Situé au cœur du vignoble de Cahors, le château de Cayx est, depuis 1974, la propriété de la famille royale du Danemark. Une bizarrerie viticole de nature à nous donner envie d’aller voir de plus près ce domaine désormais exploité par Vinovalie.
Construit sur la roche à flanc de colline, tout près du hameau éponyme et de la commune de Luzech, le château de Cayx ne passe pas inaperçu. Ancien fortin édifié pour contrôler et monnayer la navigation sur le Lot, il est, de source sûre, daté du XVe siècle. « Il remonte plus probablement à 1300-1350, corrige Olivier Lesenecal, le secrétaire particulier du prince du Danemark à qui l’on doit un livre sur l’histoire du château. Il existait déjà lorsque la guerre de 100 ans a éclaté. »
Alors château péager de par son emplacement stratégique, il appartint également, au XVIIIe siècle, au marquis Jean-Jacques Lefranc de Pompignan, écrivain, académicien français… et producteur d’un cru réputé qu’il envoyait à tous les évêques du pays. Une tradition viticole à laquelle le prince Henrik, né Henri de Laborde de Monpezat, et la reine Margrethe II du Danemark n’ont pas été insensibles lorsqu’ils ont décidé de racheter le château en 1974, « même si celui-ci était alors en piteux état », précise Olivier Lesenecal.
Le prince a beau être né à Bordeaux en 1934, il se sent avant tout lotois. Après avoir passé une partie de sa jeunesse en Indochine, c’est à Albas, dans le Quercy blanc, à une dizaine de kilomètres de Cayx, où la famille possède un domaine depuis la fin des années 1930, que les de Monpezat s’installent définitivement à leur retour en France après la débâcle de Diên Biên Phu. Rien d’étonnant pour Olivier Lesenecal qui rappelle que « le père du prince est l’un des co-fondateurs de la cave coopérative de Parnac créée en 1946, qui a permis au vignoble de Cahors de redémarrer après la crise du phylloxéra. »
Les études conduisent néanmoins le jeune Henri à quitter le Lot pour intégrer l’école nationale des langues orientales. Après avoir un service militaire en Algérie, il est nommé secrétaire à l’ambassade de France à Londres, où il rencontre à l’occasion d’un dîner, Margrethe alors la princesse du Danemark.
Devenu Henrik de Danemark après leur mariage, il se convertit au protestantisme et s’installe à Copenhague… sans pour autant tourner le dos à ses racines lotoises. Dès que l’occasion se présente, il revient au pays dont il s’emploie à faire apprécier les charmes à son épouse. « Il venait souvent ici, chez ses parents à Albas ou chez des amis, poursuit Olivier Lesenecal. Vu que la Reine aimait beaucoup le coin, ils se sont mis à chercher quelque chose à acheter. » Deux ans après son accession au trône, en 1974, c’est donc sur le Château de Cayx qu’ils jettent leur dévolu. Le château, en ruines, a grand besoin d’être réhabilité, ce que les époux vont s’employer à faire.4
Du côté des vignes, les prétentions initiales sont modestes. « Vu qu’il n’y avait que 4 ou 5 hectares, c’était la coopérative de Parnac qui s’en occupait. » Mais au fur et à mesure, le couple achète des vignes, et le domaine s’agrandit au point d’atteindre 23 hectares. En 1995, les époux décident de faire leur vin eux-mêmes. Mais cultiver un domaine de cette dimension n’est pas chose aisée. Après avoir expérimenté plusieurs options, notamment familiales, la reine et le prince se rendent à l’évidence : ils ont besoin de professionnels pour pérenniser l’activité. Le prince Henrik a beau cultiver une sincère passion pour le vin, et être assidu aux vendanges chaque année, il a la sagesse de ne pas se prendre pour un vigneron. « Il entretenait d’excellentes relations avec les gens du coin parce qu’il avait ce talent rare de mettre les gens à l’aise. Donc il était très populaire, notamment à Luzech où il avait l’habitude de faire son marché et où tout le monde le connaissait. »
Mais il en faut plus pour conduire à distance la destinée d’un tel domaine. C’est alors qu’il demande à son secrétaire particulier, Olivier Lesenecal, normand installé à Copenhague depuis l’âge de 24 ans, de s’installer dans le Lot pour trouver une solution et assurer un avenir au château. Après quelques touches sans suite, celui qui a notamment occupé la fonction de rédacteur en chef d’un magazine franco-danois au Danemark, se rapproche de Vinovalie en 2014. Née de la fusion en 2006 des caves de Técou, Fronton, Rabastens et Côtes d’Olt, la coopérative agricole, créée par et pour les viticulteurs auxquels elle appartient n’a pas l’habitude de s’occuper du domaine des autres. « On le faisait déjà pour le château d’Escabes à Gaillac. Mais on n’avait jamais fait l’objet d’une sollicitation de ce type », raconte Jacques Tranier, son directeur général.
