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Célibataires Covid : un an de solitude

A l’ère pandémique, la distanciation sociale, les confinements, et le couvre-feu constituent un terreau idéal pour faire germer toutes les tensions, comme en atteste la hausse significative des violences conjugales, mais aussi toutes les frustrations. En particulier chez les célibataires qui « subissent de plein fouet cette période de restrictions et sont particulièrement en souffrance », observe Gérard Neyrand, sociologue de la famille et du couple, professeur émérite à l’Université de Toulouse et auteur de Faire couple, une entreprise incertaine, (éd. Éres), qui développe : « Les lieux de sociabilité traditionnels (bars, restaurants, entreprises…) n’existant presque plus, les rencontres se sont déportées dans le champ virtuel ». De nombreux célibataires se sont donc tournés vers les sites de rencontres, qu’ils soient généralistes comme le fameux Meetic ou bien dits « de niches », où l’on peut se mettre en quête de l’âme sœur en fonction de ses goûts, de ses intérêts, et même de sa religion. Avec des fortunes diverses.

Se rencontrer « en vrai » Si Geneviève 53 ans, prof d’histoire-géo en Corse, file toujours le parfait amour avec Gilles, viticulteur dans l’Hérault rencontré en plein confinement grâce au site DisonsDemain « réservé aux jeunes de plus de 50 ans », ces sites ne sont pas des machines à fabriquer du bonheur comme le souligne Gérard Neyrand : « Ils ont des effets contradictoires : certes ils facilitent la rencontre mais en même temps ils véhiculent l’idée qu’il peut exister une personne mieux, qui pourrait correspondre davantage. » C’est le côté « catalogue Ikéa », dénoncé par Bertrand, 55 ans prof de techno dans les Landes. L’ex-toulousain, qui fut marié pendant quinze ans (et séparé depuis douze), est un habitué des sites de rencontres : du convivial et faussement innocent site « AmieZ » dont le concept est basé sur le partage de sorties (virées en groupe à l’entrecôte, sorties rafting et marche rapide -et plus si affinités) en passant par l’efficace et droit au but Tinder, il déplore pourtant : « On a l’impression qu’il y aura toujours mieux, plus belle, plus sympa… » Une impression que décrit également Éléonore, 44 ans, chargée de production à Toulouse. « Ces sites ont l’air cool, on a l’impression, que tout est possible. Mais dans les faits on se rend compte que tout le monde est déjà « en affaire » quelque part  », précise cette maman divorcée qui, à la sortie du dernier confinement a expérimenté plusieurs rencontres sur Tinder, dont « une vraiment chouette ». Même si elle reconnaît qu’il lui a fallu sortir le pic pour briser la glace. Pas dans le style « Basic instinct », mais en version « jardin public ». « C’était pas évident, on était assis sur un banc. Mais là, il y avait les masques, les gestes barrières, qui instaurent une espèce de distance physique alors qu’on a justement besoin de créer du lien avec la personne, de mettre en place une promiscuité, de sentir un bras contre le sien… » Bertrand, le néo-landais confirme : « Je suis tombé sur une femme, morte de trouille, qui voulait garder le masque. Sans être rédhibitoire pour moi, ce n’était pas évident. Il manque quelque chose quand on ne voit pas le visage ou les expressions. »

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@Benoit Rémi – @Laurent Gonzalez


