Croire que tout est possible. Avoir la tête emplie de rêves. Vivre fort, s’émerveiller, se révolter, aimer passionnément. Et plus que tout, être insouciant. Avoir 20 ans, c’est ça. Vraiment ? En partie privés de liberté, d’amphis, de stages, d’emplois… Les jeunes d’aujourd’hui sont-ils une « génération sacrifiée » sur l’autel du Covid ? À quoi ressemblera, pour eux, le monde d’après ? Quelles sont leurs craintes et leurs aspirations ? BOUDU est parti à leur rencontre.
Quand le couperet du premier confinement est tombé, Anthony Giacomini, 23 ans, a vu sa cité étudiante « se vider ». « Beaucoup sont partis. » Lui a choisi de rester, « coupé de tout ». La fenêtre de son 23 m2 ouvre sur le Cercle, « le centre de la vie étudiante », d’ordinaire très festif. Depuis un an, il est désert. Huit jeunes jouent au rugby sur la pelouse voisine, mais pour le reste, c’est le calme plat. Alors, le jeune homme trouve un antidote au blues : du rock metal, et des heures passées assis par terre à sacrifier à sa passion pour le dessin. Dans son studio à la déco inspirée et inspirante – des maquettes de dragons accrochées au plafond, des plantes, des crânes, une horloge en métal et un arbre en papier, « les murs blancs m’angoissent », reconnaît-il, il s’assied régulièrement pour dessiner, une passion dévorante. Lors du premier confinement, alors en deuxième année à l’école vétérinaire de Toulouse, il cumulait études et petit boulot. Des missions d’intérim dans l’événementiel. « Tout s’est arrêté brutalement, me privant d’un bon revenu. » Inscrite en licence 3 de musicologie, Elia Gonelle, 21 ans, a quant à elle dû interrompre du jour au lendemain ses babysittings. « Les parents n’ont plus fait appel à moi. » Un coup dur pour la boursière, qui rêve de jouer du violoncelle dans un orchestre. « Mais c’est un milieu déjà très compétitif. Et là, avec la Covid, cela me semble encore plus dur qu’avant. Les places vont devenir très chères. Je suis dans le flou, ça m’angoisse. » De fait, en période de crise, les jeunes sont les premiers touchés quand le marché de l’emploi se dégrade. « Ce sont les derniers arrivés, et souvent les premiers partis, déplore l’économiste Emmanuelle Auriol. Si l’on se penche sur l’expérience de la crise de 2008, on voit que ça a été un peu plus dur pour les jeunes. Ils étaient moins bien payés, avec des contrats plus précaires. » À 20 ans, on leur a demandé l’impensable : rester cloîtrés chez eux, ne pas habiter la nuit, renoncer à la fac, aux amis, aux pubs, aux restaurants, à l’ivresse du samedi soir et au mal de crâne du dimanche. Lors du deuxième confinement, Jean Bourdon, franco-turc de 18 ans, était en première année de licence de physique à l’université Paul-Sabatier. « Le passage du lycée à la fac est déjà compliqué. Mais suivre tous ses cours derrière un écran, c’est totalement démotivant. » Le jeune homme doute, pense jeter l’éponge. « Je me suis dit que j’allais persévérer, pour en tirer une leçon. » « Travailler en distantiel, sur le long terme, c’est usant », ajoute Anthony Giacomini. « Avant tout ça, j’avais l’habitude de voir beaucoup de monde. En être privé si soudainement, c’est étrange. J’ai l’impression de passer à côté d’une partie de ma jeunesse. » Mais le futur véto relativise. Car pour sa troisième année, presque tous ses cours ont repris.
Tous n’ont pas cette chance. Président de l’université Toulouse Capitole, Hugues Kenfack a milité pour que les cours, TD et examens du second semestre soient en présentiel. « Ce n’est pas une option, c’est une nécessité », répétait-il. Et d’insister sur la dimension humaine de la transmission des connaissances : « Les enseignements doivent être hybrides, c’est-à-dire comporter une part de lien physique entre l’étudiant et l’enseignant, et tout spécialement en première année, dans laquelle je mesure le désarroi, l’angoisse, sinon même le renoncement définitif de tant d’étudiants. Mais j’ai confiance dans les capacités des étudiants », insiste Hugues Kenfack. Beaucoup ont appris l’adaptabilité, l’autonomie et le télétravail. Nos diplômés de cette année arriveront sur le marché de l’emploi avec un beau bagage pédagogique et de fortes capacités d’adaptation. » Gabastou Mayalen, 23 ans, n’a pas un parcours classique. « J’étais cavalière, dans la vie active depuis 5 ans, quand j’ai eu envie de découvrir autre chose. J’ai commencé un DUT Mesures Physiques pour, ensuite, intégrer une école d’ingénieur, et faire de la biomécanique. Les confinements, je les ai très bien vécus. Certes, c’est plus difficile d’apprendre à distance. Mais au bout du chemin, j’ai un but. Je m’y accroche, cela me permet de tenir. Le confinement a aussi été l’occasion de retrouver un rythme de vie plus sain. Je suis moins fatiguée.»
