Quinze ans après avoir échoué à obtenir le titre de capitale européenne de la Culture, Toulouse se rattrape au bistrot avec celui de Ville européenne du vin. Ce statut acquis de haute lutte place la capitale occitane sur la carte des grandes cités du vin, et sera prétexte à une valorisation de son histoire viticole.
La nouvelle a été annoncée en grande pompe en février à Lamego, au Portugal : Toulouse partage en 2023 avec la région portugaise du Douro, le titre de capitale européenne du vin 2023. Distinction octroyée par le Recevin, association réunissant onze pays viticoles du Vieux Continent : Portugal Espagne, Italie, Grèce, France, Hongrie, République tchèque, Bulgarie, Slovénie, Autriche, et Allemagne. Ce réseau créé en 2000 vise autant à défendre la richesse des appellations européennes et à developper des relations entre vignobles du continent, qu’à faire valoir le point de vue du monde du vin auprès des institutions européennes. Si ce titre réjouit les artisans de la candidature toulousaine (essentiellement l’interprofession des vins du Sud-Ouest et le réseau œnotouristique Iter Vitis), c’est qu’une seule ville française, Perpignan, avait jusqu’alors été distinguée par ce Recevin au sein duquel l’Espagne et l’Italie pèsent de tout leur poids.
À Toulouse, l’événement sera au cœur du festival du bien manger en juillet, et de la fête des vendanges place du Capitole fin octobre, en pleine coupe du monde de rugby. Mais le plus important est ailleurs, qui concerne le regard neuf que le pays, et les Toulousains eux-mêmes, portent sur leur propre ville. Si Toulouse n’a ni le lustre de Bordeaux ni la puissance commerciale de Montpellier, elle n’est pas aussi éloignée du vin qu’on croit. Pour preuve, ces bonnes raisons de considérer Toulouse comme capitale du vin, livrées par 6, comme il se doit.
Pour la géographie
Oublions un instant (hypothèse de travail) l’existence de Bordeaux dans le Sud-Ouest viticole. Que reste-t-il ? Une constellation de vignobles racés, typés, singuliers, parfois sous-estimés, un temps snobés par les locaux eux-mêmes, mais qui ont redoré leur blason à force de travail sur les cépages autochtones, et parce que la mode correspond à ce qu’ils ont de meilleur à offrir : un remède à la standardisation.
À ouest de la zone, le Basque Irouléguy, l’IGP Landes et les Côtes-du-Marmandais, au nord les Côteaux-de-Glanes lotois, à l’extrême orient l’IGP Aveyron, au sud l’IGP Ariège. Et au cœur des frontières tracées par ces vignobles, s’affichent Gaillac, Madiran, Fronton, et toute une géographie réjouissante d’appellations et de cépages dont l’épicentre est…Toulouse. Après avoir pris au XXe siècle un plaisir sadique à boire du bordeaux et du bourgogne, la Ville rose, poussée par un afflux continu de Neo-Toulousains, oublie enfin la vergonha et s’adonne aux vins d’ici avec délectation, aussi bien dans les caves et sur les rooftops à bobos que sur les places et terrasses populos.
Pour l’Histoire
En prenant pied à Toulouse au deuxième siècle avant notre ère, les Romains ont importé leurs mœurs alimentaires et leur manie de boire du vin. Sur place, ils ont trouvé à qui parler., car les Toulousains de l’époque, les Volques Tectosages, bien que celtes et amateurs de cervoise, ont vite adopté le vin (comme tous les Gaulois, d’ailleurs).
Deux sources nous renseignent sur l’importance du commerce et de la consommation de vin dans la Toulouse antique. D’une part, les textes. Le plus révélateur est un plaidoyer de Cicéron (né en 106 avant JC) en faveur d’un gouverneur accusé d’y aller un peu fort sur les taxes. Pour prouver la bonne foi de son client, Cicéron fait remarquer qu’à Toulouse, on exige jusqu’à 4 deniers de taxe par amphore, ce qui n’est pas donné.
D’autre part, il y a les fouilles archéologiques. Celles, anciennes, de Vieille-Toulouse, et celles menées de 2009 à 2011 sur le site de la caserne Niel. Les deux campagnes arrivent à la même conclusion à la lumière de la quantité astronomique d’amphores mise au jour : Toulouse était une plaque tournante du commerce du vin dans l’antiquité. Les amphores qui s’arrêtaient où transitaient par Tolosa, provenaient essentiellement des vignes de Campanie (Naples) et du Latium (Rome). Avant de les charger sur les bateaux, les Romains les fermaient à l’aide d’un bouchon de liège scellé avec un mortier de pouzzolane, et estampillé du nom du producteur. Une amphore de 25 litres s’achetait à bon prix, ou s’échangeait contre un esclave, du fer ou de l’argent.