Célibataire sur canapé Pour Julien, pharmacien toulousain qui avait l’habitude d’embrayer très vite après « une touche sur Tinder », il a fallu sortir les freins : « J’étais plutôt du genre à rencontrer très vite la personne car je n’ai pas envie de raconter ma vie en ligne. Ça me permet aussi de détecter les filles qui veulent juste avoir quelqu’un qui pense à elles mais qui ne sont pas dans une logique de concrétiser la rencontre. Là, vu la situation, j’ai accepté de jouer le jeu avec une fille, car j’ai eu l’impression qu’elle valait le coup d’attendre. Mais c’est vrai qu’aujourd’hui, c’est un risque d’embrasser quelqu’un. » Un risque auquel Julien ne souhaite pas s’exposer en tant que professionnel de santé et parce qu’il veut préserver ses parents septuagénaires qu’il voit régulièrement. « Ça devient compliqué d’avoir des relations : avant, il fallait se protéger en bas ; maintenant il faut aussi se protéger en haut », soupire-t-il. « La période n’est pas sans rappeler les années sida qui ont été dans les années 80 un frein à la libération sexuelle amorcée dans les années 70, rapproche Gérard Neyrand, le chercheur en amour. Cela rend les rencontres concrètes délicates. Bientôt on va imaginer un passeport vaccinal ». La position de Julien en atteste : « Je serai plus détendu quand mes parents seront vaccinés, et moi aussi. » En attendant, il a quand même déjà concrétisé une rencontre virtuelle dans la vie réelle, en extérieur, masqué, et au jardin des plantes. Eléonore elle, a déjà écumé plusieurs parcs toulousains, du jardin japonais de Compans, à celui de l’observatoire pour finalement jeter son dévolu sur la pointe de l’île du ramier, « en fin de journée, avec une petite bouteille de Champ’, c’est parfait ! » Bertrand, lui est un adepte du « walking date », autre tendance forte de cette période de pandémie, qui consiste à « donner rendez-vous pour marcher, le long du canal par exemple ». Il reconnaît que la mise en place du couvre-feu a complexifié les choses : « On doit s’accueillir chez les uns et les autres, donc c’est une prise de risque, surtout pour les femmes. Moi, ça m’est arrivé d’aller chez quelqu’un pour la soirée, et comme ça ne l’a pas fait et que je ne pouvais pas repartir chez moi, j’ai dormi sur le canapé ! C’est un truc que je n’aurais jamais imaginé. Ça veut dire qu’il faut vraiment bien sentir la personne. C’est quand même spécial… » Claire, graphiste à Toulouse, a ainsi pris le risque d’inviter un homme rencontré sur une appli : « Même s’il y avait un bon feeling entre nous, en temps normal je n’aurais jamais fait venir un inconnu chez moi. À cause du couvre-feu, il a dû repartir à 21 heures. Il était stressé, ce n’était pas un moment agréable. Quelque part, j’étais déçue qu’il ne soit pas prêt à risquer une amende pour moi. Je n’ai d’ailleurs pas cherché à le revoir. »

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@Benoit Rémi – @Laurent Gonzalez


Relations de proximité  Être prêt à risquer une amende, jouer au chat et à la souris avec le gendarme, marcher le long du canal, ou se retrouver à rentrer trop vite dans la sphère intime de l’autre et finir par dormir sur un canapé, les nouveaux formats de rendez-vous peuvent pimenter une relation ou… la tuer dans l’œuf ! « Ces gestes barrières produisent des situations inédites, où chacun construit des stratégies nouvelles comme le fait de demander un test Covid négatif avant une rencontre », illustre Gérard Neyrand. Le romantisme est mis à mal et les règles du jeu de la séduction ont changé : « Le port du masque rend difficile le coup de foudre », ajoute le chercheur. « Finalement le seul moment où l’on peut sourire, attraper un regard, c’est quand on est à vélo, résume Éléonore. Il n’y a plus de soirées dans les bars, plus de « meeting potes », ces réunions entre célibataires où chacun amène un celib’ avec une petite intention derrière, il ne reste plus que les déménagements ou les réunions de copropriétaires…même si ce n’est pas toujours une bonne idée de sortir avec son voisin ! », s’amuse-t-elle. C’est pourtant ce qu’a fait Agathe, jeune cadre sup’ de la région toulousaine, qui de façon empirique, s’est tournée vers des « relations de proximité » : « Je n’ai pas du tout souffert du premier confinement car je suis sortie avec mon voisin. On s’entendait bien et, petit à petit, on s’est rapprochés : le bon plan quoi ! » Pragmatique Agathe, qui se remet tranquillement d’une douloureuse rupture il y a deux ans avec le père de ses enfants : « Je n’ai pas forcément envie de faire entrer quelqu’un dans ma vie. Le Covid n’a rien changé pour moi, et comme je travaille en présentiel, j’ai depuis quelques mois une aventure au travail. » Efficace et cash, Agathe : « Au boulot, c’est pratique, même s’il faut penser à bien remettre son masque en sortant de l’ascenseur. Ça fait un truc de plus à penser mais au fond c’est excitant… », confie-t-elle.

