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Voler pour mieux manger, c’est ok ?


L’inflation a particulièrement aggravé la précarité étudiante. Alors que certains étudiants se tournent vers des associations, d’autres ont trouvé dans le vol le moyen de conserver une alimentation décente tout en gardant bonne conscience.



Justine, étudiante en communication, a pris conscience du coût de l’alimentation en prenant son indépendance, et décidé de voler pour conserver ce qu’elle considère être une alimentation décente : « Malgré le peu de moyens, mes parents onttoujours fait en sorte qu’on mange bien. À 19 ans, je me suis rendu compte que c’était un luxe qui n’entrait pas dans mon budget d’étudiante. » Théo, 22 ans, étudiant en droit, trouve lui aussi dans le vol le moyen d’améliorer son quotidien : « Cela me permet de prendre des produits qui me font plaisir, qui améliorent mon niveau de vie. » Le budget alimentation de ces étudiants varie de 100 à 300 euros par mois. Ils annoncent économiser 15 à 40% en volant. Ceux qui s’adonnent au vol de cette manière disent le faire pour garder leur niveau de vie. Viande, fromage et plats préparés sont les principales denrées qu’ils évitent de passer aux caisses. Une façon de concilier vie étudiante animée et alimentation correcte.

Si le vol à l’étalage demeure une infraction qui peut être justifiée par l’état de nécessité (encadré n°1), il n’est pas excusé quand il s’agit d’améliorer le quotidien. Aux yeux de la loi voler des pâtes pour subsister s’entend, voler du saumon pour manger du poisson une fois dans la semaine, non.

« Je ne volerai jamais chez un petit commerçant. C’est une question d’éthique »

Justine, étudiante



Reste à déterminer ce qui relève de la nécessité et ce qui n’en est pas. La philosophe Sabrina Cerqueira, autrice de l’essai Voler (Rue de l’Échiquier, 2012) s’est penchée sur cette épineuse question : « Le vol alimentaire porte sur les produits de première nécessité. Il ne concerne pas uniquement la survie, mais aussi la santé. Les fruits et légumes, la viande et les protéines végétales, sont des produits dont on pense pouvoir se passer. Ce n’est pourtant pas le cas. »


Les étudiants que nous avons rencontrés confient n’avoir aucune honte à en parler aux amis ou à la famille. La plupart se sentent même légitimes.« Je connais mes limites, je sais mettre une valeur morale. Je vole seulement pour avoir un confort de vie qui n’est pas excessif » minimise Louis. « Je ne volerai jamais chez un petit commerçant. C’est une question d’éthique » analyse Justine. « Quand on vole une grande enseigne, on a l’impression de voler du profit de façon abstraite, analyse Sabrina Cerqueira. Les supermarchés n’ont pas de visage. Ce sont des choix moraux qui s’opèrent donc dans la pratique du vol. Il y a toujours eu une réflexion politique dans cette pratique, même lorsqu’il n’y a aucune revendication. »


Règle & usage
Le vol à l’étalage peut être pénalement justifié par l’état de nécessité. L’article 122-7 du code pénal prévoit une irresponsabilité pénale dans certains cas. Cependant, elle est appliquée uniquement lorsque le vol répondre à un « danger imminent et actuel » et lorsqu’il est « nécessaire et proportionné ».


Ni précaire, ni coupable

En revanche, rares sont les étudiants qui volent dans ces conditions, qui se tournent vers des associations. « Je n’en suis quand même pas là ! » se défend Victor, étudiant en communication de 21 ans. Et pour cause, pas un seul d’entre eux ne se considère comme précaire. Pourtant, selon l’Observatoire de Vie Étudiante, un étudiant est précaire lorsqu’il cumule revenus faibles et sentiment d’avoir des difficultés pour vivre. « Il y a pire que moi. Si je suis vraiment dans la merde, je peux demander de l’aide à mes grands-parents. Un étudiant précaire n’a aucune autre issue », estime Justine. Assez en difficulté pour ne pas se sentir coupable de voler, pas assez pour se considérer précaire.

Si ce phénomène existe depuis des décennies, l’inflation l’a amplifié : « Il y a 8 mois, je me suis rendu compte que les prix en supermarchés étaient beaucoup plus élevés qu’avant. Je n’arrivais plus à subvenir correctement à mes besoins sans voler » reconnaît  Arthur,21 ans, étudiant en économie. Alors que la moitié des étudiants interrogés par l’IFOP en septembre 2023 déclaraient avoir renoncé à des produits alimentaires à cause du prix, 46% d’entre eux ont déjà sauté un repas. « Je ne mange presque jamais à midi pour ne pas trop dépenser » confirme Victor.

« Le vol comme question morale n’est pas une évidence au départ » explique Sabrina Cerqueira. Voler est devenu immoral avec le capitalisme. Il devient plus tentant, facile, les marchandises sont à portée de main et visibles. Un ensemble de stratégies répressives évolue alors afin de décourager les gens ordinaires de voler. Il est moins question, pour la philosophe, du vol des étudiants et de leurs interrogations morales, que de la pauvreté de ces derniers. Les étudiants prennent leur indépendance, mais n’ont pas de revenus ou de minima sociaux, et vivent ainsi presque tous sous le seuil de pauvreté (encadré n°2).  « Comment se fait-il, dans une société dite riche, que l’on entretienne une population de jeunes adultes dans une situation où ils sont privés des moyens de subsister ? » questionne la philosophe.

S’ils ont autant de mal à se définir comme pauvres, c’est avant tout parce que les étudiants sont entretenus dans un « discours de méritocratie selon lequel lorsqu’ils veulent, ils peuvent » explique Sabrina Cerqueira. Ils ont passé un nombre de filtres sélectifs, et ont donc gagné le droit d’étudier. Ils s’inscrivent dans la représentation selon laquelle on leur en donne les moyens, ce qui les empêche de s’inscrire dans celle du pauvre. Quant au dispositif des bourses, ils ne contribueraient non pas, selon la philosophe, à établir une égalité réelle entre les étudiants, mais « à alimenter la croyance de la méritocratie. Un étudiant n’est pas qu’un professionnel en devenir poursuit-elle. Il devrait avoir droit à une vie sociale, et a besoin d’argent pour le faire. »


En chiffres
Selon une étude sociologique menée auprès de 5 115 étudiants par l’association d’aide alimentaire aux étudiants Linkee, ces derniers seraient très en dessous du seuilde pauvreté. 91,7 % d’entreeux vivent avec moinsde 1 000 euros par mois,et 47 % vivent avec moinsde 400 euros mensuels.




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