Les astronomes du Pic du Midi n’ont pas l’apanage de l’observation du ciel. Depuis le jardin de M. Tout-le-monde, un télescope rudimentaire, une paire de jumelles voire deux yeux en bon état son suffisants. C’est ce que nous promet Bertrand d’Armagnac, fondateur de la start-up toulousaine Stelvision.
On nous annonce pour le mois de décembre une belle pluie d’étoiles des Géminides. De quoi s’agit-il ? C’est l’une des pluies d’étoiles filantes les plus importantes de l’année. L’équivalent hivernal de celles de la mi-août, les cigales et le barbecue en moins. Elles portent ce nom parce qu’on a l’impression qu’elles viennent de la constellation des Gémeaux.
Pourriez-vous rappeler aux béotiens que nous sommes ce qu’est une étoile filante ? C’est une poussière ou un petit caillou qui tombe du ciel et qui brûle dans l’atmosphère. Cela se produit quand la terre trouve des débris sur sa trajectoire. En traversant ce nuage, les débris s’échauffent sous l’action du frottement, et deviennent incandescents.
Que verra-t-on cette année ? Sur le papier, on peut compter sur une centaine d’étoiles filantes par minute certains soirs. Évidemment on en manquera les deux tiers parce qu’il est impossible d’embrasser le ciel d’un seul regard. La lumière de la lune, le halo des villes et les nuages en cacheront aussi une partie, mais si le ciel est dégagé il y aura largement de quoi se faire plaisir.
Avec quel équipement ? Un transat et une paire d’yeux. Pourtant, on trouve encore des gens qui n’ont jamais vu une étoile filante de leur vie. À ceux-là je dis : « Un de ces soirs de décembre, trouvez-vous un endroit à l’écart de la pollution lumineuse, mettez-vous en mode contemplatif, et fixez la nuit. » Prendre le temps de contempler le ciel un quart d’heure sans rien faire, c’est déjà une victoire sur l’époque. Ces Géminides sont une bonne occasion de le faire.
D’où tenez-vous cette passion pour l’astronomie ? De ma première lunette trouvée dans Pif Gadget. J’avais 10 ans. Ça m’a plu même si on ne voyait rien du tout. Je me suis tout de suite passionné pour l’observation du ciel. J’ai lu tout un tas de livres, et découvert, émerveillé, que la terre se déplaçait à 30 km/s… Et puis un soir de Noël, j’ai reçu ma première lunette astronomique.
Qu’avez-vous regardé en premier ? Les cratères de la lune. C’est extraordinaire. Avec la magie de l’optique, c’est comme si on était à bord d’un vaisseau spatial. J’ai vu Saturne, aussi. Même avec un télescope modeste, on distingue parfaitement cette boule qui flotte dans l’espace, et les anneaux en suspension tout autour.
Quel intérêt de regarder Saturne dans un télescope quand on peut voir les photos ultra détaillées de Hubble sur internet ? La sensation unique que procure la réalité. Le choc du vrai. C’est moins riche, moins détaillé que les images d’Hubble, mais c’est là, c’est vrai, et c’est vous.
L’idée de faire de l’astronomie votre métier vous a prise à cet âge-là ? J’avais une autre passion, l’informatique. J’ai programmé mon premier jeu sur un ORIC-1. 16 ko de mémoire. Le luxe ! J’ai programmé un Pacman, un jeu de poker, un petit utilitaire type Paint, pour un éditeur qui s’appelait Loriciel. Plus tard j’ai rencontré Frédéric Baille, un jeune qui avait la même passion que moi. Ensemble, on a bossé une année entière après les cours sur un jeu d’aventure : Le diamant de l’île maudite. On avait 16 ans. Le jeu est sorti en 1984 et il s’est très bien vendu. Il y a même eu une adaptation sur Amstrad.
