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Orane Benoit

Boxing Toulouse Bagatelle : Ring ensemble

Au Boxing Toulouse Bagatelle, la mixité n’est ni un vain mot ni un vœu pieux. La renommée de ses jeunes champions, son cadre strict, ses règles claires, son souci permanent du mélange des classes, des origines, des sexes et des religions, en font depuis 30 ans un exemple éclatant de fraternité et d’esprit de corps. Son rôle au cœur du quartier dépasse largement le jeu de jambes et l’art de l’uppercut. Les éducateurs y sont toujours dispos pour une confidence, une leçon de vie ou un coup de main pour un devoir de maths. Plus qu’un ring, un lieu de vie. Un vrai.


Au complexe sportif de la Faourette, une paire de portes battantes s’ouvre sur le Boxing Toulouse Bagatelle, une petite salle de boxe anglaise où se pressent chaque jour 150 jeunes. Son histoire commence au début des années 1990 quand Philippe Girard, alors jeune entraîneur, est invité à rejoindre l’US Football Bagatelle pour créer une section boxe. Le club obtient rapidement de bons résultats. Ses boxeurs s’illustrent sur les rings de la région et du pays tout entier. Mais en 2001, l’explosion d’AZF dévaste le sud-ouest de Toulouse et emporte la salle. Ce qui aurait pu stopper le projet lui donne finalement un second souffle. La section boxe se détache de l’US Football, devient le Boxing Toulouse Bagatelle et migre à La Faourette, dans un local avec vestiaires fille et garçon séparés.Une aubaine pour Philippe Girard qui, dès le départ, a souhaité intégrer les femmes au club à une époque où la fédération française de boxe anglaise ne permettait pas de leur délivrer de licence. Mais pour ne pas prendre le risque de « rentrer dans les clichés des quartiers » hors de question de mettre en place un entraînement spécifique. Garçons et filles se retrouvent ainsi au même endroit, au même moment, et sont tenus de respecter les mêmes règles : « Cette mixité est voulue, travaillée et imposée. Ici, on accepte de croiser les gants avec tous… et toutes. Aujourd’hui, nous avons plus de 25 % de femmes dans le club, c’est une de nos grandes réussites », se réjouit Philippe Girard.


Parmi les premières à avoir rejoint le club, Myriam Lamare, qui a popularisé la boxe féminine en France et remporté plusieurs ceintures mondiales en savate et boxe anglaise. Autour du ring, la mixité ne s’arrête pas au genre. Elle concerne tout autant les origines et les religions. Éric Penot, le coordinateur du club depuis plus de 12 ans, s’attache à maintenir un cadre strict qui rend cette cohabitation possible : « Je me fous qu’ils portent une croix ou un voile, tout ce que je veux c’est que dans la salle, ils respectent le cadre qu’on a posé. Aujourd’hui, on a du sciences-po, du brigand, du musulman, du blanc, du chrétien, tout le monde se respecte. C’est ça que j’appelle le bien-vivre ensemble ».

Cela n’empêche pas ce passionné qui ne compte pas ses heures de rester vigilant et de calmer les ardeurs des fortes têtes : « Un bagarreur qui pense venir pour se battre on va lui mettre Anissa en face, il va vite se calmer ! » promet-il. Anissa, c’est Anissa Benyoub [voir interview p 44]. Arrivée au club à l’âge de 15 ans, elle est plusieurs fois championne de France et d’Algérie, et transmet sa passion aux plus jeunes en donnant des cours de baby boxe ou en coachant des femmes. La mixité, elle l’a découverte grâce à la boxe : « Quand tu vis dans un même quartier de la maternelle au collège, tu ne vois rien d’autre que tes voisins qui sont aussi tes camarades de classe. La popularité du club a fait venir des gens du centre-ville, des Elodie, des Laetitia et des Cassandra On n’avait pas l’habitude d’en fréquenter. » Une mixité rendue possible notamment par les tarifs abordables : « On a toujours fait en sorte que l’argent ne soit pas un frein », ajoute Philippe.

