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BOUDU

Ceux qui font l’agriculture


Philippe Lacube / Mic-mac eNtre McDo et Mac’Arel

Éleveur-restaurateur ariégeois, Philippe Lacube s’est fait connaître des Toulousains en janvier 2011, en vendant à la sauvette, devant le McDo du Capitole, des hamburgers de bœuf gascon baptisés Mac’Arel (référence à l’interjections occitane Macarel !). Une façon de signifier « la résistance des éleveurs ariégeois » et de rigoler un peu. Créé quelques années plus tôt, goûté par Chirac au Salon de l’agriculture en 2004, le Mac’Arel est aujourd’hui une marque déposée, propriété de la race gasconne, et utilisable par tous ses éleveurs. En juin dernier, par avocat interposé, McDonald’s a intimé aux intéressés l’ordre de cesser d’utiliser le nom de Mac’Arel, au motif que l’emploi du terme mac pour désigner un sandwich lui était réservé. La chose ne semble pas faire peur au charismatique Lacube, habitué des combats virils contre la malbouffe, l’exode rural et la réintroduction de l’ours dans les Pyrénées.


MICRONUTRIS / Europe, écologie, les vers

En 2011, quand le premier élevage d’insectes comestibles a ouvert ses portes à Saint-Orens, l’idée qu’on puisse un jour grignoter des vers ténébrions à l’apéro, ou remplacer la cerise sur le gâteau par un grillon sigillatus paraissait extravagante. Sept ans plus tard, cette ferme pionnière en Europe annonce des objectifs de production pour les années à venir flirtant avec les 125 tonnes d’insectes par an, contre 25 tonnes en 2017. Preuve que la consommation d’insectes est entrée dans les habitudes d’une frange de la population. Il faut reconnaître que passées la répulsion légitime et la question gustative, les arguments en faveur de la consommation d’insectes sont difficilement contestables, aussi bien du point de vue nutritionnel (protéines de qualité, fibres, vitamines), qu’environnementaux (à valeur nutritionnelle égale, l’élevage d’insecte rejetterait 100 fois moins de gaz à effet de serre que l’élevage industriel bovin). Pour autant, le patron et créateur de Micronutris, Cédric Auriol, se défend de vouloir remplacer la viande par les insectes. Le discours de l’entreprise est d’ailleurs assez clair sur la question, qui envisage la consommation d’insectes comme une solution à la réduction de la production de viande industrielle au profit des viandes à l’herbe.



Jauzion / Pape du ginseng propre

En 2010, une poignée d’amis, dont l’ancien rugbyman Yannick Jauzion, décidaient de se lancer dans la production de ginseng, la plante médicinale la plus utilisée dans le monde. Une première hexagonale qui a pris racine à Seysses, à 20 kilomètres de Toulouse.

Et s’il s’agissait du parfait contre-exemple de l’aéronautique ? Là où de plus en plus d’observateurs craignent de voir le temps d’avance d’Airbus sur ses homologues chinois fondre comme neige au soleil, à Toulouse, une poignée d’utopistes a entrepris de damer le pion aux producteurs de ginseng de l’empire du Milieu. Une vraie gageure quand on sait que cette plante médicinale est cultivée depuis des millénaires en Asie. À la tête de ce défi un peu insensé, Yannick Jauzion, ancien 3/4 centre du Stade Toulousain et de l’équipe de France de rugby, convaincu de l’efficacité de la plante qu’il a utilisée comme complément alimentaire au cours de sa carrière : « Elle procure du bien-être au niveau de la vitalité et des capacités de réflexion ». Issu d’un milieu agricole, Jauzion, par ailleurs ingénieur agronome (diplômé de Purpan), ne se contente pas longtemps d’être un simple utilisateur. Dès 2010, il se met en tête, avec quelques amis, de produire le premier ginseng en France. Ou presque. « Il y a eu une tentative de plantation dans les années 80 mais cela n’avait pas fonctionné », explique Sylvain Latapie, directeur de France Ginseng. Il faut dire que cette plante, très bonne pour renforcer les défenses immunitaires, est assez capricieuse : outre le fait qu’elle ne supporte pas l’ombre, elle présente des cycles de production extrêmement longs : « Il faut attendre 6 ans pour avoir une récolte. Il n’existe aucune culture où l’on doit attendre aussi longtemps », éclaire Latapie. Mais il en faut davantage pour décourager Jauzion&co de se lancer dans l’aventure. Outre le challenge de créer une innovation agricole pour la santé, ils ont surtout identifié qu’il y avait matière à se démarquer de l’offre chinoise en proposant un ginseng plus propre.  « En Chine, ils utilisent beaucoup de pesticides, argumente Jauzion. Nous, nous n’utilisons qu’un seul produit fongicide autorisé dans la labellisation bio par an (contre 15 à 20 en Asie). » Ultime atout, et non des moindres, la concentration du ginseng. « La différence se fait sur la teneur en ginsénoside, c’est-à-dire le principe actif du ginseng, plus importante dans nos produits », explique Sylvain Latapie. France Ginseng cultive actuellement 13 hectares de Panax Ginseng C.A. Meyer à Seysses, Rion-des-Landes et Sordes l’Abbaye, sous abris, dans des fermes dotées de panneaux photovoltaïques. Alors que la société prévoyait, initialement, de ne vendre que la matière première brute, elle a décidé de commercialiser ses produits sous l’enseigne Jardins d’Occitanie. Une question de principe pour son directeur : « Quand on est gascon, ce n’est pas concevable de vendre un produit à des industriels qui vont en mettre une dose trop faible pour qu’il soit efficace ». D’où la nécessité de maîtriser toute la chaîne et de structurer une filière de distribution qui se limite, pour l’heure, à quelques magasins spécialisés, parapharmacies et autres thérapeutes. « On a beaucoup investi dans la production. L’enjeu est maintenant de se faire connaître et d’être vendu au bon prix », résume Jauzion. Avant peut-être de conclure des partenariats avec le milieu médical, de plus en plus intéressé par les vertus du ginseng, qui pourrait notamment être utilisé pour soigner certains cancers ou pour lutter contre le vieillissement des cellules. « Des chercheurs travaillent déjà dessus », se félicite Sylvain Latapie.


