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Sébastien Vaissière

Défi physique – Gérontopôle

Dernière mise à jour : 21 févr.

Le Gérontopôle du CHU de Toulouse anime à la Cité de la Santé de La Grave des ateliers d’activité physique adaptée, de diététique et de mémoire ouverts aux plus de 65 ans après un veuvage, un pépin de santé ou le dépistage d’une fragilité. Encadrés par des professionnels et bénéficiant des dernières avancées de la recherche, ils sont une arme efficace pour retarder la dépendance et maintenir bonne humeur, bonne forme et lien social.



Portées par le vent givré de janvier, cinq mamies s’engagent sous le porche en brique de l’hôpital La Grave. Une fois dans la cour, elles restent un temps happées par le spectacle fumant du chantier de la résidence de standing qui pousse sur le site de l’ancien Institut Claudius Régaud. Des gens y jouiront bientôt d’une vue imprenable sur ces bâtiments hospitaliers historiques où l’on isolait jadis les pestiférés, les prostituées et les fous.

Dans le groupe apparaît Mireille, 75 ans. Il y a quelques années elle avalait les sommets comme qui rigole. Des 3000 dans les Alpes, des 4000 en Autriche, et même les 5900 mètres du Kilimandjaro. Ce matin, pour se rendre à l’atelier multidomaine du Gérontopôle, elle est descendue du métro une station avant Saint-Cyp’ histoire de marcher un peu. C’est Charlotte Dupuy, la responsable de l’atelier, qui lui a soufflé ce conseil. Et c’est déjà une petite victoire : « J’ai perdu mon mari il y a trois ans. Il était lourdement handicapé depuis 25 ans. Une charge physique et morale immense. Pour m’occuper de lui sans peser sur mes enfants, j’ai tout fait pour conserver une forme physique optimale. Mais quand il est mort, je me suis assise dans mon fauteuil et je n’ai plus bougé. » Et Mireille de décrire l’engrenage : l’envie qui vous quitte, la prise de poids, les douleurs qui vous envahissent, et la vie sous l’empire du Covid qui n’arrange rien.

Il y a bien cette petite visite rituelle chez la voisine, mais c’est plus souvent pour un café-gâteau que pour de la marche à pied. « J’ai bien essayé de me remettre au sport à la salle, mais c’était trop dur. Si l’assistante sociale n’avait pas eu la bonne idée de m’envoyer suivre l’atelier à La Grave, je n’aurais jamais trouvé la motivation pour m’y remettre ».

Sédentarité et perte d’envie conduisant à la dépendance, on comprend la raison d’être de ces ateliers multidomaines. Réservés à leur création en 2015 à quelques patients du Gérontopôle dans le cadre de projets de recherche, ils sont désormais soutenus financièrement par le Conseil départemental et ouverts à tous les séniors. Ils accueillent notamment les personnes inscrites au programme Icope (voir l’entretien avec le professeur Vellas p.24). Pendant deux mois, à raison de deux séances par semaine, les participants bénéficient d’un programme mêlant activité physique adaptée et cours de diététique, qu’il sont invités à poursuivre chez eux et à ritualiser au quotidien.

Voilà les mamies qui glissent au pied de la chapelle Saint-Joseph, et son dôme de cuivre coqueluche des instagrameurs. Encore une cour, une galerie aux murs blancs qui s’écaillent, une grande grille, et une porte qui s’ouvre sur une salle aménagée en gymnase.

L’accueil s’effectue dans une petite pièce attenante avec une boisson chaude et une prise de tension artérielle. L’atmosphère n’est en rien médicale. Ni blouse blanche ni vapeur d’éther. Les échanges entre les participantes et Charlotte Dupuy sont d’une grande douceur. Cela suffit au bonheur de Marcelle, autre septuagénaire du groupe : « J’ai des symptômes dépressifs. Envie de rien. Je regarderais la télé toute la journée si je m’écoutais. Mais depuis que je suis les ateliers, j’ai retrouvé le plaisir de la convivialité. »