En troisième année à l’école vétérinaire de Toulouse, Philippe Brauneisen, 21 ans, refuse de céder à la morosité ambiante après cette année chaotique. Dans sa cité étudiante, il planifie un apéro avec des copains de promo, en très petit comité. Même si les contacts avec ses amis ont été fortement réduits, il garde le moral. « Les confinements et le couvre-feu m’ont fait passer à côté de certaines choses. En dehors des études, il ne se passait rien d’autre dans la journée. J’avais une vie à cent à l’heure, le stop a été brutal. Mais cela m’a permis de me recentrer, de lire, d’écrire. Une pause salvatrice. Quand la parenthèse du Covid se refermera, j’aurai 22 ans. Je ne serai pas grabataire. Je pourrai profiter pleinement de la vie. J’ai passé des mois enfermé dans un 20 m2 et je m’en suis sorti. Cela me rend finalement très optimiste sur mes capacités à rebondir ! »
Itinéraire d’une étudiante confinée
Quand le président de la République martèle, le 16 mars 2020, avec solennité que le pays est « en guerre », « contre un ennemi invisible, insaisissable, qui progresse », Alice Peyraud suit un master 2 recherche, avec un objectif dans son viseur : le doctorat, pour être enseignante-chercheure. Dans le cadre de ses études, la jeune femme de 23 ans a prévu de s’envoler quelques jours plus tard vers les États-Unis. Elle ne quittera pas le plancher des vaches. « J’étais un peu déçue. C’était une possibilité d’embauche qui s’évaporait. Comme moi, plein d’étudiants sont restés bloqués. » Les frontières fermées, de nombreux projets ont été annulés. « Ce qui a été compliqué, c’est de devoir soutenir mon projet de thèse en ligne chez moi, sur mon canapé. Je ne voyais même pas tous les membres du jury. Ça m’a beaucoup stressée de ne pas voir leurs réactions. Ce contexte étrange désacralise le diplôme », regrette-t-elle. Désormais en doctorat, elle attend désespérément le retour en présentiel et reconnaît que le quotidien n’est pas toujours serein. « On n’a plus de sas de décompression. C’est dur d’être privée de contacts avec ma promotion. Je n’ai pas un grand appartement. Je mange, je travaille, je dors dans ma chambre. C’est dur d’avoir 20 ans en 2020, ça c’est sûr ! Mais il n’y a pas que la Covid qui est à blâmer. On vit sous le stress permanent du terrorisme, du chômage, et de la menace climatique. à tel point que j’hésite à faire des enfants sur cette planète. »
Emmanuelle Auriol, professeure à la Toulouse School of Economics @Rémi Benoit
Sur le front économique, les jeunes seront-ils les premières victimes de la crise du Covid-19 ? Assurément ! 750.000 jeunes arrivent chaque année sur le marché du travail, toutes formations confondues. Stages annulés ou non convertis en embauche… 2020 ayant été une année entre parenthèses pour beaucoup d’entre eux, en 2021, deux générations arriveront en même temps sur le marché de l’emploi. En septembre, ça va se bousculer au portillon !
Le taux d’activité des jeunes est plus bas qu’ailleurs. Comment l’expliquez-vous ? On n’a pas la culture du job étudiant, comme aux États-Unis ou au Danemark, par exemple. En France, peu de jeunes travaillent en parallèle de leurs études. C’est un problème, car ça met une barrière à la fluidité entre le monde de l’entreprise et des études. On devrait encourager ces passerelles, qui aident les jeunes à avoir une première expérience, à mieux appréhender le monde de l’entreprise.
Vous dites que tout se joue à l’école. Pourquoi ? Un million de jeunes sont sans emploi, ni formation. On les appelle sinistrement les NEET (Not in Education, Employment or Training). C’est un grand échec du système éducatif français. Deux ans après la fin des études, le taux d’emploi des diplômés du supérieur est comparable à celui des actifs plus expérimentés. Ce taux chute à 30 % pour ceux qui n’ont pas dépassé le collège. On ne peut pas envoyer des jeunes sans formation sur le marché de l’emploi. C’est de la chair à canon !