Un travail en présentiel, ça aide, un appartement pour se retrouver, c’est essentiel. Alors aujourd’hui, pour Julia, 26 ans, c’est un peu l’impasse : rentrée à Toulouse juste avant le premier confinement, après plusieurs années passées à Londres, elle a dû retourner vivre chez ses parents en attendant de retrouver un emploi : « Je ne peux pas ramener quelqu’un comme ça, ils ne comprendraient pas. Je viens d’une famille catholique, plutôt traditionnelle. C’est compliqué ! » La jeune femme a rencontré quelqu’un juste avant le deuxième confinement : « On s’est retrouvés tout de suite l’un sur l’autre dans son appartement alors qu’on ne se connaissait que depuis un mois et demi. Forcément ça n’a pas marché. En plus, dans une nouvelle relation, on a besoin de découvrir des choses ensemble, d’aller au resto, de boire un verre, d’aller au cinéma… Surtout à notre âge, où c’est vrai qu’on est un peu dans ces habitudes de conso et de divertissement. », raconte-t-elle tout en reconnaissant être mal à l’aise avec les applis de rencontres où « le tri s’opère sur le physique. J’ai l’impression d’être un morceau de viande. Mon but est de trouver du travail car je sais que je trouverai quelqu’un. » Les personnes fragilisées, déçues ou réfractaires aux applis de rencontres sont légion. « Sans oublier celles qui n’utilisent pas ou peu Internet », souligne Gérard Neyrand.

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@Benoit Rémi – @Laurent Gonzalez


Des super-filtres de recherche Pour elles, il reste les agences matrimoniales « traditionnelles » qui semblent en regain de forme depuis la pandémie. Comme l’agence Odile Rencontres qui affiche une hausse de 30% des adhésions depuis le début de la crise : « Nous agissons comme de super-filtres, mieux qu’un moteur de recherche, s’enorgueillit Odile Delbas, sa directrice. Nous n’acceptons pas dans nos fichiers les personnes mariées, celles qui recherchent des aventures sans lendemain, ou les personnes qui ne sont pas allées au bout de leur deuil. Avant, il y avait beaucoup d’appels, qui ne débouchaient pas nécessairement sur une inscription. Désormais, c’est un appel = une inscription. » Les demandes affluent de la part de jeunes qui n’ont plus de lieux pour sortir, mais aussi d’octogénaires ou de retraités dont les associations et clubs sont fermés et dont le risque de développer des formes graves de la Covid est plus important. « Comme ces célibataires se rencontrent à leur domicile, ils ne veulent pas prendre de risques. On fait le tri : on apporte la garantie que la personne est vraiment motivée pour s’engager dans une relation sérieuse et durable. » On apprend alors que, dans une agence traditionnelle, lors d’une adhésion, la loi autorise à exiger des papiers d’identité, voire des extraits de casiers judiciaires ou autres documents justifiant de la situation de l’adhérent. Mais là, le romantisme n’en prend-il pas un coup ? Pour Odile et ses 28 ans d’expérience sur le marché du célibat, la faim justifie les moyens : « La solitude est difficile à tous les âges : tout le monde a besoin d’amour. Finalement les gens reviennent à des choses toutes simples : partager leur quotidien, faire des pique-niques, partir en chambre d’hôtes pour aller se balader dans la nature. Ils se font livrer un menu du restaurant à la maison, ils font du bricolage, du jardinage… » Et ce ne sont pas les aspirations de Bertrand qui la contrediront : « Ma plus grosse frustration, c’est de ne plus partager les choses simples de la vie. Par temps de Covid, quand on est célibataire, on n’a plus que sa télé. » Reste enfin ceux comme Julien le pharmacien, qui ont la tentation de revenir vers certaines de ses ex, des relations « plus sécurisées » : « J’ai tenté quelques approches, mais ça n’a pas marché », preuve que le réchauffé n’est jamais bon… L’optimiste Agathe, elle, préfère regarder vers l’avant. La Marie Poppins du date confie malicieusement : « J’ai toujours mon petit sac de nuit dans le coffre de la voiture, au cas où… » Organisation, adaptation, nouvelles stratégies. Le célibataire en quête de rencontres amoureuses est un animal comme les autres : il s’adapte, masqué ou pas.

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