Casa93 : Nouvelle Vogue
- Orane Benoit
- 3 févr. 2023
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 17 janv. 2024
Née dans les bidonvilles de Rio et arrivée en France à Montreuil, l’école de formation « libre et engagée pour une mode humaine, solidaire, transparente et responsable » de Nadine Gonzalez, a installé en septembre une promotion au Mirail. 14 jeunes aux profils atypiques y inventent à la fois leur présent et la mode de demain.
Trois ans d’études en management et journalisme de mode à l’ESMOD, la plus vieille école du genre en France, ont suffi à Nadine Gonzalez, pour comprendre qu’elle ne partageait pas les codes du milieu. À l’âge de 30 ans, elle quitte la France pour le Brésil. Sur place, elle s’engage auprès des femmes dans les favelas. Elle y crée l’association Moda Fusion. La structure valorise les femmes et les mène à l’indépendance financière par l’apprentissage de la couture. Il y a 10 ans, l’association lance ainsi La Casa Geração (génération), première école gratuite de stylisme au monde, financée par des entreprises partenaires. De retour en France en 2016, Nadine Gonzalez décide d’y entreprendre une démarche analogue. C’est ainsi que Casa93 voit le jour à Montreuil, en Seine-Saint-Denis. Une formation de mode gratuite, accessible sans diplôme et ouverte aux jeunes âgés de 18 à 25 ans. Profils recherchés : des jeunes atypiques. « La Casa recrute d’abord des jeunes qui ont un grand cœur. La technique s’apprend par la suite. Donner et recevoir, c’est comme ça qu’ils vont apprendre. Un effet miroir qui fait qu’on apprend à se connaître par les autres. »
Fondée sur le travail collectif et le recyclage, la formation attire un millier de jeunes chaque année, parmi lesquels une vingtaine est retenue. Constatant le nombre croissant de candidatures de jeunes du Sud-Ouest, Nadine Gonzalez installe une autre école au Mirail, à Toulouse. 12 filles et deux garçons ont intégré la première promotion en septembre, encadrés par Anne Péchoux, une diplômée de commerce toulousaine qui a longtemps travaillé dans l’artisanat pour des ONG en Colombie.
En ce début d’année, les étudiants travaillent sur un projet de recyclage de maillots de l’académie de boxe de Basso Cambo. Ils imagineront bientôt une collection upcyclée avec le Stade Toulousain, à l’occasion de la Coupe du Monde : « On cherche à nouer des partenariats avec des entreprises de la région, à créer du mécénat sur des techniques spécifiques au territoire comme ici le pastel, la laine ou le chanvre. » explique Anne Péchoux. Cet affranchissement des codes intéresse de plus en plus les grandes (et moins grandes) maisons à la recherche de « profils pas formatés ». Casa93 a ainsi collaboré avec Vuitton, Galeries Lafayette, La Redoute, Goosens… Voilà qui convient parfaitement à Nadine Gonzalez, qui dit « préférer l’évolution positive à la révolution. »
Sofia_23 ans

« À la base je ne sais ni coudre ni tricoter. Je ne sais même pas si j’aimais vraiment la mode. À force de travailler pour les autres, notamment en intérim, j’ai eu envie de travailler pour moi. Dans le dossier pour candidater, il fallait montrer ce qu’on avait de différent. Moi, c’est l’écriture. J’écris des nouvelles, des histoires, des poèmes. J’ai une vision singulière du monde que j’ai envie de partager. Mon but n’est pas d’être riche mais d’impacter les mentalités. La mode est un bon moyen pour le faire. En arrivant à la Casa, je portais le voile. J’ai décidé de l’enlever. Je veux faire ce que je veux de ma vie. Ma mère croit que je suis en droit et mon père que je ne fais rien de ma vie. Je ne veux pas qu’ils me posent de question. On a beau dire qu’on se fiche du regard des gens, c’est toujours plus facile à dire qu’à faire. »

Marie_20 ans
« Ça inquiétait beaucoup mes parents que je ne fasse pas d’études. Quand j’ai été prise ici, ma mère était contente : quelque chose allait enfin me sauver ! Ici, on se sent libre et soutenu. C’est important car notre travail est souvent très personnel. Récemment, on a tous pleuré devant une présentation de Sofia. »

Miel_25 ans
« J’ai découvert la mode quand je suis partie au Pérou pour mes 18 ans. Je devais y rester deux mois mais, avant de partir, j’ai rencontré un garçon en boîte de nuit. Il travaillait pour une agence photo. Il m’a proposé de poser. Je suis devenue mannequin et je me suis fait beaucoup d’argent facilement. Finalement, j’y suis restée 5 ans. Je suis très influencée par la pop culture et le manga. Toute ma génération a grandi avec ça. Après Casa93, j’aimerais créer ma propre marque, même si je sais que je n’aurais pas tout de suite toutes les compétences pour y arriver. »

Louise_25 ans
« J’ai baigné dans l’univers de la mode entre une grand-mère styliste, qui était assez connue dans les années 70-80, et une tante créatrice à Marseille. J’aime aussi beaucoup la musique. Je peux jouer du Bach ou du Beethoven au piano mais je chante plutôt du RnB. Le hip-hop et la culture américaine m’inspirent beaucoup. Les mangas et les animés aussi. Après un bac pro Métiers de la mode, j’avais envie de créer une marque de vêtements mais je n’avais pas les moyens financiers. J’ai donc fait des jobs alimentaires jusqu’à ce que j’entende parler de la Casa93. Ici, on nous accepte sans diplôme. On peut venir habillée et maquillée comme on veut. Cette liberté stimule notre créativité. »

Kelvin_24 ans
« Je viens de Guyane et je suis arrivé à Toulouse après mon bac pour étudier les sciences du langage. Ça ne m’a pas plu. J’ai enchaîné des jobs alimentaires, en blanchisserie, dans des bureaux de tabac, dans la restauration etc. En parallèle, je donnais des cours de couture bénévolement à des enfants de 7 à 13 ans. La couture, j’ai connu ça avec ma grand-mère. Je la voyais s’asseoir et coudre des vêtements pour ses petits-enfants. Je trouvais intéressant de transformer le tissu en vêtement. La formation de Casa93 permet de réinventer la mode. On apprend à déstructurer et à restructurer. »

Léa_20 ans
« Après mon bac pro marchandisage visuel que je n’ai pas fini, j’ai pris une année sabbatique. Je me suis cherchée. J’ai arrêté de dessiner alors que j’aimais beaucoup ça. C’est grâce à la Casa que je me suis retrouvée et que j’ai repris goût à l’art. J’ai découvert la formation sur Instagram. Toute ma famille est contente pour moi. Ce sont des gauchistes : ils adorent l’upcycling.»