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Orane Benoit

Retour vers le bistrot

Dernière mise à jour : 19 févr.

Pour lutter contre le désert commercial des communes rurales et le sentiment d’abandon de leurs habitants, le Groupe SOS, la plus grande entreprise sociale française, favorise l’ouverture de cafés multiservices. En deux ans, l’asso a accompagné l’implantation d’une centaine de ces commerces, à l’image du Baroudeur, à Labastide-de-Lévis, dans le Tarn, où Boudu est allé boire un coup.



À Labastide-de-Lévis, aucun panneau n’indique la direction du nouveau petit commerce de la commune. Pas d’enseigne non plus sur la façade. Le Baroudeur est pourtant bien ouvert, entre le village ancien et les nouveaux lotissements. Ce bar-restaurant-épicerie-relais-colis-dépôt-de-pain aux airs de salle des fêtes a ouvert ses portes il y a trois mois. Ce soir, Meghane et Thomas, les gérants, attendent une quarantaine de convives pour une soirée cochon à la broche. Sur la terrasse, profitant des derniers rayons de soleil avant de passer à table, Monique et Monique, nées dans le village, ne cachent pas leur enthousiasme : « Cela faisait quelques années qu’il n’y avait plus aucune activité. On s’ennuyait! On n’est pourtant pas dans un village musée ! » Comme Labastide-de-Lévis, 26 000 communes rurales sur 32 221 n’ont plus de café. Partant de ce constat, le Groupe SOS, une association spécialisée dans l’entreprenariat social a lancé l’opération 1000 cafés en 2019. « Chaque mois on sélectionne des communes dans lesquelles on s’engage à ouvrir un café. Nous apportons notamment des garanties financières qui permettent de limiter la prise de risques », explique Clémence Richard, responsable de la communication de l’asso. L’objectif est de lutter contre le sentiment d’abandon des territoires ruraux engendré par la disparition de leurs commerces. L’offre est alléchante pour les municipalités, mais celles qui candidatent doivent répondre à plusieurs critères : compter moins de 3500 habitants, ne plus avoir de café (ou avoir un café en cours de fermeture) et disposer d’un local. Aujourd’hui, 1000 cafés accompagne une centaine de commerces ouverts ou en cours d’ouverture. Labastide-de-Lévis comptait encore plusieurs commerces il y a une vingtaine d’années. Le dernier a fermé en 2016. Main dans la main avec 1000 cafés, qui s’engage à former les nouveaux gérants, ce village tarnais de 900 habitants lance alors le recrutement en postant une annonce sur le bon coin. « J’ai répondu par curiosité. Mais vu qu’il n’y avait pas d’images, je n’y croyais pas. Je pensais même que c’était une arnaque ! » raconte Thomas en préparant les apéritifs.

Juste avant le confinement, cet ancien cuisinier de 30 ans a retrouvé son amie d’enfance Meghane, qui travaillait dans le prêt-à-porter. Un vrai coup de foudre. Le ventre rond de Meghane en témoigne. Déjà mère de deux enfants, elle attend son troisième avec Thomas. Après plusieurs entretiens, ce couple de villageois convaincus par le caractère « indispensable » de ces lieux de vie en milieu rural, est choisi pour lancer ce nouveau commerce multiservices : « On a pris tous les risques, on a déménagé, on a changé les enfants d’école et on s’est installés dans le village », explique Meghane. Le projet n’aurait pas pu voir le jour sans l’aval des habitants qui ont tous répondu à l’appel citoyen lancé par la commune. Même si ce soir, sur la terrasse, certains font part de doutes sur le caractère excentré du café ou sur son manque de visibilité, tous semblent ravis de son ouverture. C’est le cas de Karine, heureuse de voir des jeunes dynamiser son territoire et apporter un peu de convivialité : « On a beau vivre dans le même village, on ne se connaît pas. Il y a d’un côté les anciens et de l’autre les nouveaux et les jeunes qui s’installent dans les lotissements. C’est dommage ! ». Pour l’Irlandaise Fiona, qui fait la promotion des plats de Thomas « de Washington à Madrid en passant par Paris » le succès du Baroudeur repose aussi sur son épicerie et la vente de produits locaux. D’ailleurs, sur la terrasse, attablés autour d’un fût en attendant que le cochon à la broche soit doré à point, Vincent et Isabelle Couderc, vignerons à Labastide-de-Lévis et fournisseurs du Baroudeur, sont venus pour les soutenir : « Pour nous, c’est une belle vitrine. Ça permet de nous faire connaître à travers des circuits courts. Ici, on accueille aussi les gens pour faire découvrir notre patrimoine ». En cuisine, Thomas et son ami rôtisseur dressent les plats. Sur fond de rockabilly, les allers-retours entre la cuisine et la salle s’enchaînent. Thomas veille à adresser un petit mot à chacun. Après trois mois d’ouverture, malgré les horaires et la paperasse, les deux gérants ne regrettent pas leur choix. Leur sourire a conquis les habitants : « dans un village, on n’arrive pas en terrain conquis. » Dans l’espace épicerie aménagé en salle de restaurant, l’ambiance est bon enfant et toutes les générations sont représentées. Pour Jean, 70 ans, venu en famille soutenir la démarche, le plaisir d’être là est sincère. Mais au moment de quitter les lieux, cet ancien conseiller municipal est rattrapé par la nostalgie : « J’espère sincèrement que ça va décoller, mais ce ne sera jamais comme à notre époque. On organisait des fêtes avec 300 personnes. Tout le monde jouait le jeu. C’était un vrai village ! ».


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