Car le Château de Cayx, dans le vignoble cadurcien, ce n’est pas n’importe quoi. « Une icône » pour ce titulaire d’une maitrise en sciences économiques qui sent très vite la synergie d’intérêt entre les parties prenantes. « La famille royale voulait sécuriser leur vignoble avec des gens qui ont un savoir-faire à tous les niveaux de la chaine de production, de l’oenologie à la viticulture. Et reprendre une marque aussi prestigieuse constituait un challenge pour nous qui avions plutôt l’habitude de proposer des vins à un prix inférieur. C’était l’occasion de montrer que l’on était capable de faire du haut de gamme sur un segment de prix où l’on ne nous attend pas. »
Les embûches sont pourtant nombreuses. À commencer par une grande dépendance à un acheteur chinois : « Nous avons très vite compris que nous allions perdre 80 % de notre fonds de commerce », résume Tranier. Autre écueil, le terroir, pas si bon que ça, avec des premières et deuxièmes terrasses. Conscient que le challenge viticole n’est pas gagné d’avance, Vinovalie audite le domaine pour en évaluer le potentiel, classifie les terroirs, et décide d’un plan d’action pour « recaler tout ça, car le niveau qualitatif était trop bas ».
Flanqués d’une batterie de spécialistes, les vignerons de la cave coopérative décident notamment de faire davantage d’extraction et donc de diminuer le volume de production afin de mieux segmenter l’offre.
Sept ans après avoir pris uni leur destin, le Château de Cayx et la couronne du Danemark semble satisfaite de ce mariage de raison. « Les derniers millésimes sont vraiment réussis. Il n’est d’ailleurs pas rare que le château soit primé dans des grands concours. Il n’est pas étonnant que l’on ait obtenu de meilleurs résultats parce que l’on a abondance de moyens. »
Un avis partagé par Olivier Lesenecal qui se réjouit d’avoir contribué, en choisissant Vinovalie, à conserver le patrimoine de la Reine et « même à le faire fructifier ».
Sans parler du site, patrimonialement parlant magnifique, qui « enrichit le patrimoine touristique du Lot et amène la notoriété de Cahors au-delà des frontières », souligne-t-il. Jacques Tranier souscrit : « On bénéficie du fait que la Reine ne fait pas une réception officielle sans qu’il y ait une bouteille de Cayx sur la table. Et si le prochain Tour de France, qui démarrera au Danemark, s’arrête à Cahors, ce n’est pas un hasard aussi… »
Seule aux manettes pour l’exploitation et la commercialisation de la vigne, la cave coopérative n’en oublie pas l’attachement de la famille royale au château. « Même si l’on voyait davantage le prince (décédé en 2018), on discute toujours avec des membres de la famille, notamment les enfants qui sont affectivement attachés au domaine, raconte Jacques Tranier qui a été invité au 50 ans de règne de la Reine en septembre dernier. On voit que l’avenir du Château les intéresse. »
« La reine continue de passer le mois d’août ici malgré le décès du prince, confirme Olivier Lesenecal. Et continue aussi de se rendre au marché de Cahors tous les samedis »… et de peindre à l’aquarelle certaines étiquettes du domaine.