Si Montpellier est le berceau des Lapins crétins, aucun jeu vidéo à succès n’a été conçu à Toulouse. Le studio indépendant Umeshu Lovers pourrait bientôt changer la donne avec ses jeux à l’approche artistique ambitieuse. Son équipe a déjà œuvré pour Dreamworks, Ubisoft ou Sony Pictures, et figure au générique du film Super Mario, sorti ce mois-ci.
Umeshu Lovers est un OVNI de l’industrie vidéoludique. Ce petit studio indépendant est caché dans un immeuble ancien du quartier Saint-Aubin. Un dédale de salles au plancher craquant, où des bonsaïs dépéris côtoient des piles de livres d’art sur des bureaux bardés d’écrans. La joyeuse compagnie qui l’occupe est principalement composée d’artistes et de développeurs. Souvent la fine fleur de leur domaine respectif.
Sans jamais dévier de son leitmotiv (placer l’artistique au cœur de la création), le studio s’est offert des collaborations avec de grands noms. Parmi les contributions notables : Apple, Sony, Electronic Arts, Insomniac Games etc. À l’origine du projet, le développeur Arnaud Mollé et le directeur artistique Sylvain Sarrailh. Cet artiste numérique rassemble une grande communauté de fans dans le monde, fascinés par ses peintures à la tablette graphique.
Étoile montante du Concept Art, il a œuvré pour de grosses productions comme Horizon Forbidden West ou Spyro Reignited. Désormais, Umeshu Lovers entend montrer que l’industrie vidéoludique ne se résume pas à Fifa, Call of Duty ou Just Dance, produits marketing certes divertissants mais sans portée artistique approfondie. « À ceux qui pensent que le jeu vidéo n’est pas artistique, je conseille la découverte de jeux plébiscités pour leur direction artistique » souffle Sylvain Sarrailh. Derrière ces jeux se cachent souvent des artisans hors pairs, musiciens virtuoses, illustrateurs de talent et dramaturges surdoués. Pour autant, Sylvain Sarrailh ne fait pas de la reconnaissance du grand public son objectif ultime : « Peu importe si certains considèrent que c’est de l’art bas de gamme tant qu’il plaît à un grand nombre et permet une forme de catharsis ». Sans doute l’une des raisons pour lesquelles l’industrie vidéoludique pèse plus que celles du cinéma et de la musique réunies.
Chez Umeshu Lovers, on conçoit donc le jeu vidéo dans une démarche d’art appliqué. Pas question de donner dans l’art pour l’art. Le joueur reste la priorité : « Certains studios pensent leurs jeux avec d’horribles mécaniques de manipulation psychologique qui retiennent l’attention du joueur. Nous, on préfère garder le joueur par le simple plaisir de jouer et d’évoluer dans des univers généreux, colorés, feel good, poétiques, avec un aspect visuel impactant. Les univers que nous créons doivent être assez tangibles pour être adaptés en bande dessinée ou en film d’animation » résume Sylvain Sarrailh.
C’est en 2018 que, surgissant de nulle part, Umeshu Lovers a annoncé travailler sur Forest Of Liars, un jeu mystérieux aux paysages sylvains, envoûtants et élégamment peints. Depuis… plus rien. Le concept du jeu a de quoi rendre impatient : une héroïne évolue de tableau en tableau. Mais plutôt que de musarder sous la Nuit Étoilée de Van Gogh ou de surfer la Grande Vague de Kanagawa, il est ici question de pénétrer un univers conçu par le studio toulousain, dont l’esthétique évoque les grandes heures de Miyazaki. Les premières images font penser à ce qu’aurait pu peindre le maître japonais s’il avait travaillé à la tablette graphique plutôt qu’au pinceau. Les panoramas colorés et éthérés illustrent bien la démarche d’Umeshu Lovers. « Nous voulons faire des jeux qui franchissent les frontières artistiques. Nous n’avons pas les moyens de concurrencer les productions à gros budget, alors nous nous concentrons sur l’esthétique, le narratif et le gameplay » résume Sylvain Sarrailh. Car c’est bien d’art qu’il s’agit, comme l’évoque le titre du jeu (La forêt des menteurs), échos à la maxime de Debussy « L’art est le plus beau des mensonges ».
Un puzzle game
Forest of Liars veut donc frapper d’emblée par sa direction artistique et sa visée intemporelle. Les décors mélancoliques ont quelque chose des créations du studio Ghibli transposées dans des paysages méditerranéens « C’est une façon de valoriser notre région et de sortir des habituels thèmes scandinaves ou nippons ». Cocasse, sachant que les dessinateurs japonais s’inspiraient parfois de l’impressionnisme européen. L’affiche du film Le Vent se lève par exemple, s’inspire de La Promenade de Monet. Comme un retour aux sources. D’ailleurs, l’option choisie du graphisme en deux dimensions est une approche indémodable. En plus d’être moins chère à produire que de la 3D pour un studio émergent. Le titre est une aventure textuelle et procédurale, c’est-à-dire que l’histoire s’écrit en fonction des décisions prises par le joueur. Un grand défi de conception et d’écriture qui pousse le studio à prendre son temps.
Avant la sortie, (non datée), de Forest Of Liars, les développeurs d’Umeshu Lovers se sont lancés dans un projet fou : réaliser un jeu vidéo « carte de visite » en moins d’un an, pour montrer le savoir-faire du studio. C’est ainsi qu’est né Danghost. Un jeu de puzzle abordable et dynamique, du genre de ceux qui s’apprécient mieux entre amis. « Produire un puzzle game est un pari risqué, souffle Arnaud. C’est un jeu de niche. » Danghost a pourtant fait ses preuves dans des conventions prestigieuses comme l’Animasia à Bordeaux ou la Paris Game Week : « Certaines familles restaient 40 minutes devant le jeu ! » s’enthousiasme Gabrielle, chargée de communication du studio. Il sera normalement disponible cet été sur toutes les plateformes de jeu.
En, décembre, Les Game Awards (les controversés Oscars du jeu vidéo), ont récompensé le petit studio montpelliérain Blue Twelve et son jeu Stray. L’histoire d’un chaton perdu dans une cité cyber-punk. Désormais, c’est au tour d’Umeshu Lovers de placer Toulouse sur la carte du monde vidéoludique.