Lorsque Paul Samson décide, en 1961, de développer le ski aux Angles, le petit village des Pyrénées-Orientales est moribond. En plein essor dans les années 1980, la station semble, depuis le début des années 2000, marquer le pas entre manque de neige, spéculation immobilière et préoccupations environnementales. Point culminant de ces interrogations, la dernière élection municipale, loin de rassembler les avis, n’a fait que confirmer un divorce au sein de la population.
Quel regard porterait Paul Samson sur l’évolution des Angles ? Cette question, ils sont quelques-uns, dans les Pyrénées-Orientales, à prétendre être en mesure d’y répondre. Sinon que la situation a tellement changé depuis la fin des années 1950 qu’il est sans doute plus prudent de ne pas importuner le sommeil du fondateur de la station de ski.
Photos : Association Mémoir'Angles et mairie des Angles (Archives)
« Il faut se rendre compte de ce qu’étaient Les Angles dans les années 50. Les gens vivaient en autarcie complète car aucune route commerciale ne passait par le village », pose Michel Poudade, maire depuis 2014. Son prédécesseur à l’hôtel de ville Christian Blanc lui emboîte le pas : « Lorsque la première remontée voit le jour, on est dans un contexte d’extrême pauvreté et d’exode rural très fort. Auquel s’ajoute une hécatombe des hommes à cause des deux guerres. » Lorsque quelques propriétaires de forêts se rassemblent pour acheter le premier télésiège, on ne dénombre plus que 200 habitants dans cette bourgade du Capcir alors que l’on y recensait 800 âmes au début du siècle. L’objectif est alors clairement affiché : amener une activité économique seule à même d’endiguer la fuite des jeunes. La greffe, comme sur l’ensemble du massif pyrénéen, prend tout de suite. Au fil des décennies, la station se développe, le domaine skiable se modernise, les projets immobiliers fleurissent, un complexe aqualudique voit le jour. Les différents maires qui se succèdent semblent ainsi poursuivre l’œuvre de Paul Samson dans une relative harmonie même si la fermeture en 2006 du complexe « dont l’exploitation est trop chère pour les finances de la commune » selon l’ancien maire, et la raréfaction de la neige freinent quelque peu l’élan. Jusqu’en 2014 où Christian Blanc, premier magistrat de la ville, décide de passer la main à son adjoint Michel Poudade. Alors que tout est réuni pour que le passage de témoin se déroule sans heurts, les premières décisions prises par le nouvel homme fort des Angles déclenchent l’ire de son prédécesseur.
« J’avais très fortement soutenu Michel Poudade parce que nous étions d’accord sur le projet qui s’appuyait sur trois fondamentaux : ne pas reprendre l’étalement urbain mais plutôt privilégier la requalification de l’immobilier existant ; limiter l’extension du domaine skiable, et ne pas s’inscrire dans un projet de liaison inter-stations. Or au lendemain de l’élection, il a décidé d’ouvrir 15 hectares supplémentaires, dont une bonne partie sur des zones agricoles, et de relancer un projet de liaison. » Accusé de vouloir bétonner les Angles, Michel Poudade réfute l’argument tout en reconnaissant la difficulté de sortir d’un schéma de développement axé sur du ski : « Blanc me reproche de ne pas sortir de ce modèle économique. Mais je ne vois pas comment on pourrait faire. Même si la neige naturelle est moins présente, la technologie nous permet d’en produire. Pour les 30 prochaines années, c’est un modèle qui continuera de fonctionner. Le véritable poumon restera le ski. » Et de rappeler tous les bienfaits de la glisse sur le développement de la commune : « Les différentes étapes ont démontré que l’on ne s’était pas trompé puisque on compte aujourd’hui 600 habitants et 800 emplois à l’année. La préoccupation du maire des Angles n’est pas le chômage mais de maintenir l’outil économique. »
Une vision jugée court-termiste par Christian Blanc pour qui ces choix ne peuvent conduire qu’à un cercle vicieux : « C’est un raisonnement qui a tenu jusqu’aux années 90. Nos prédécesseurs avaient des circonstances atténuantes parce qu’on ne parlait pas alors d’évolution climatique. Maintenant que nous sommes au courant, c’est suicidaire de continuer dans cette voie. Poudade est entré dans la spirale qui consiste à aller chercher de l’immobilier pour financer l’artificialisation de la montagne comme le complexe aqualudique ou la luge. » Pour celui qui se fait fort de s’être contenté de remplir « les dents creuses » dans la commune, Les Angles, en choisissant cette voie, se tirent une balle dans le pied : « Si on urbanise des secteurs naturels et agricoles, on aura détruit l’essence même d’une commune en montagne. Il faut un équilibre. Il vaut mieux cofinancer un marché couvert plutôt qu’une luge à 3,5 millions d’euros. Le rôle du maire est de préserver l’identité montagnarde. »
Relancer l’agriculture ? Michel Poudade, pourtant agriculteur, n’y croit guère : « On connait bien les difficultés à faire de l’élevage en montagne. » Une assertion qui désespère Olivier Toubert, ancien président de l’association Bien Vivre en Pyrénées catalanes, l’une des associations qui s’est opposée à l’ouverture des 15 hectares supplémentaires sur la commune des Angles : « Les terres agricoles sont un enjeu important. La difficulté est d’arriver à faire comprendre à des gens dont les parents ont été agriculteurs, et qui pensent que cette époque est révolue, qu’il y aura de l’agriculture dans l’avenir en montagne. La difficulté avec certains de nos élus nés ici est qu’ils ne sont pas sortis de chez eux et ne se rendent donc pas compte de la singularité de leur terroir. Si c’était le cas, ils le préserveraient davantage… »
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