Une fois à bord, elles voguaient jusqu’à Narbonne, calées en quinconce, avant de remonter en charrette vers Toulouse. Celles qui ne continuaient pas leur route vers Bordeaux via la Garonne étaient consommées sur place. Et pas qu’un peu. Sur la base des dizaines de milliers d’amphores découvertes sur le site de la caserne Niel, les historiens estiment que les Toulousains d’il y a 2000 ans éclusaient 1,33 litre de vin par jour. Heureusement, aucune autorité ne faisait souffler les conducteurs de charrette sur le cardo maximus qui courait alors depuis l’actuelle rue Saint-Rome jusqu’à la porte narbonnaise. Consommation d’autant plus impressionnante que les buveurs de cette partie de la Gaule consommaient le vin sans le couper. Une habitude qui faisait grimacer les Romains, qui agrémentaient généralement leur vin d’épices, de miel, d’aromates ou d’eau de mer.
Pour le terroir
Une étude de géographie urbaine de Jean Coppolani, publiée dans les années 1950 chez Privat, nous apprend que les terres agricoles représentaient encore à cette époque plus de la moitié de la superficie cadastrales, soit 5761 hectares. 20 ans avant le premier vol du Concorde, la vigne y occupe encore 735 hectares, soit 100 de plus que les prés et pâturages, ce qui fait de Toulouse la deuxième commune viticole du département… après Fronton. Et ce n’est rien comparé aux 1488 hectares de vigne qui couvraient la ville intra muros au début du XIX siècle.
Dans les années 50, il sortait alors des vignes de Haute-Garonne, du Tarn et du Gers, une piquette de faible degré difficile à conserver, que la vingtaine de grossistes de Toulouse coupait avec des vins forts audois, catalans, héraultais et algériens, pour obtenir les vins de consommation courante des Toulousains. On comprend mieux pourquoi Fronton, Gaillac et les autres vignobles des abords de Toulouse, ont mis du temps à redorer leur blason.
Pour la santé
Quand un Toulousain lève son ballon de rouge et lance à la cantonade « À votre santé », il ne trinque pas… il informe. En 2010, le professeur Jean Ferrières, cardiologue au CHU de Toulouse et professeur de médecine à l’Université Paul-Sabatier, a mis en évidence dans une vaste étude parue dans le Bristish médical journal, l’effet protecteur sur les maladies cardiovasculaires d’une consommation modérée de vin rouge. Modérée, cela signifie régulière (deux verres par jour pour les hommes, un verre pour les femmes), exclusivement pendant le repas, et accompagnés d’une alimentation équilibrée et d’exercice physique régulier. L’étude montre en revanche que rien n’est plus délétère que la consommation excessive d’alcool en mode afterwork occasionnel, happy hour ou bindge drinking. En d’autres termes : méfions-nous des pratiques qui portent un nom anglais, et faisons confiance à la diète méditerranéenne.
Pour le N°5
Depuis qu’il a ouvert ses portes en 2016 rue de la Bourse, le N°5 wine bar a décroché les récompenses les plus prestigieuses. 16 au total, dont trois titres de meilleur bar à vin du monde décerné par « The World of Fine Wine » magazine britannique parmi les plus crédibles et indépendants du monde. Ses créateurs, le Mazamétain Thomas Cabrol et sa compagne Anne, ont aujourd’hui passé la main et ouvert une table œno-gastronomique en pleine Montagne noire, déjà auréolée d’une étoile au Michelin. Le nouveau patron du N°5, Philippe Meynadier, entretient quant à lui l’excellence, et prépare l’ouverture prochaine d’un nouvel établissement en franchise… à Bordeaux.
