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Fenêtre sur nous – La disparition du paysage


Jean-Philippe Toussaint - La disparition du paysage

Jean-Philippe Toussaint Ecrivain et réalisateur – Prix Médicis en 2005 pour Fuir (Les Éditions de Minuit). « Dans mon enfance, je passais les vacances à Ostende avec mes grands-parents, cela participait d’un rituel immuable. Plus tard, devenu écrivain, j’ai loué régulièrement un appartement à Ostende pour écrire. Mais Ostende n’était encore jamais apparu dans aucun de mes textes. Un jour, on m’a demandé d’écrire un texte pour accompagner l’exposition Paysages de Belgique qui avait lieu au musée d’Ixelles. J’ai alors écrit la première version de ce qui deviendrait plus tard La Disparition du paysage. J’ai toujours su, intimement, que c’est à Denis Podalydès qu’il fallait confier ce texte. Je lui en ai parlé la première fois en 2018, dans un café, près du jardin du Luxembourg. »


Denis Podalydès - La disparition du paysage

Denis Podalydès Comédien, metteur en scène, écrivain, sociétaire de la Comédie française depuis 2005. « Dès la lecture du texte, j’ai pensé tout naturellement à Aurélien Bory. J’ai découvert dans ses spectacles des façons totalement inédites d’occuper ou de vider l’espace. »


Aurélien Bory - La disparition du paysage

Aurélien Bory Metteur en scène et scénographe, directeur depuis 2000 de la compagnie 111 à Toulouse. « Il y avait quelque chose d’improbable dans cette proposition de Denis Podalydès. J’ai lui ai d’abord demandé le titre. Quand j’ai entendu : « La disparition du paysage », cela m’a suffi. J’y retrouvais mes sujets. » On s’est vus pour la première fois au théâtre des Bouffes du Nord. Comme c’est lui qui a reçu le texte et qui a décidé de monter le spectacle, j’ai d’abord voulu comprendre ses enjeux personnels. Il m’a dit qu’il ne pouvait pas me répondre. Qu’il préférait me dire le texte. Et là… extraordinaire ! Un an avant la première, il arrivait avec le texte su ! II s’est lancé, et j’ai commencé à percevoir clairement les choses. J’ai compris pourquoi ce texte devait arriver jusqu’au théâtre, pourquoi il ne devait pas rester un livre. J’ai vu la pensée en mouvement. Toussaint décrit la mort comme la dernière pensée du personnage, et la déploie comme un paysage. J’ai donc pris le texte par ses occurrences de brume, et j’ai créé une scénographie de nuage et de brume. J’ai voulu ensuite faire apparaître l’outil théâtre dans la fenêtre devant laquelle est placé le personnage. Toussaint m’avait envoyé une photo de la fenêtre de l’appartement qui donne sur Ostende. J’ai voulu que ce soit une fenêtre de théâtre, pas un décor avec des carreaux. Une fenêtre avec quatre pendillons qui puissent changer de dimension. Ce n’est qu’avec des outils de théâtre qu’on peut servir un texte. »


Denis Podalydès - La disparition du paysage

Denis Podalydès « La figure du spectacle s’est dressée comme une évidence lors de ma première rencontre avec Aurélien Bory à Paris, sur la scène des Bouffes du Nord. Je me suis mis face à cette fenêtre et j’ai dit 20 minutes de texte. J’ai senti en jouant cette partie-là avec Aurélien dans mon dos, que quelque chose prenait. J’ai senti son écoute aiguë. Je sentais que quelque chose se dessinait naturellement. J’ai aimé ça. J’ai aimé que les choses se dessinent entre nous de manière presque évidente, sans qu’on ait de contrat particulier à établir. »

Jean-Philippe Toussaint « Après une très longue attente due à la pandémie, des reports et des annulations, j’ai découvert le résultat final un soir de novembre au théâtre des Bouffes du Nord, et j’ai été ébloui par le travail effectué. Passé la pure émotion de la découverte, passé l’admiration devant le jeu subtil et sensible de Denis Podalydès et la qualité de la mise en scène d’Aurélien Bory, c’est peut-être la quantité de minuscules réussites presque invisibles qui m’a le plus impressionné, cette accumulation permanente de mille nuances de finesse. »

Comment le texte a rencontré l’actualité

Écrit et mis en scène avant le Covid, La Disparition du paysage suit le flot de pensée d’un convalescent vissé sur une chaise roulante, dont le seul horizon est une fenêtre ouverte sur Ostende qui s’obstrue peu à peu. On voit a posteriori dans cette immobilité et cet horizon bouché comme un vieux souvenir des confinements passés.

