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Bienvenue à Vinyle Ville

“ Vinyl is not dead ”. Pas besoin de traduire. Ces quatre mots habillent fièrement la vitrine des Mauvaises Fréquentations, l’un des nombreux disquaires indépendants de Toulouse. Au total, une dizaine de boutiques spécialisées rythment le cœur de la Ville rose, devenue la véritable place forte du vinyle en France, après Paris. Une aubaine. Malgré l’ère triomphante du streaming, le vinyle séduit toujours : 4 millions d’exemplaires ont été vendus l’an passé dans l’Hexagone. Un marché qui pèse aujourd’hui 48 millions d’euros. Lourd. Au-delà des chiffres, qu’il fasse 33, 45 ou 78 tours, le disque a réussi à traverser les époques et les crises grâce à son identité, qui se cultive et se décline à Toulouse comme nulle part ailleurs. « Il y a toujours eu des disquaires ici », rappelle cependant Frédéric, authentique Toulousain de 42 ans et patron de InnerDisc, temple de la musique électronique basé à Saint-Cyprien. « Une vraie culture musicale, beaucoup de jeunes ou d’étudiants, voilà ce qui pourrait expliquer pourquoi cette ville aime le vinyle depuis autant d’années. » Depuis 1987 précisément, avec l’arrivée de Croc’ Vinyl, le plus ancien disquaire de Toulouse encore en activité.

 Passer du temps à fouiller dans les bacs pour dénicher la perle rare, c’est aussi ça, la magie du vinyle.

À la barre, Eugène Corona-Pineda, 62 ans. Celui qui s’est lancé avant tout le monde, quelques mois seulement avant l’enseigne Armadillo, toujours présente rue Pharaon dans le quartier des Carmes. Celui qui a aussi survécu à toutes les tempêtes, même les plus virulentes quand il a fallu, en pleine hégémonie du CD, fermer plusieurs magasins, pour n’en sauver qu’un, désormais installé rue des Lois. « Pour durer, il faut avant tout respecter le client et surtout, ne pas juger ses goûts » confie ce fils d’immigrés espagnols qui a choisi de ne prêcher pour aucune paroisse musicale. Sur les murs blancs de Croc’ Vinyl, une compilation de punk voisine sans complexe avec «La chanson de Prévert» de Serge Gainsbourg. Un peu plus loin, au milieu des platines qui attendent de tourner, une édition promo de «Bad» de Michael Jackson rappelle que le roi de la pop avait vendu son talent et son image à la marque Pepsi en 1988. Valeur marchande 30 ans plus tard : 250 euros. Comme le vin, un soda peut donc, lui aussi, se bonifier avec le temps.


Vinyle mais correct

La concurrence, Eugène Corona-Pineda la vit plutôt bien. Comme ce samedi matin ensoleillé où il s’est attablé quelques instants à la terrasse d’un bar avec un autre disquaire, Thomas Cuvelier, propriétaire de la boutique New Bullitt, voisine de Croc’ Vinyl. Un amateur de musique mais surtout de cinéma. En témoigne le nom de sa boutique, référence au film policier de Peter Yates avec Steve McQueen, Robert Vaughn et Jacqueline Bisset. « J’aurais préféré l’appeler Vertigo en hommage à Alfred Hitchcock, mon réalisateur fétiche, mais le nom était déjà pris. » Entre cinéma et musique, impossible de choisir. Alors Thomas Cuvelier a fait de ses deux passions un métier, et un lieu unique en son genre. Dès l’entrée, des dizaines d’affiches de films grand format attirent l’œil des curieux comme des amateurs du 7e art. à côté, beaucoup de vinyles évidemment (près de 3 000), des bandes-originales et quelques classiques rock indémodables. Particularité des lieu : il vend uniquement des occasions, quasiment pas de neuf. Avantage : des prix plus que corrects, voire cassés, comme ce disque d’Éric Clapton qui s’échange contre 5 euros seulement.

Mais la facture peut aussi grimper très vite sur un pressage d’époque. Exemple avec «Captain Tarthopom» de Jean Cohen-Solal. Un concept-album foutraque avant-gardiste sorti en 1973. Quasiment introuvable aujourd’hui. Un seul exemplaire disponible sur le marché toulousain, «chez New Bullitt» se félicite Thomas Cuvelier avant d’annoncer la douloureuse : 180 euros, le prix de la rareté et du son d’origine. Il suffit de tendre l’oreille : ça grésille, ça crépite. Attention, si ça craque, c’est mauvais signe. Car oui, un vinyle, ça s’entretient. Ce que fait plutôt bien le Laboratoire, disquaire toulousain spécialisé dans le hip-hop, un courant musical qui a maintenu le vinyle à flot au début des années 90 quand les majors avaient décidé de l’enterrer. Ressusciter les disques, c’est aussi l’autre spécialité de la maison, grâce à une machine ultramoderne. Un gros cube monochrome en forme de platine, posé à l’arrière de la boutique à côté d’un poster des Beastie Boys, époque «Licensed to Ill». Dans un brouhaha d’aspirateur dernier-cri, deux bras en acier et quelques LED bleutées redonnent vie à n’importe quel enregistrement à l’aide d’ultrason, de liquide de nettoyage et de brosse antistatique. Un tour de magie qui dure moins de 5 minutes, permettant ainsi de restituer une qualité sonore jalousée encore aujourd’hui par les autres supports, physiques ou dématérialisés.


Ça grésille, ça crépite. Attention, si ça craque, c’est mauvais signe.


Tapas et riffs

Mais le vinyle, ce n’est pas que du son. C’est avant tout un objet qui se regarde et s’expose. « C’est presque devenu un rituel » pour Jean-Baptiste. Chapeau noir sur la tête, moustache bien taillée, ce barbier toulousain de 24 ans chine depuis l’adolescence. C’est son grand frère DJ qui lui a transmis le virus : « Passer du temps à fouiller dans les bacs pour dénicher la perle rare, contempler une pochette, lire toutes les annotations… C’est aussi ça, la magie du vinyle ». Un objet rétro qui se transmet de génération en génération. Hommes, femmes, étudiants ou retraités, tous se retrouvent au comptoir du Made In, disquaire-café qui nourrit ses clients à deux pas de la Daurade avec des tapas régionales et quelques riffs de blues. « L’idée était de développer quelque chose d’à part et de rapprocher les gens » explique Patrick Derrien, baroudeur passé par l’Afrique et véritable encyclopédie de la musique noire américaine.

Derrière un grand sourire qui ponctue chacune de ses phrases, ce Breton d’origine confie avec malice être devenu disquaire parce qu’il était mauvais musicien. Il a fait de Made In un lieu à son image : militant et différent. À l’avant, tables et chaises pour se poser et refaire le monde. à l’arrière, une collection impressionnante de 8 000 références venues notamment de Jamaïque ou de Louisiane. De quoi «gratter» pendant des heures pour trouver l’album qui manque à sa collection. Plongé dans ses recherches musicales, lunettes sur le nez face à un mur en briques rouges, Général Mustafa se sent ici comme chez lui. « Je viens chaque semaine. Pour moi, Made In, c’est plus qu’un disquaire, c’est un vrai lieu culturel » s’enthousiasme ce grand garçon de 39 ans. Preuve qu’à Toulouse, le vinyle n’en finit pas de creuser son sillon. 

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