En plein Mondial de foot au Qatar, le collectif Warld Cup expose à Toulouse l’envers du décor de l’édition brésilienne de 2014. L’expo, qui balance entre ferveur sportive et violence sociale, a déjà fait le tour du globe et la Une du New York Times. Un retour au pays pour ce projet presque occitan, lancé par un Argentin, un Toulousain, une Aveyronnaise… et son mari brésilien.
On l’a un peu oublié, mais la Coupe du monde 2014 au Brésil, sans atteindre le scandale de l’édition qatari, a connu elle aussi son lot de controverses. C’est ce qu’illustre le très hétéroclite assemblage d’images accrochées aux murs de l’Astronef, un café culturel de Rangueil. La ferveur, d’abord, dans les yeux de supporters célébrant un but dans une favela. La candeur ensuite, dans le cliché d’un gamin balle au pied devant une rangée de boucliers anti-émeutes. La violence enfin, dans la répression des manifestations dénonçant la façon dont le pays a préparé la compétition. Ce projet photographique est porté par 30 photographes de plus de dix nationalités différentes, réunis dans le collectif Warld Cup. Chacun y contribue par un seul cliché illustrant le motif de son choix : culture foot, expropriations, répression policière, pauvreté, urbanisme… À Toulouse, les photos sont présentées sans légende ni nom des photographes, histoire d’appuyer le caractère collectif de l’ensemble et ne pas biaiser la lecture avec certaines descriptions mieux tournées que d’autres. Osvaldo Dinho Moreira, 38 ans, Brésilien expatrié à Grenade-sur-Garonne évoque ce projet.
Quelle est la genèse de Warld Cup ? J’étais photographe indépendant à Rio, notamment pour Midia Ninja, un groupe de presse alternatif qui rencontrait un certain succès pour sa liberté de ton, du fait du contrôle strict du reste de la presse brésilienne. Nous parlions de ce que le gouvernement taisait. Nous portions une parole en contradiction avec les autres organes de presse. Nous avions trouvé notre public en faisant des lives sur internet. C’était novateur à l’époque. Et puis la Coupe du monde est arrivée…
L’humeur n’était-elle pas à la fête ? Au Brésil, tout le monde aime le football. C’est culturel. Nous étions très heureux que le pays soit choisi pour organiser la Coupe du monde. Mais les problèmes se sont multipliés dès que le gouvernement s’est mis à investir dans les infrastructures. L’argent était jeté par les fenêtres. Des quartiers entiers ont été détruits. Des stades ont été construits et n’ont parfois jamais accueilli de match. Les billets étaient trop chers pour la classe moyenne. C’était une fête de riches. Nous n’étions pas invités, mais nous subissions les conséquences. C’est comme cela que l’envers du décor nous est apparu.
Que s’est-il passé ? Dans la rue, la joie a laissé place à la colère et aux manifestations. La réponse de l’État a été la répression et l’injustice sociale. La Fifa a aussi sa part de responsabilité. Il y avait une forte pression de leur part. Il y eu des morts pendant les travaux, mais ils ne s’en sont pas préoccupés.
Comment le collectif porteur de ce projet est-il né ? Avec ma femme Elsa Bruguière, qui est Aveyronnaise, nous hébergions le photographe argentin Sebastian Gil Miranda et le Toulousain Thomas Belet. Ils couvraient l’événement et étaient surpris par ce à quoi ils assistaient. C’est Sebastian qui a eu l’idée de ce projet. Nous pensions être cinq ou six… nous nous sommes retrouvés 30, dont des photographes renommés comme Daniel Marenco. Cela fait huit ans que l’exposition tourne. Le public est toujours aussi surpris de découvrir la réalité de ce mondial brésilien. Derrière chaque cliché, il y a une histoire, des vies humaines, des anecdotes souvent dramatiques.
Laquelle de ces histoires vous paraît la plus emblématique de l’exposition ? Celle du quartier de Maracanã, près du mythique stade du même nom. Des habitants y avaient construit des maisons de fortune. De logement en logement, un quartier est né sans que personne n’intervienne jamais pour l’empêcher de pousser. Jusqu’à ce que les autorités décident brutalement de tout démolir, sans prévenir. La police a donné quelques minutes seulement aux habitants pour partir avant de tout raser. Dans l’exposition, il y a la photo de la toute dernière maison de ce quartier.
Votre contribution à l’expo montre un groupe d’indiens dansant autour d’un arbre. Quelle histoire se cache derrière cette scène ? Cet arbre se trouve tout près du Maracanã. À l’époque juste à côté, il y avait un bâtiment consacré depuis 1910 aux cultures indigènes. C’était un musée. L’État a fini par l’envoyer ailleurs, dans un local inapproprié. Mais comme l’ancien musée était à l’abandon, les Indiens sont revenus avant que les autorités envisage de tout raser pour faire un parking. Un mouvement de contestation baptisé Aldeia Maracanã est né à ce moment. Des affrontements ont eu lieu. Les policiers viraient les occupants à coups de lacrymo, mais les Indiens revenaient toujours. Finalement, les travaux ont eu lieu et le musée a été épargné… et l’arbre aussi. Il est plus ancien que le stade, et revêt une importance particulière aux yeux des indigènes. Alors, ils dansent autour. Dans le même ordre d’idée, le chef de la tribu Guajajara, âgé de 64 ans, est un jour monté dans un arbre pour fuir la police. Il y est resté 26 heures. J’ai réalisé un documentaire à ce sujet, qui est diffusé en marge de l’exposition.
L’arrivée de l’exposition à Toulouse coïncide avec la Coupe du monde au Qatar… Peut-on faire le parallèle entre les deux ? Tout le monde parle des ouvriers décédés dans les travaux de construction des stades du Qatar. Je parie qu’il n’y a pas que ça. Que ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. Cela paraît dur à croire, mais au Brésil aussi, nous n’aurions jamais cru qu’un jour, effrayés par les conséquences sociales de l’organisation de la Coupe du monde, des Brésiliens puissent descendre dans la rue pour réclamer son annulation.
Comments