoir se placer dans des situations d’observation, d’approche ou de découpage différentes de ce qu’on connaît. Se placer face à des choses qui nous fragilisent pour, ensuite, ouvrir le débat. Le théâtre est plus intéressant quand il interroge, bouscule voire déplaît, parce qu’ainsi il ouvre la conversation. Quand il est lisse, poli et convenu, on est dans le divertissement, et je ne crois pas que ce soit ce qu’on demande à des maisons comme les nôtres.

Sébastien Bournac : Cela correspond aux aspirations des publics d’aujourd’hui. Ils ont envie de croiser d’autres sensibilités, d’autres points de vue que les leurs. Ils cherchent d’autres schémas de vie et de société. De leur côté, les artistes ouvrent des pistes de réflexion, de rêverie et d’imaginaire. C’est à cela qu’il faut accorder la place la plus belle et la plus grande dans un théâtre. Et puis surtout, il faut laisser les spectateurs circuler d’un théâtre à un autre et se frotter à des propositions différentes. Aujourd’hui, rares sont ceux qui fréquentent un seul théâtre. Les publics du Sorano sont ceux du Théâtre de la Cité, du Théâtre Garonne et d’ailleurs.

S.G. : On est tous de moins en moins fidèles, et dans tous les secteurs ! Cela présente des avantages et des inconvénients, mais c’est une chose entendue. Cela crée beaucoup de curiosité, de zapping et de circulation. Aujourd’hui, un théâtre n’est plus propriétaire des spectateurs comme c’était le cas pour l’ancienne génération, pour laquelle l’esthétique proposée correspondait à une catégorie socioprofessionnelle, à une tranche d’âge ou à un territoire.

Qu’est-ce-qui vous différencie tant des directeurs de l’ancienne génération ? 

S.G. : Aujourd’hui, on ne programme plus comme si on était son propre spectateur. On travaille pour le plus grand nombre, pour des personnes dont on ne connaît souvent ni les codes ni les habitus, et c’est vertigineux. Il faut s’aventurer, choisir des choses qui ne nous plaisent pas mais qui plairont, d’autres qui nous plaisent mais qu’il faudra défendre. Il y a quelques décennies, dans les centres dramatiques nationaux comme le Théâtre de la Cité, on choisissait un artiste pour ce qu’il était, parce qu’on considérait qu’il représentait une des couleurs de la palette artistique française. Les programmations restaient très personnifiées. Aujourd’hui, on ne peut plus présenter qu’un point de vue, d’autant plus que cela se traduisait souvent par du copinage, des réseaux, etc. Les projets de maisons comme le Théâtre de la Cité sont désormais des projets de maison des artistes et non pas de maison d’un artiste.

S.B. : Aujourd’hui, nos programmations doivent être suffisamment éclectiques pour que des publics différents franchissent la porte. Je tiens beaucoup, par exemple, à nos échanges avec le festival indépendant Pink Paradise. Depuis 3 ans nous sommes partenaires, ce qui ne nous empêche pas, la semaine d’après, de programmer Georges Lavaudan ou une jeune équipe qui s’emparera de l’Iliade. Peu importe le registre, pourvu que la joie de faire sur scène traverse toutes les équipes accueillies, et fabrique une famille. La joie, c’est important. Ne pas désespérer le spectateur, ça fait aussi partie du projet !

La joie, c’est important. Ne pas désespérer le spectateur ça fait aussi partie du projet !

Ne pas le désespérer de quoi, au juste ?

S.B. : De ce théâtre contemporain qui ne fait que constater le chaos de l’époque et la misère sociale sans que l’énergie du jeu apporte autre chose. En sortant d’une salle, on ne doit pas simplement avoir constaté que nos vies sont terribles ! Il faut un espoir, des réponses… et l’envie de revenir ! Il faut le dire et le répéter : le théâtre à changé. Ce qui a dégoûté certains spectateurs il y a 15 ou 20 ans ne se fait plus. Le théâtre n’est plus cet art vieux hors du mouvement de la vie. On n’est plus dans l’art pour l’art, ni dans les esthétiques fermées. Le théâtre est à nouveau l’art du spectateur et celui des points de vue. Cela se sent sur scène, et en-dehors, jusqu’au comptoir du bar. Le théâtre c’est un art de la relation pendant et après le spectacle.


Danse Delhi, mis en scène pat Galin Stoev au Théâtre de la Cité, saison 2017/2018


Pour un spectateur audacieux, il faut des programmateurs audacieux ?

S.B. : Toute création a trait à l’audace. Et une programmation, c’est un acte de création qui s’appuie sur l’audace des artistes. Un acte qui vise à faire basculer le quotidien du spectateur sous les effets de l’expérience du théâtre. Tout cela génère de petits vertiges, mais au moins, on se sent vivants ! Pour autant, je n’ai pas le sentiment d’avoir été particulièrement audacieux dans la mise en place du nouveau projet du Sorano. Simplement, tout d’un coup, il s’est agi de donner un nouvel élan qui soit respectueux de l’histoire et de l’âme du lieu. D’inventer quelque chose en rupture, mené avec une relative insouciance. Alors, si c’est jugé par les autres comme de l’audace, tant mieux : le théâtre crée chez le spectateur le besoin de ce qu’il lui apporte. Si on est un tant soit peu vecteur d’une petite audace, alors on crée le besoin de l’audace chez le spectateur !

