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Christian Authier, Bande à part

Dans Des heures heureuses, votre dernier roman, un de vos personnages se désole de la disparition du sourire sur le visage de ses contemporains : « La peur, la fierté, la morgue, le défi, oui, cela s’affiche, mais le sourire a disparu » écrivez-vous. Vous en voyez, vous, des raisons de garder le sourire ?

Plein. L’amour, la culture, l’amitié, les livres, le cinéma. Bien sûr, si je laissais parler mon humeur, tout me dégoûterait. Cette société qui ne trouve de talent qu’à l’argent, avec ses célébrités débiles et ses réseaux sociaux, ça me dégoûte, comme tout le monde. Mais on ne va quand même pas se mettre la rate au court-bouillon rien que pour ça… 

 Il ne faut pas écrire pour se sentir mieux. Mieux vaut faire du sport ou se droguer. 

À vous lire, on constate effectivement que l’amitié a chez vous valeur de refuge.

La seule chose dont je sois à peu près fier dans ma vie, ce sont mes amis. Et le fait de compter parmi eux de vieux copains d’école, de collège, de lycée. C’est un cliché, mais l’amitié est la plus belle des valeurs. C’est le motif des Heures heureuses : des gens qui veulent rester copains et garder la tête aux bêtises. Qui veulent profiter les uns des autres. J’en parlais récemment avec un copain, justement. On se disait que ce qu’il y a de génial chez les vieux copains, c’est qu’ils n’ont pas besoin de parler pour se sentir ensemble. Chez eux, il n’y a pas de gêne dans le silence. C’est comme ça. J’ai le culte de l’amitié depuis que j’ai 5 ou 6 ans. À cause de Riri, Fifi, et Loulou. Les copains, c’est universel. Dans la vie, il n’y a que ça et l’amour. Le reste n’a aucune importance.

Votre premier roman, Enterrement de vie de garçon, traite de la mort de votre meilleur ami alors que vous étiez étudiant. Auriez-vous commencé à écrire sans cette disparition ?

Sans doute, mais cela aurait peut-être pris 20 ans de plus. En tout cas, ce sentiment de perte a jeté un voile sur ma sensibilité. Un copain avec qui vous partagez tout, qui meurt de maladie à 23 ans, l’année de la mort de Blondin et de la finale OM-Étoile rouge de Belgrade, de façon foudroyante et lente à la fois, après de longues périodes de rémission qui vous avaient persuadé qu’il était sauvé… ça colle une bonne dose de mélancolie. Ce qui m’a permis de vaincre mes réticences, c’est que j’écrivais pour honorer sa mémoire. Ça faisait 10 ans que j’essayais d’écrire là-dessus. Au départ je pensais à un grand roman picaresque, et puis j’ai eu une illumination. Il fallait qu’il soit le plus bref possible, comme Joséphine de Jean Rolin ou Le Feu follet de Pierre Drieu la Rochelle, qui sont des tombeaux littéraires. Le plus bref et le plus vrai possible, écrit à l’os. Je voulais être au plus près de ce qu’on avait vécu ensemble. Bref, raconter une amitié fusionnelle de 6 ans en 100 pages.


Écrire son histoire était une façon de soigner votre chagrin ?

La littérature n’a aucune vertu thérapeutique. Au contraire, elle nourrit les obsessions. Il ne faut pas écrire pour se sentir mieux. Mieux vaut faire du sport ou se droguer… Écrire c’est malsain. On est enfermé dans une pièce, on devient monomaniaque, schizophrène, on vit toute la journée avec une histoire et des personnages qui n’existent pas. Ça n’est pas sain du tout, la littérature.

Pourquoi écrire, alors ?

C’est un besoin physique et psychologique. Une addiction. Comme le sport. Si tu arrêtes, au bout d’un moment ça te manque. Combien de fois je me suis dit : « Cette fois c’est mon dernier roman. C’est bon. Trop dur. J’arrête ». Et trois mois plus tard, tu as une idée qui t’excite, tu ressens le besoin physique d’écrire. Et ça repart.

Votre pratique de la critique littéraire, ciné et gastronomique dans la presse écrite ne suffit-elle pas à combler ce manque ?

En partie. C’est vrai que j’ai la chance de pouvoir me défouler dans mes activités journalistiques, mais ça ne suffit pas. Heureusement, en vieillissant, je m’aperçois qu’il me suffit de deux heures d’écriture pour combler le manque. C’était bien plus auparavant. Mais ça reste quand même une activité bizarre. Je me souviens qu’un jour, j’ai passé quatre heures sur une phrase. Un samedi de fin de printemps – début d’été, avec du soleil partout et des gens dans la rue qui profitaient de la douceur du jour. Quand je suis sorti de là, j’ai pensé, « Mais quel con ! Quelle vie pathétique ».

Existe-t-il, à l’inverse, des moments de grâce ?

C’est génial quand ça arrive. Quand ça vient d’un coup et que c’est exactement comme on le souhaitait. Ah ! Putain, c’est le pied !