Naïo technologies / Robots des champs

Fondée en 2011 par deux ingénieurs toulousains, Naïo Technologies conçoit et commercialise des robots agricoles autonomes désherbants, employés essentiellement en viticulture. Tout en se défendant de vouloir remplacer la main d’œuvre par les machines. « On remplace plus des produits chimiques que des humains. […] Plus personne ne voudrait, aujourd’hui, serrer des boulons à la chaîne comme il y a 50 ans. Maintenant, des machines font ces process. C’est la même chose dans l’agriculture », explique Gaëtan Severac, l’un des fondateurs. Robotique rimant avec numérique, Naïo voit l’avenir de l’agriculture dans la digitalisation, qui doit permettre de gérer les cultures avec plus de précision. Et donc limiter les intrants chimiques. « Avant, on mettait de l’azote partout dans le champ, mais on en mettait sûrement plus que nécessaire, parce qu’on ne savait pas le doser. Maintenant, on se met à faire du dosage précis, au mètre carré ». Le progrès au service du développement durable, donc. 

Tracteure

Longtemps les femmes n’ont joué d’autre rôle dans le monde agricole que celui de « conjointe de l’exploitant », statut ne donnant droit ni à la considération ni à la retraite. Heureusement, depuis deux décennies, la féminisation gagne tout autant les entreprises rurales que les startups urbaines. Un phénomène de société dont Sabrina Dahache, chercheure à l’Université Toulouse Jean-Jaurès, analyse désormais les tenants et les aboutissants en détail. Cette docteure en sociologie, auteure d’études sur les femmes dans l’enseignement agricole, la place des femmes, et la formation sexuée en agriculture, fait désormais autorité sur ce sujet, et apparaît régulièrement dans les médias nationaux.


Marcel Bouché / Le lombric, un héros très discret

Marcel Bouché est un autodidacte devenu directeur de recherche à l’Inra. Né dans une famille ouvrière, il dit avoir obtenu son certificat d’études sur un coup de bol, avant de se rêver jardinier de la Ville de Paris au début des années 1950. En suivant les cours pour y parvenir, il croise le chemin d’un zoologiste de l’Inra qui l’embauche comme homme à tout faire dans son labo. Il gravit alors tous les échelons de l’Institut, jusqu’à devenir directeur de recherche. Une fois installé dans son laboratoire de Montpellier, Marcel Bouché a révélé au monde le rôle prépondérant joué par les vers de terre dans la vie du sol et la croissance des plantes. Ses travaux ont consisté principalement à mesurer scientifiquement la vie secrète des vers que Darwin avait pressentie en son temps. Les vers digèrent 300 tonnes de terre par hectare, ce qui fournit à la plante la majorité des éléments nutritifs dont elle a besoin. Quant aux galeries qu’ils creusent (4000 km à l’hectare !), elles retournent le sol, l’aèrent, et le rendent à la fois plus accueillant pour les végétaux et capable d’absorber les pluies diluviennes. Un « travail » d’autant plus important que la masse des vers à la surface du globe est largement supérieure à celle des Hommes : sur un hectare de terre, les vers représentent une tonne, et l’être humain 55 kg. Autant dire que tuer les vers, c’est se tirer une balle dans le pied. Aujourd’hui en retrait, Marcel Bouché accuse les instituts de recherche du pays de privilégier l’idéologie à la méthode scientifique, et se montre pessimiste quant à la capacité des responsables du monde agricole (politiques comme scientifiques) d’envisager la problématique écologique dans sa globalité.