Avec d’autres acteurs de la cohésion sociale, le Boxing Toulouse Bagatelle participe à l’émancipation de jeunes coincés dans des impasses sociale, scolaire, professionnelle ou familiale. Pour eux, la réussite au club permet d’entrevoir un avenir différent. Dans le petit bureau qui jouxte la salle d’entraînement, les têtes défilent face à Éric Penot pour un bonjour, une confidence, un peu d’aide pour un devoir de maths, un conseil pour régler un problème : « Je ne dirais pas qu’on a révolutionné la vie de quartier, mais quand tous les services publics ferment à 18h, nous, nous sommes là pour les écouter. On est une main tendue », reconnait Philippe Girard qui a aujourd’hui passé la main à Éric et Adama Diarra, l’un des premiers à avoir profité de cet accompagnement. Né en Afrique d’un père général de l’armée malienne et d’une mère employée au ministère de la fonction publique à Abidjan, il rêvait de devenir expert-comptable. Mais victime de racisme pendant ses études de comptabilité, et contre lequel il luttent aujourd’hui au sein du club, il emprunte finalement une carrière sportive. Aux côtés de Philippe, il se forme à la boxe et devient à son tour entraîneur dès la fin des années 1990. Entraîneur ou plutôt « éducateur », car pour lui la boxe est « un outil qui sert à transmettre des messages ». À 49 ans, l’entraîneur officiel du club œuvre auprès des jeunes en duo avec Éric : « L’objectif c’est qu’ils soient le mieux possible dans leur vie. Pour ça, on crée un climat de confiance afin qu’ils puissent s’exprimer quoiqu’il arrive. » Les garants des valeurs du club accompagnent les jeunes dans leur vies scolaire, familiale et professionnelle. Ce fut notamment le cas pour Richard, 25 ans, qui a passé les portes de la salle il y a presque 10 ans après une enfance agitée : « Quand on est impulsif, si on n’a rien pour se canaliser, à l’extérieur ça peut être compliqué de gérer ses émotions. La boxe m’a donné un peu plus de cadre dans ma vie. Ici, c’est comme une école de la vie », confie-t-il tout en bandant ses mains avant d’enfiler ses gants. Sous l’aile d’Adama Diarra, son coach, Richard a pris goût à la boxe au point de s’investir dans le club auprès de ses cadets et d’entamer une formation pour se professionnaliser sans perdre de vue son premier objectif : le championnat de France.

Pour le président du club, les compétitions ont toujours été le moyen de faire sortir les jeunes de Toulouse : « Dans les années 1990, j’avais des jeunes qui, à part avoir été au bled, n’étaient jamais sortis du quartier. » Anissa confirme que les déplacements en dehors de Toulouse, à Montauban, Paris, Dunkerque ou Lyon lui ont permis de voir « quelque chose d’autre que ce que me proposait le quartier. Ça aide énormément dans l’ouverture d’esprit, surtout à l’adolescence. » Et puis se tisse au fil des entraînements et des combats une relation particulière entre les figures tutélaires du centre et les boxeurs : « Monter sur un ring, ce n’est pas anodin. Le jour du combat c’est plein d’émotion. On est souvent plus que des entraîneurs », raconte Philippe Girard. « C’est un sport individuel, mais nous sommes une équipe, une grande famille », ajoute Adama Diarra qui poursuit : « On n’est pas extraordinaires, on n’est pas les meilleurs, mais ici les jeunes trouvent une âme. Au début, quand ils arrivent c’est comme du vide vivant. Et de ce vide vivant, on essaie d’en sortir quelque chose. Pour arriver à ça, c’est de l’amour. »À 19 ans, Khamis qui a vu ses frères s’épanouir dans le club n’a pas hésité, lui aussi, à franchir les portes : « On se tire tous vers le haut. Éric et Adama s’occupent bien de tout le monde. Pour nous, ils sont un peu comme des papas. » Même si tous ne sont pas des compétiteurs comme Richard, Anissa ou la championne de 17 ans Ambrine Zitouni, les compétitions sont aussi le moyen de créer des liens forts et valorisent le quartier, comme se souvient Philippe : « Quand nos premiers champions de France sont rentrés, c’était des coups de klaxons dans tout le quartier. » Fier comme « un papa de ses enfants », pour Philippe Girard les plus belles médailles restent le témoignage des jeunes qui sont passés par le club : « Quand ils reviennent nous voir et qu’ils nous disent ” Si tu savais tout ce que ça m’a apporté… ” pour nous, ça vaut tout l’or du monde. »


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