Être écrivain dans un monde qui se fout de plus en plus de la littérature ajoute-t-il à votre désarroi ?

C’est de plus en plus un combat, de plus en plus compliqué de trouver des lecteurs et de bons éditeurs. Au moins, j’aurai connu ça : le coup de fil au bout de 24 heures pour le premier roman, la chance de faire les livres qu’on veut, la chance de travailler avec Jean-Marc Roberts, cet immense éditeur. Ça peut s’arrêter demain je m’en fous ! J’aurai au moins connu cette période. La fin de la comète. La fin des grands éditeurs. Et le fait de vivre de sa plume grâce au journalisme… Dans 20 ans, les journaux, ça n’intéressera plus que les collectionneurs.


Au début des années 2000, toute la ville parlait de Christian Authier. De la réussite de ses essais sur le foot business, Patrick Besson, ou le nouvel ordre sexuel. Du succès critique de son premier roman et du Renaudot du deuxième. De ses papiers au ton si particulier publiés dans L'Opinion indépendante, qu’on se mettait soudain à acheter pour au

Vous avez connu tout cela sans jamais partir vivre à Paris, ce qui complique la tâche, non ?

Je me suis toujours senti bien dans ma vie de provincial. Je n’ai jamais songé à y mettre fin pour monter à Paris.

Toulouse est, de plus, très présente dans vos livres.

C’est un peu par facilité et par nécessité. À part Soldat d’Allah, tous mes romans devaient se dérouler en province pour que l’intrigue puisse marcher. Cela dit, je ne cite jamais Toulouse. Je maquille un peu les choses, je mentionne des rues, j’en invente d’autres. Mais c’est bien de Toulouse qu’il s’agit.

Certains passages des Heures heureuses font d’ailleurs l’éloge de la province… 

J’aime le côté provincial. J’aime quand c’est petit. J’aime quand c’est lent. J’adore le côté village de Toulouse, même si je déteste son côté pipelette. J’adore le fait qu’on retrouve les mêmes gens aux mêmes endroits mais je déteste la consanguinité de classe. Dans le métro à Toulouse, les gens ne bougent pas sur l’escalator. Personne ne libère le couloir de gauche. À Paris je fais comme les Parisiens. J’ai des rendez-vous, je ne vais pas traîner à attendre passivement sur l’escalator. Y’a rien de plus con. Alors qu’ici, j’aime bien. Je suis chez moi. Je ne suis pas à 5 minutes près.

Vous êtes natif de Toulouse ?

Non, de La Garenne-Colombes, dans les Hauts-de-Seine. J’y ai vécu mes premières années dans une ambiance de banlieue à la Jacques Tati, jusqu’à ce que mes parents, fonctionnaires de La Poste, soient mutés à Toulouse. J’avais 6 ans.

Quels souvenirs gardez-vous de votre arrivée à Toulouse ?

Celui des mots que je ne comprenais pas. Chocolatine, par exemple. Et puis la chaleur des gamins : je suis arrivé en cours d’année et j’ai tout de suite été adopté par la classe. Là d’où je venais, ça ne se passait pas comme ça.

Votre enfance ?

Banale et agréable. Le foot, les copains, les livres. Lectures du Journal de Mickey, de Mickey Poche, Mickey Parade et Picsou magazine. Avec les copains, on évaluait les vertus de chaque titre et l’usage qu’on en faisait. Est-ce qu’on lisait tout de A à Z le jour de la sortie ? Est-ce qu’on s’en gardait un peu sous le coude pour le reste de la semaine ?…

Et après Mickey, quels auteurs ?  

À 12 ans, Conan Doyle et Agatha Christie. J’ai tout lu, sauf Le bal de la victoire que je m’étais gardé en réserve et que, finalement, je n’ai jamais lu. À 18 ans : début de mon intérêt véritable pour la littérature. Je découvre Céline et Proust. J’avais appris que Visconti, dont j’adorais les films, envisageait d’adapter Proust. Comme j’avais envie de voir le film, j’ai voulu lire le livre. Jusqu’alors je ne lisais que pour le plaisir de l’intrigue. Plaisir identique à celui du cinéma, qui était, et qui reste, ce que j’aime le plus au monde.

À Sciences-Po, J’aimais traîner avec les marxistes révolutionnaires et les monarchistes saint-cyriens. C’était les plus cultivés et les plus marrants. 

D’où vient cette cinéphilie ?

De la télé. J’ai découvert le cinéma enfant grâce à La Dernière séance. On regardait les westerns en famille. Je me suis gavé de John Ford, d’Howard Hawks, de Burt Lancaster. Tout cela passait à 20h30. On voyait des films formidables. Rien qu’avec les 3 chaînes de télé, on se faisait une culture ciné énorme. Je me souviens même d’avoir été le seul de ma classe à avoir le droit de regarder King Kong, à 20h30, en noir et blanc sur TF1 !

C’est ainsi qu’est née votre vocation de critique ? 