PROMMATA / Traction réaction

Iconique de la paysannerie de jadis, la traction animale a bien plus d’avenir qu’on le croit. Une foule modeste mais croissante d’agriculteurs la réintègre dans les fermes pour des raisons économiques et environnementales. À Rimont, en Ariège, l’association Prommata s’emploie depuis 1991 à propager la bonne parole, les bonnes mécaniques et les bonnes pratiques du travail agricole à la force des animaux. Initiée par Jean Nolle (disparu en 1993), un paysan passé par la FAO devenu ingénieur mécanicien, l’asso a donné naissance au concept de machinisme agricole moderne à traction animale (MAMATA). Dans les pays développés, l’action consiste à former, informer et aider au financement du matériel. Chez les agriculteurs démunis des pays émergeants, il s’agit de mettre en place les savoir-faire et de construire les ateliers susceptibles de rendre aux paysans leur autonomie perdue.


Christian Abadie / Le décompacteur de têtes

Bien que pratiquant l’agriculture dite conventionnelle, Christian Abadie fait fi des standards et des conventions. Depuis 17 ans, il applique sur ses terres d’Estampes, dans le Gers, les principes du semis direct sous couvert végétal (CSV), dont il est l’un des pionniers en France. En gros, il ne laboure pas, ne laisse jamais le sol nu, et s’assure que les végétaux qui poussent entre deux récoltes (principalement légumineuses et crucifères) favorisent la santé du sol et la productivité de la ferme. Ce faisant, en quelques années, ce paysan gascon est parvenu à marier deux idées qu’on pensait inconciliables : l’absence de travail du sol, et les hauts rendements. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, ce choix n’a rien d’idéologique. Si Christian Abadie s’est employé en 2001 à changer de méthode et de point de vue sur le travail du sol, c’est qu’il faisait face, comme la plupart des agriculteurs du pays, à une baisse vertigineuse de la fertilité de ses terres : « Plus le temps passait et plus je devais fertiliser. Et plus je fertilisais, moins la terre était fertile ».

Aujourd’hui, sa ferme en polyculture élevage a retrouvé sa fertilité perdue. Elle produit la même quantité de maïs et de soja qu’il y a 20 ans, sans travail du sol, avec un usage de la chimie extrêmement réduit, une consommation d’eau diminuée d’un tiers, et une mécanique qui se limite à un semoir adapté au semis sous couverts végétaux. À cela s’ajoutent la disparition de l’érosion, l’explosion de l’activité biologique des sols, et une meilleure résistance des terres aux chocs climatiques.

Ce bilan positif sur les plans économique, environnemental et agronomique a valu à ce pionnier gersois de la CSV une invitation à la Conférence de Paris de 2015 sur les changements climatiques (Cop21), pour y présenter ses résultats aux conférenciers réunis sous l’égide des Nations Unies. Depuis, Christian Abadie est régulièrement visité par les politiques (comme Stéphane Le Foll en mars dernier) et les paysans curieux de son expérience. On le voit également donner des conférences au cours desquelles il partage généreusement ses savoirs, conformément à sa ligne de conduite : « Avant de décompacter les sols, il faut décompacter les têtes ».


Andrew Cœcup / Electropaysan

Dimanche dernier à Manchester, tout ce que la ville compte de mélomanes et de clubbers s’est pressé sous les voûtes du WHP store street pour assister à la performance de Groove Armada. L’épilogue d’une série de concerts anniversaires donnés à guichets fermés au Royaume-Uni. Tous gardaient un souvenir ému du titre At the River, premier succès international du duo électro bristolien. Qualifié par The Guardian de « classique incontournable des années 90 », ce morceau de 1997 mâtine un sample de Patti Page d’une mélancolie douce que ses créateurs attribuent à l’annonce de la mort de Diana, survenue pendant la composition du titre. Ce succès en annonçait d’autres, qui retentiront dans les années 2000 de Londres à Ibiza, tels I see you baby, remixé par Fatboy Slim, ou Hands of time, titre phare de la BO du blockbuster hollywoodien Collateral.