La séance démarre par des échauffements doux. Très vite les exercices montent en intensité : « Les gens n’imaginent pas ce qu’ils sont capables de réaliser, même à un âge avancé. Avec de la méthode et en s’adaptant parfaitement aux capacités de chacun, on peut mettre en place de véritables séances de cross training pour personnes âgées ! » assure Charlotte Dupuy. Diplômée en sciences et techniques des activités physiques et sportives, titulaire d’un master en santé physique et auteure d’une thèse en épidémiologie, elle a intégré le Gérontopôle il y a 15 ans et mesure la crédibilité croissante de l’éducation physique adaptée dans le monde médical : « Ces techniques sont nées dans les années 1970 au Canada, et se développent partout dans le monde. Des projets de recherche sont menés en ce moment-même dans les unités covid pour permettre le réentraînement à l’effort après la maladie. Grâce à la volonté du professeur Vellas, j’ai réussi à faire une place ici à ces techniques, et je mesure tous les jours leurs bénéfices pour le moral et la confiance. »

Occupées chacunes à leur atelier (pointe des pieds, talons, zigzags, squats, étirements) au rythme de 45 secondes de travail / 15 secondes de repos) les cross-traineuses reçoivent tour à tour et à voix basse les conseils de Charlotte Dupuy. Cette dernière connaît leur dossier médical et leurs faiblesses, et peut ainsi adapter ses recommandations. Au bout d’une demi-heure, les premiers signes de plaisir et d’effort se lisent sur les visages : « Je ressens des sensations liées à l’effort physique que je ne connaissais plus. Le plaisir de se faire violence, et la surprise de voir ce que je suis capable d’accomplir » souffle Marcelle après 45 secondes d’étirement des triceps.

Mireille, quant à elle, ne perd pas une miette des conseils qu’on lui prodigue: « À la salle de sports où j’allais, il y a des petits jeunes qui vous encadrent, ils sont gentils, mais ils ne nous font pas progresser. Ici, Charlotte nous apprend à faire mieux et à être autonome. Sans compter que le côté médical de la démarche est rassurant. C’est un équilibre intéressant entre le médical et le sportif. Et ça remobilise. Je vais reprendre l’aquagym et me remettre au vélo ! » Après les étirements de rigueur à l’espalier, Cécile Picauron, diététicienne du CHU, prend possession du groupe pour la deuxième heure. Leçon du jour : l’importance des protéines dans l’alimentation des séniors pour lutter contre la fonte musculaire.

Elle dispose pour cela d’un outil ludique dont elle est la conceptrice : le Proteinopoly, petit jeu clair et rapide où la carte la plus forte est le poulet rôti et pas la rue de la Paix : « J’essaie surtout de les déculpabiliser. Je leur explique qu’il est possible de manger de tout, d’accepter un morceau de galette des rois pour l’épiphanie, de se faire les petits plaisirs qu’on veut, mais qu’avec l’âge, on a des besoins spécifiques qui, s’ils ne sont pas satisfaits, contribuent fortement à la faiblesse musculaire et donc à la dépendance. En leur rappelant les bonnes sources de protéines, je les guide vers plus d’autonomie en cuisine et donc dans la vie ».

La séance s’achève à midi par des échanges en aparté. Peu à peu les participantes quittent la salle. Hors période Covid, elles sont un peu plus nombreuses, nous dit-on. Et puis il y a des hommes d’habitude, toujours très sérieux dans la salle de gym mais un peu moins concernés pendant la deuxième heure quand on cause nutrition. Question de génération.

Penchée sur un clavier d’ordinateur, Charlotte Dupuy consigne les données de la séance du jour. L’essentiel, pourtant, ne surgit pas des tableurs : « J’apprends beaucoup des participants à cet atelier. Je suis parfois leur confidente. J’écoute leur histoire de vie et je la reçois toujours avec humilité. Et je suis frappée, et admirative à la fois, de la résilience dont ils font preuve ». Ce qui est certain, c’est que les cinq dames qui passent en sens inverse sous le porche en brique de l’hôpital La Grave, ont l’air d’avoir le pas plus sûr et le cœur plus léger qu’en entrant.

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