Pour le vin de Candie
Même si la plupart d’entre eux l’ignorent, les Toulousains sont collectivement propriétaires d’un vignoble. Leurs ceps se dressent entre l’aérodrome de Francazal et l’A64, un terroir sur lequel poussent depuis 30 ans des Casto, des MacDo, des Carrefour et des Metro. On est ici sur les terres du domaine municipal de Candie, exploitation agricole en polyculture (céréales, légumineuses, légumes, fruits), 100% bio depuis 2014, dont les 30 hectares complètent les autres 250 hectares de terrains agricoles de la Ville. Si le domaine est aujourd’hui un pilier de la politique du maire Jean-Luc Moudenc en matière de bien manger (sic), la présence de cette exploitation agricole dans le giron municipal est le fruit du hasard. C’est le maire SFIO Louis Bazerque qui l’acquiert en 1976. À l’époque, il s’agit de faire de la réserve foncière. Il faut dire que le site se trouve au cœur d’une zone d’activités pleine de promesses, à un jet de pierre du tout nouveau Carrefour de Portet-sur-Garonne, le plus grand hypermarché d’Europe.
Ni la dimension patrimoniale du site (un château, une ferme fortifiée du XIIIe siècle, une chapelle, une maison de maître, des dépendances, un lavoir, une forge, un pigeonnier, des écuries, un parc) ni les parcelles cultivées depuis le XVIIe siècle, ne trouvent alors grâce aux yeux des Toulousains et de leur maire. On entretient la vigne faute de mieux, on alimente avec les récoltes une coopérative du coin, et on attend l’urbanisation du domaine… qui finalement n’aura pas lieu.
Jadis boulet, Candie est désormais une aubaine pour la mairie de Toulouse. La stratégie est simple : « Tout ce qui est produit ici doit se retrouver dans l’assiette des Toulousains. Soit via la restauration collective (on vient de faire 300 000 baguettes de notre blé bio, avec un boulanger et un meunier), soit auprès de la restauration privée, du MIN, ou dans le cadre de projets ponctuels comme cette année avec les brasseurs toulousains de La Garonnette » égrène Jean-Jacques Bolzan, adjoint au maire en charge du bien manger et du domaine de Candie.
Mais la grande nouveauté de Candie, c’est l’ambition nouvelle de son vin, dont 16 000 bouteilles de blanc, rouge et rosé sont sorties du domaine cette année. Avec l’embauche d’une vigneronne dédiée et d’un œnologue, la Ville cherche à modifier le profil et la mauvaise réputation des vins de Candie, pour opérer une montée en gamme et déclencher des réflexes de consommation identitaire. On boit désormais le vin de Candie jusque dans les brasseries du centre-ville, à commencer par le Capoul et les Illustres.
Florence Maynadier est la nouvelle vigneronne de la ferme urbaine de Candie. Avec l’œnologue Alain Escarguel, elle travaille à effacer la réputation de piquette qui colle au vin municipal.
À quoi ressemble un entretien d’embauche pour un poste de vigneronne municipale ?
Étonnant. Les questions portaient davantage sur la dimension humaine que sur la technique.
Quelle mission vous a été confiée ?
Assurer la montée en gamme des vins de Candie, et promouvoir les cépages du Sud-Ouest.
Où travailliez-vous auparavant ?
J’ai travaillé pour de grandes propriétés. J’étais dans le Gard ces quinze dernières années.
Quelle différence, pour la vigneronne que vous êtes, entre un vignoble municipal et une exploitation privée ?
Ce qui est formidable ici, c’est qu’on a le temps de travailler et d’innover. On teste par exemple avec 3D Aerospace un système de d’appareil relié par GPS aux tracteurs, capable de surveiller l’état de la vigne en temps réel. On n’aurait ni le temps ni les moyens d’expérimenter ce genre de choses dans un autre contexte. À l’inverse, il y a quelques inconvénients.
Un exemple ?
Dans une exploitation traditionnelle, quand vous avez besoin d’un outil, vous allez l’acheter. Ici, il faut remplir des formulaires et faire remonter l’info jusqu’à la mairie. Ça a son charme, mais on perd un peu de temps !
Comment réagissent les Toulousains quand vous leur dites que vous êtes la vigneronne de la Ville de Toulouse ?
Les plus jeunes sont très intéressés, les plus anciens font la grimace parce que le vin de Candie avait mauvaise réputation par le passé. La plupart tombent des nues parce qu’ils ignorent tout de ce domaine agricole municipal. Quant à mes proches dans le milieu agricole, ils me chambrent et me demandent comment on fait pour être vigneronne et avoir des horaires de fonctionnaire.
C’est vrai ça, comme faites-vous ?
Je ne suis pas fonctionnaire. À Candie, seule la directrice du domaine l’est.
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