Elle est venue beaucoup plus tard. J’ai eu le bac en 87. Avec les copains, on était assez insouciants. On n’avait aucun plan de carrière. On n’imaginait pas à 18 ans ce qu’on ferait à 23. Pour les gens de ma génération il n’y avait pas de pression. On ne faisait pas de stage en 3e, pas de stage au lycée. Je suis arrivé à l’IEP sans aucune expérience pro. Le monde de l’entreprise nous était inconnu. Certes on commençait à nous bourrer le mou avec le chômage, mais il n’y avait pas la pression qu’on fait subir aux jeunes d’aujourd’hui. Alors, avec ma bande, on a choisi la fac d’histoire, parce que ça avait l’air moins chiant que le reste.

C’était le cas ?

Disons que la découverte du Mirail a été d’une grande brutalité. Cette putain de ligne 148 avec ses bus à soufflet, l’arrivée dans les amphis où il fallait se battre pour trouver une place, ces profs qui récitaient les mêmes cours depuis 20 ans. Ce bâtiment délabré qui faisait Europe de l’Est. Les couloirs et les courants d’air. Pas d’appel, pas de TD, que dalle. Alors on séchait beaucoup pour aller au cinéma. Au Rex, à l’ABC, à la cinémathèque rue Roquelaine, où on voyait les films les plus rares. Et le reste du temps on faisait des marathons de VHS. On a eu nos diplômes malgré tout, et on a attendu d’être à Sciences Po pour se mettre à bosser.


Christian Authier

Un bon souvenir ?

D’emblée, c’est génial. Je découvre ce qu’est vraiment le travail. Les profs sont de très haut niveau. Bernard Maris nous parle d’économie, Serge Regourd donne des leçons de communication politique, Jean de Quissac nous fait des cours lumineux sur le judaïsme et l’islam… On apprenait dans une émulation permanente. On formait, avec des copains, une bande de potes un peu frondeurs, liés par un intérêt commun pour la culture et le sport. J’aimais surtout traîner avec les marxistes révolutionnaires et les monarchistes saint-cyriens. C’était les plus cultivés et les plus marrants. Depuis, je suis très attaché à Marx. Tout le monde devrait lire le manifeste du parti communiste. Tout y est.

Vous semblez apprécier le mélange des genres idéologique, vous qu’on classe souvent, par facilité et du fait du positionnement de l’Opinion indépendante, le journal qui vous emploie, parmi les conservateurs…

Spontanément je suis plutôt conservateur, mais c’est aussi sentimental et esthétique que politique. Je veux conserver les paysages, je veux conserver la Sécu, je veux conserver les congés payés, et j’aimerais bien avoir une retraite, si c’est possible. Si c’est ça être conservateur, ça n’a rien à voir avec Fillon et la Manif’ pour tous. Sinon ça veut dire quoi ? Être contre les progrès de la science, être contre le haut débit ? Qui est contre ça ? Ce sont des mots piégés. On est toujours le conservateur ou le progressiste de quelqu’un.

Je veux conserver les paysages, je veux conserver la Sécu, je veux conserver les congés payés, et j’aimerais bien avoir une retraite, si c’est possible.

N’empêche que depuis l’éclatement du clivage gauche-droite, c’est le clivage progressistes-conservateurs qui a pris sa place.

C’est vrai. Le gens sont devenus tellement binaires qu’il est impossible d’expliquer des prises de position un peu fines. Je pense souvent à Pasolini, que j’admire comme penseur politique. Il était marxiste, chrétien, homosexuel, et antibourgeois. Il se disait défenseur de la légalisation de l’avortement mais opposé au principe de l’avortement. En 68, il se disait plus proche des CRS que des fils de bourgeois qui manifestaient, considérant que le prolétariat véritable, c’était plus les flics de base que les bourgeois révoltés. Qui peut défendre des positions comme celles-ci de nos jours ?

Comment résumeriez-vous la vôtre ?

En citant cette phrase de Marc Bloch (penseur, grand historien et résistant exécuté par la Gestapo en 44, ndlr) : « Il est deux catégories de Français qui ne comprendront jamais l’histoire de France, ceux qui refusent de vibrer au souvenir du sacre de Reims ; ceux qui lisent sans émotion le récit de la fête de la Fédération ».

Et avec ça, vous trouvez facilement votre bonheur dans les urnes ?

J’ai voté en 1988 pour la première fois. Pierre Boussel, le candidat trotskyste au premier tour, parce que je voulais voter pour le plus petit candidat, et Mitterrand au second, autant par tradition familiale que par envie de mettre une baffe à Chirac. Déjà à 18 ans, je n’avais aucune illusion. Plus tard, j’ai eu l’espoir que Chevènement parvienne à détruire la droite et la gauche pour faire un truc… Et puis je n’ai plus jamais voté jusqu’aux dernières municipales où j’ai voté contre Cohen. C’était la première fois que je votais pour un scrutin local à Toulouse. J’étais vraiment énervé. Je n’en revenais pas moi-même. Il m’a redonné goût aux urnes ! Et maintenant que ma carte d’électeur est faite, autant aller voter.

Christian Authier, Bande à part

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