Chaque année en France, un milliard de m3 d’eau potable ne parvient pas au robinet, perdue quelque part dans le système de distribution. Si le chiffre donne le vertige, il recouvre des réalités bien différentes selon les territoires, qui nécessitent des solutions adaptées. Explications avec Eddy Renaud, ingénieur et directeur adjoint de l’unité Environnement, territoires en transition et société de l’INRAE.
À quoi sont dues les fuites dans les réseaux de distribution d’eau potable ? Les fuites, qu’elles soient des canalisations principales ou des conduites de raccordement des usagers, ont plusieurs causes. Elles peuvent être provoquées par les contraintes exercées par le sol sur les installations : alors que dans des terrains sableux, les canalisations sont plutôt protégées, elles vont être davantage malmenées dans les terrains argileux, qui bougent énormément en fonction de l’hygrométrie. Elles peuvent aussi être liées à la corrosion interne ou externe des tuyaux, du fait de l’agressivité de l’eau distribuée ou de l’environnement des conduites, à la dégradation des joints d’étanchéité, ou encore à la pression élevée de l’eau et à ses variations. L’âge des canalisations en lui-même n’est pas une cause des fuites mais il est souvent un facteur aggravant.
La situation est-elle préoccupante en Haute-Garonne ? Selon Sispea, l’observatoire national des services d’eau et assainissement, le rendement moyen dans le département se situait en 2020 entre 80 et 90%, soit dans la fourchette haute, sachant que la moyenne nationale est à 80% et que l’atteinte d’un rendement à 100% est irréalisable. Cela signifie concrètement que les fuites en Haute-Garonne sont de l’ordre de 10 à 20% : pour 5 litres d’eau mis à disposition, 0,5 à 1 litre d’eau revient au milieu naturel sans passer par le consommateur. Toutefois, il est plus que probable que les chiffres moyens cachent de fortes disparités, en particulier dans les zones de montagne.
Comment détecte-t-on ces fuites ? Le gros enjeu est leur pré-localisation, c’est-à-dire qu’il faut pouvoir situer à peu près la fuite avant de mettre en œuvre des méthodes plus précises de détection, qui dans leur grande majorité sont acoustiques (il s’agit de détecter le bruit émis par la fuite). Pour ce faire, il faut segmenter le réseau en plusieurs parties et suivre le volume d’eau qui passe dans chacune de ces parties, notamment la nuit quand les consommations des usagers sont au plus bas. Si dans un secteur, on observe une augmentation importante du débit nocturne, on peut en déduire qu’il y a une ou plusieurs fuites. Cette méthode, appelée sectorisation, s’est beaucoup développée ces 20 dernières années.
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Que devient l’eau perdue ? Majoritairement, elle va s’infiltrer dans le sol et rejoindre une nappe phréatique, c’est-à-dire les eaux souterraines. Elle peut aussi rejoindre les eaux superficielles par écoulement (cours d’eau, lac…) ou encore être évapotranspirée (transférée vers l’atmosphère par l’évaporation au sol ou par la transpiration des plantes). Ainsi en fonction du contexte, une partie de l’eau des fuites peut rejoindre les aquifères dans lesquels elle a été prélevée, mais ce n’est pas une généralité. Tandis qu’en moyenne en Occitanie l’eau potable étant majoritairement issue des eaux souterraines, à Toulouse, elle est presque exclusivement produite à partir de l’eau de la Garonne, et le phénomène de réalimentation par les fuites est donc tout à fait marginal.
Il n’est donc pas toujours pertinent de remplacer les canalisations fuyardes ? La stratégie et les objectifs de réduction des fuites doivent impérativement être adaptés au contexte. En première approche il faut toujours privilégier la réparation des fuites et une meilleure gestion de la pression dans le réseau qui sont efficaces et moins coûteuses que le remplacement des conduites. Selon les zones géographiques, il n’y a pas la même tension sur la ressource (abondance de l’eau, concurrence entre les usages…) et la réduction des fuites est plus ou moins difficile (elle est souvent plus complexe dans les zones rurales). Ce sont des facteurs à prendre en compte si l’on veut avoir une approche globale.
C’est-à-dire ? Faire tourner des fonderies et envoyer des tractopelles pour fabriquer et installer de nouvelles canalisations peut non seulement être contreproductif du point de vue environnemental, mais aussi être une gabegie financière, car l’investissement est généralement de l’ordre de 100 euros à 500 euros par mètre de conduite posée. En raison de ces coûts importants, en France, on change moins de 1% des tuyaux chaque année. Mais la question n’est pas tellement de faire plus, elle est de faire mieux en se donnant les moyens de cibler les portions de réseau les plus critiques.
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