Aurélien Bory « On a répété en octobre 2020 au Théâtre de la Cité de Toulouse en plein covid, puis en décembre aux Bouffes du Nord. Et 9 mois plus tard on présentait le spectacle au public pour la première fois. Le souvenir des confinements était alors très proche. »

Denis Podalydès « La chose est de l’ordre de la pure et simple coïncidence. Coïncidence des temps. C’est étrange parce que les spectateurs vont recevoir ce texte avec le confinement en tête, alors que ce n’était prévu ni par Jean-Philippe Toussaint à l’écriture, ni par moi-même à l’apprentissage du texte. L’immobilité, le temps étal infini correspond un peu au premier confinement, même si l’immobilité du confinement, me paraît déjà très loin. »

Jean-Philippe Toussaint « Après la générale du spectacle à laquelle je n’ai pas pu assister en raison de la pandémie, Denis Podalydès m’a écrit : “Je veux vous remercier pour ce cadeau. Vous me l’avez fait il y a deux ou trois ans, je ne sais plus tout à fait, me passant le texte au café Rostand. Il me semble que c’était il y a un siècle et que le monde a basculé entre temps. Mais ce texte fut mon fil d’Ariane, mon épée, ma cabane, mon esquif de survie ! Quelle résonance il prenait hier soir avec ce que nous vivons, et comme les gens l’ont perçu !” »

Comment cette pièce nous parle 10 ans après les attentats de 2012

La pièce tout entière n’est en réalité que la dernière pensée dilatée du personnage, victime d’un attentat à la bombe dans le métro de Bruxelles. Jouée à Toulouse dix ans jour pour jour après les attentats de 2012, cette irruption violente du réel dans l’imaginaire sera sans doute vécue intensément par le public toulousain.

Jean-Philippe Toussaint « Nous avons tous été concernés par les attentats terroristes. Comme écrivain, j’ai toujours pensé qu’il me fallait dire quelque chose du monde qui m’entoure. Non pas dans la précipitation, non pas en me laissant dicter le sujet de mes livres par les terroristes, mais à mon rythme, en laissant passer le temps de la réflexion. C’est vrai, c’est un texte grave, c’est un texte parfois dur. Mais, en dépit de la gravité du sujet, il me semble qu’il se dégage du spectacle une sorte d’hymne à la vie. »

Denis Podalydès « Tout texte à dominante tragique doit avoir cette résonance-là. C’est le sens profond de la tragédie que de mettre les moments douloureux sur scène de façon à les soulager, à s’en souvenir et à les dépasser tout en intégrant leur atroce réalité. Ce texte n’y échappe pas même si à proprement parler il ne concerne pas un attentat en particulier, mais toute forme de violence qui ferait irruption de façon irrationnelle et inattendue dans l’existence la plus intime et la plus quotidienne. Dans une guerre les gens s’attendent au pire. L’attentat, au contraire, survient au cœur des moments les plus paisibles. C’est le cas pour le personnage de ce texte. »

Aurélien Bory « Déjà, quand on le jouait à Paris en novembre c’était le procès du Bataclan… La réalité, l’actualité influence toujours le regard du spectateur de théâtre. C’est sa force, d’ailleurs, c’est un art de son temps. »

Denis Podalydès « C’est le paradoxe de l’art tragique. Il porte cet espoir qu’une belle phrase puisse à la fois refléter la réalité la plus fracassante, la plus terrible, la plus mortelle, et nous donner le plaisir de l’avoir évoquée avec des mots et le sens de la beauté. Malgré le désastre total que suppose un drame, le fait d’avoir réussi à le dire, à le faire un peu ressentir, nous donne le sentiment inverse. Évoquer ce qui dévaste les gens crée un plaisir cathartique. Pas un plaisir voyeur, pas un plaisir morbide, mais un plaisir qui nous donne la preuve que la vie est plus forte. »

À lire La Disparition du paysage Jean-Philippe Toussaint Les Éditions de Minuit, 2021

À voir La Disparition du paysage Les 15, 16, 17, et 18 mars au Théâtre de la Cité

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