Si on vous raconte tout cela dans un numéro spécial agriculture en Occitanie, c’est que ce duo star de l’électro est pour le moins atypique. Le premier de ses cofondateurs, Tom Findlay, est psy. Le second, Andrew Cœcup (Andy Cato à la scène), est paysan-boulanger à Lasseube-Propre, dans le Gers. Tout a commencé avec une simple résidence secondaire en Gascogne, et l’envie de cultiver un petit potager pour faire comme les voisins. Puis, vint le choc : « Un jour, dans l’avion, j’ai lu un article sur l’agro-industrie. Je suis tombé des nues. Je n’imaginais pas qu’on en soit arrivé à de telles extrémités, et qu’on continue de dégrader dans un même mouvement la santé du sol, la santé des animaux et la santé humaine. Bien que n’ayant pas planté la moindre graine avant de cultiver mon premier potager à 35 ans, j’ai décidé de devenir paysan ».

Après des années à tâtonner, à essuyer les échecs et à subir les regards obliques de certains agriculteurs du coin, le DJ angliche est parvenu à dessiner son idéal agricole. Une ferme de 100 ha en polyculture élevage, sans travail du sol, mue essentiellement à la force de percherons, reposant sur la symbiose entre le végétal et l’animal, et flanquée d’un fournil. Là, il s’applique à faire du pain dans les règles de l’art : « Je fais ma propre farine avec un moulin à meules de pierre. Une mouture douce et sans chauffe qui préserve les nutriments et les huiles essentielles des blés paysans issus d’un vol vivant. Conjuguée à une fermentation très longue, au levain naturel, cette méthode permet d’avoir un pain très digeste et faible en gluten, qu’on peut conserver plusieurs jours ».

La réputation des pains, brioches et viennoiseries d’Andrew Cœcup s’est répandue l’an dernier comme une trainée de poudre. Idem pour sa pratique jusqu’au-boutiste de l’agroécologie. Dans le pays, désormais, on court acheter « le pain de l’Anglais » à la ferme ou dans sa boutique auscitaine, et de plus en plus de paysans des environs s’intéressent à ses expérimentations agronomiques. Une reconnaissance que le musicien de Bristol dit goûter presque davantage que sa nomination aux Grammy Awards en 2011…


Les Steakeurs / Parce que jeune veau bien

Depuis dix ans, l’Union européenne permet aux consommateurs du Vieux Continent de différencier clairement sur les étiquettes la viande de veau (jusqu’à 8 mois) de la viande de jeune bovin (de 8 à 12 mois). Pour ses promoteurs, la viande de jeune bovin n’aurait que des avantages : plus forte en goût que le veau, moins grasse que le bœuf, elle semble taillée pour les besoins et les envies de l’époque. La chose n’a pas échappée à une poignée d’éleveurs ariégeois. Dès 2013, ils ont entrepris d’offrir à leurs bêtes un destin différent de celui de la plupart des bovins du département, à savoir le départ à 6 mois pour les fermes d’engraissement espagnoles ou italiennes. Les jeunes bovins des Steakeurs, (le nom de la marque) sont, eux, abattus, transformés et consommés localement en Ariège et Haute-Garonne. La démarche est valorisée par une communication colorée, djeun’s et décontractée, qui tranche avec le persil en plastoc de la boucherie de papa, autant qu’avec le design cul-pincé des boucheries de quartiers gentrifiés.

Détresse

Qu’ils soient victimes de problèmes conjoncturels ou de détresse plus profonde, les agriculteurs ne savent pas toujours vers qui se tourner pour obtenir de l’aide. Pour pallier ce manque d’interlocuteur, une poignée de paysans haut-garonnais a créé en 1991, Solidarité Paysans ADAD 31. L’association, qui fournit à la fois écoute et compétences, est indépendante de toute chapelle professionnelle ou syndicale. Elle est dirigée par Patrick Kirchner, éleveur de brebis tarasconnaises à Fontenilles.


Certif’ 

Créée en 1991, Ecocert est le leader mondial de la certification bio. Un métier qui consiste à assurer au consommateur le respect des règles de l’agriculture biologique dans la fabrication des produits estampillés Bio. Son siège, un vaste bâtiment à énergie positive, est installé à L’Isle-Jourdain, à 35 km de Toulouse.


Nataïs / Habemus pop-corn

Tous les grains de maïs gersois ne sont pas engloutis par les canards à foie gras. La preuve, c’est que le département abrite Nataïs, leader européen du pop-corn, qui exporte dans 40 pays du monde son maïs éclaté cultivé à 80% dans le Sud-Ouest. L’entreprise a été fondée par l’Allemand Michael Ehmann, dont les parents, paysans expropriés en 1981 lors de l’extension de l’aéroport de Stuttgart, ont investi le montant de leurs indemnités dans l’achat de terres agricoles à Bérézil, aujourd’hui siège de l’entreprise. En septembre, Nataïs, dans une forme éclatante, a annoncé son ambition de produire le premier pop-corn agroécologique du monde.

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