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Dans la tête des schizophrènes

Plus souvent évoquée dans les pages faits divers qu’à la rubrique Santé, la schizophrénie effraie. Pourtant, la violence des schizophrènes est plus souvent dirigée contre eux-mêmes. Selon l’Inserm, 10 % des personnes atteintes par la maladie mettent fin à leurs jours. Atteinte depuis 20 ans, Diane n’est pas étonnée par la statistique : « On a plus envie de se suicider que de tuer les autres », résume-t-elle. Pour elle, le regard des autres est un problème. Même chose pour Alain : « Quand on parle schizophrénie, les gens pensent à Psychose d’Hitchcock ». Diagnostiqué en 2001, il a appris à faire abstraction des jugements. Loin des clichés, Diane et Alain sont, comme la plupart des schizophrènes, suivis médicalement. Ils prennent un traitement et sont stabilisés. Ni violence, ni coup de folie, ni comportement bizarre. Leur mal est insoupçonnable. C’est tout juste s’ils ont l’air un peu fatigués, un peu dans la lune. Contrairement à ce qu’on croit, les schizophrènes n’ont pas une double personnalité. La maladie, en revanche, revêt des formes différentes selon les individus. Diane souffre d’une schizophrénie paranoïde. Elle a été diagnostiquée à 40 ans, alors qu’elle travaillait dans le paramédical. Mais depuis ses 30 ans, elle avait des hallucinations visuelles et auditives : « Parfois c’était effrayant, je voyais des trappes et je me disais qu’un piège m’attendait au travail.  Ça pouvait aussi être magnifique : pendant tout un après-midi, j’ai vécu une sorte d’extase mystique. Je vivais dans l’éternité, comme si le temps n’existait plus. Un jour, boulevard Carnot, j’ai vu défiler des animaux. J’avais souvent des visions en dessin-animé. » Pendant dix ans, ses symptômes vont s’accroître jusqu’à lui faire perdre pied. Elle s’isole, devient paranoïaque et incohérente. Ses parents la font interner. À l’hôpital, on la met sous traitement pour faire disparaitre les hallucinations.

schizophrène toulouse

30 médicaments Les médicaments sont d’une redoutable efficacité. « Avant le traitement, j’étais malade, mais pas triste. J’avais une vie intérieure riche, s’enthousiasme Diane. J’avais l’impression de vivre quelque chose de bizarre, certes, mais surtout d’unique, d’important. Je ne voulais pas que cela soit détruit. » Elle retombe alors brutalement dans la réalité et se rend compte qu’elle a perdu dix ans de sa vie. Elle sombre dans une profonde dépression. « Le suicide ? J’y pense tous les jours. Mais je n’ai jamais fait de tentative, je suis trop raisonnable », sourit-elle. Ses problèmes de concentration et de fatigue chronique sont des obstacles dans sa vie quotidienne. Le matin, après le petit-déjeuner, elle n’arrive pas à se laver. Alors elle promène son chien pendant une heure avant de prendre sa douche. Toutes les activités sont entrecoupées de siestes. Elle ne prépare jamais son repas. Impossible également de regarder la télé. Trop fatigant. Idem pour les rendez-vous à la dernière minute :  toute improvisation lui est impossible. Aujourd’hui, elle est suivie par une psychothérapeute, en dehors d’un hôpital psychiatrique. « Elle cherche les problèmes à la source, sans évoquer la schizophrénie. Cela me permet de respirer. »

Les patrons préfèrent payer des taxes plutôt que d’embaucher un malade.

Alain et Diane ne vivent pas leur maladie de la même manière. Lui n’a jamais eu d’hallucinations. Ses premiers symptômes sont apparus alors qu’il entamait des études de médecine, en 1992.  « J’étais très stressé et paranoïaque, raconte-t-il. J’ai eu beaucoup de mal à la fac, c’était perpétuellement des guerres d’intellos, des coups bas. Les autres étudiants me menaient la vie dure. » Alain doit laisser tomber médecine, parce qu’« on ne peut pas être soignant et soigné ». Entre 1996 et 2001, il enchaîne les séjours en hôpital psychiatrique, traité par une quarantaine de séances d’électrochocs. Il n’a plus aucun souvenir de cette période. En 2001, il fait une bouffée délirante. Le diagnostic tombe : il est schizophrène. Les médecins lui prescrivent une trentaine de médicaments qu’il prend toujours aujourd’hui, très scrupuleusement. La maladie d’Alain est stabilisée depuis cette année. « Je me sens guéri », exulte-t-il. Alain vit tout seul en appartement depuis 2000. « C’est ma fierté, je ne dois rien à personne. »

Besoin de normalité À part ses rendez-vous à la clinique de Beaupuy, et l’aide que lui apporte sa sa mère pour les courses, Alain vit comme tout le monde. Il est prêt à retrouver un emploi, dans un milieu ordinaire. Il a travaillé pendant des années dans une station-service, le week-end, alors qu’il était très malade : « Je ne parlais que de ma maladie et en même temps j’étais un peu mégalo. J’avais l’impression de travailler dans une énorme multinationale. » En parallèle, il entreprend des études de mathématiques en 2001 et obtient sa licence en 2008. Pour lui, travailler en entreprise est difficile. Il fulmine : « Les patrons préfèrent payer des taxes plutôt que d’embaucher un malade ». Le regard des autres semble le faire encore souffrir : « Même la famille vous juge, par peur, peut-être, ou parce que vous faites chier à ne parler que de la maladie ». Malgré tout, il a gardé de très bonnes relations avec ses parents et sa sœur. Son souhait serait de passer plus de temps avec des personnes non malades : « J’ai besoin de normalité ». Alain ne dit plus qu’il est schizophrène, il a vécu trop de situations délicates en faisant le choix contraire. Diane, elle, préfère le dire tout de suite, pour expliquer ses difficultés de concentration. « La maladie est un frein. Il nous faut bien plus de volonté que les autres pour accomplir les gestes de la vie courante. On ne peut pas se mettre à la place d’un psychotique. » Malgré tout, Diane et Alain ont un point commun : l’espoir. De guérir, de vivre mieux, comme tout le monde. Diane a des hauts et des bas, mais elle ne désespère pas de reprendre une formation : « Pas dans le médical, cela demande trop de concentration. Mais peut-être en boulangerie, c’est plus réaliste ». Et pourquoi pas trouver l’amour, même si elle « ne peut même pas faire à manger à un homme. » De ce côté-là, Alain ne nourrit plus aucun espoir : « Les neuroleptiques, c’est la mort de la libido. »

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