Étonnamment, quand on vous dit que c’est impossible… vous avez envie de le faire quand même. Ce qui semblait impossible devient alors nécessaire !

S.G. : On est assez caricaturaux, je pense. On arrive à un moment de nos carrières, de nos vies, où l’on a envie de profiter et de faire vite et bien. On a à la fois la maturité et le courage de pouvoir le faire. On a cette énergie qui permet de dépasser certaines peurs, qui ignore le regard des autres et qui incite à se faire confiance. On parle d’audace parce qu’on compare. Mais si on va à Londres, il est évident que ce qu’on fait ne paraîtra pas audacieux. Par chance, on est à Toulouse, dans un moment où le renouvellement de nombreuses directions de théâtres tire l’ensemble vers le haut.

S.B. : Le paysage toulousain est effectivement dans une mutation telle qu’il n’en a pas connue depuis la construction du TNT en 1998. Depuis 20 ans on entendait les mêmes choses, les problématiques sur la formation, les problématiques sur les compagnies. Et là, l’air devient à nouveau respirable. Ça crée du désir chez de jeunes artistes. Je rencontre pas mal de gens qui ont changé de regard sur le spectacle vivant à Toulouse.

La baisse généralisée des subventions conduit-elle à assagir les programmations, à prendre moins de risques artistiques ?

S.B. : Avec un peu de volonté et de ténacité joyeuse, on arrive toujours à faire les choses. C’est vrai pour le financement comme pour le reste. Quand on présente une saison, on est loin d’avoir tout réglé. Par exemple, à l’heure où l’on parle, je ne sais pas comment on va faire pour organiser Les Trois Mousquetaires du collectif 49 701, programmé en mai non pas sur scène mais… dans la ville toute entière ! De même l’an dernier, pour l’Ubu itinérant avec Olivier Martin-Salvan, on a dû improviser au dernier moment. Et ça, cette débrouille, cette incertitude, c’est jouissif. Plus qu’un lieu, je voulais que le Sorano soit une manière de faire du théâtre.

SG : Avec Galin Stoev, au moment de notre candidature, on nous a prévenus qu’on aurait moins d’argent, que tout était dur, que rien ne fonctionnait, que personne ne collaborait. Et donc que c’était la nécessité qui commandait. Et étonnamment, quand on vous dit que c’est impossible… vous avez envie de le faire quand même. Ce qui est impossible devient alors nécessaire. Et on y parvient !


Les Trois mousquetaires, par le collectif 49 701, programmé par le Sorano pour la saison 2018/2019


Par quel moyen ?

S.G. : Ce qui m’a marqué quand je suis revenu à Toulouse, c’est le rythme un peu lent auquel travaille la ville. Une forme de réflexe qui consiste à dire qu’on peut prendre le temps de faire les choses. Par exemple, si on nous dit qu’il faut 20 ans pour une ligne TGV, alors on se soumet à cette idée. Je pense qu’à Toulouse, on s’est habitués à remettre les choses à demain. On nous fait croire que pour programmer un artiste il faut s’y prendre deux ans à l’avance, alors qu’on peut inventer des choses à 6 mois. Ou qu’il faudrait deux ans de réflexion pour modifier la communication d’un théâtre, alors que rien n’interdit de tout faire tout de suite. Quand, par exemple, on a annoncé en février 2017 qu’on envisageait de construire des logements pour les artistes, tout le monde nous a dit que ça ne serait bouclé qu’à la fin du mandat, en 2021, pour des raisons de délais, de sécurité, d’économie etc. Finalement, ça se fera en 6 mois, sans outrepasser de règle ni rien traficoter. Simplement en le voulant.

Sébastien Bournac, quel est le spectacle programmé en 18/19 au Théâtre de la Cité que vous conseilleriez aux spectateurs du Sorano ?

S.B. : Sans hésiter, je leur dirais d’aller voir la création de Galin Stoev, Insoutenables longues étreintes. Pas par flagornerie, mais parce que j’ai trouvé magnifique Danse Dehli, la première proposition de Stoev autour de Viripaev, pour laquelle il a déjà placé la barre très haut. Et puis, j’ai assisté à Avignon à une lecture de Insoutenables longues étreintes, et je peux dire que c’est un véritable défi de mise en scène !

Même question à vous, Stéphane Gil, pour le Sorano ?

S.G. : Les trois mousquetaires par le collectif 49 701. Quinze heures en tout, monté comme une série et joué dans des lieux différents de la ville. Là, le Sorano joue pleinement son rôle dans son savoir-faire hors les murs. Une opportunité de voir une forme théâtrale jeune, ambitieuse, audacieuse. Il faut y aller pour la jeunesse, pour la réécriture de plateau, la revisite du répertoire, la question de la troupe aujourd’hui. Et pour l’expérience… Allez vivre cette aventure-là ! Je l’ai vécue moi-même. C’est inoubliable ! 

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