Pourquoi ne pas avoir persévéré ? La peur de passer ma vie devant un écran. J’ai préféré continuer mes études : Maths Sup, Maths Spé et l’ENSTA à Paris. J’ai travaillé pour la marine nationale dans la détection et le brouillage des radars. Puis j’ai passé 17 ans chez Thales dans différents domaines : spatial, télécoms et navigation sur le projet Galileo. Pendant tout ce temps, j’ai un peu oublié l’astronomie, mais l’envie d’entreprendre et la liberté de créer me taraudaient. J’y suis donc revenu autour des années 2000.
Comment ? En cédant à une vogue qui vient des États-Unis, j’ai commencé à fréquenter les star parties : des centaines d’astronomes amateurs qui se donnent rendez-vous dans un endroit paumé, et passent trois ou quatre nuits à observer le ciel, échanger, parler matériel et apprendre à se connaître. Dans la région, Raagso, le Rassemblement des astronomes amateurs du grand sud-ouest, en organise pas mal. Dans la foulée, j’ai créé une petite asso pédagogique pour assouvir mon besoin de partager ma passion, et animé des séances pratiques d’observation pour les enfants et les pré-ados.
Où les animiez-vous ? À l’observatoire de Jolimont ? Dans le jardin de ma maison du quartier Saint-Michel. Même en pleine ville, et malgré la pollution lumineuse, on peut se livrer à des observations intéressantes. Pour prolonger ces ateliers, je me suis formé au web en 2008 et j’ai conçu la première version de stelvision.com. Mon idée était toute simple : mettre en ligne des outils utiles en astronomie sans renvoyer une image savante. En gros, faire envie aux débutants plutôt que de les faire fuir.
De quels outils s’agissait-il ? D’abord une carte du ciel en ligne mise à jour en temps réel. Puis, peu à peu, des actualités sur le monde de l’astronomie, et des articles pédagogiques dans lesquels je donnais des conseils. J’ai publié une carte papier complète en 2011, pour l’observation du ciel à l’œil nu, très simple et très pratique, qui a rencontré immédiatement un grand succès.
C’est ce qui vous a permis de muer ce hobby en métier à plein temps ? Au début, je consacrais tous mes mercredis à l’animation du site et à la création des outils. En 2015, j’ai pris une année de congés pour la création d’entreprise. Confortable parce qu’elle ne rompt pas le contrat de travail. Je partageais mon temps entre mon domicile et la Mêlée Numérique, à Saint-Aubin. Les cartes du ciel se vendaient bien, compensaient la perte de salaire. J’ai mis ce temps à profit pour travailler sur un véritable projet de vulgarisation : la rédaction d’un guide pour observer le ciel aux jumelles. On n’imagine pas tout ce qu’on peut voir avec une simple paire de jumelles ! Et pour accompagner les débutants, le site s’est très vite enrichi d’une boutique de matériel.
Et aujourd’hui ? Nous sommes 4 collaborateurs. Le site reste avant tout une source d’information et de contenus gratuits, enrichie d’une boutique en ligne où l’on trouve à la fois les livres et guides papier que nous concevons et éditons, et le matériel de base pour observer le ciel.
Les smartphones regorgent de cartes du ciel en temps réel, de simulateurs, d’aides numériques à l’observation. Pourquoi publier des guides papier ? Cela peut paraître old school, mais pour apprendre, il n’y a rien de tel qu’un bouquin. L’astronomie peut s’avérer décevante et ingrate au début. D’où l’importance du support avec lequel on débute. Bien sûr, il y a les apps, mais aucune n’explique pas à pas les bases de l’observation du ciel. Notre dernier livre, Le ciel au télescope, tout comme Le ciel aux jumelles, a demandé un travail énorme de documentation et de vulgarisation, que seul peut restituer un guide papier.
Admettons qu’on s’offre une bonne paire de jumelles ou un télescope basique en décembre. Que pourra-t-on observer d’intéressant qui restera invisible à l’œil nu ? Avec un peu de chance, vous verrez Léonard, une comète très intéressante découverte début 2021. Elle passera près de la terre au début du mois et restera très lumineuse.
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