Didier Barbelivien, vous souvenez-vous de la première fois que vous avez entendu Nougayork ?
Comme si c’était hier. J’ai découvert la maquette chez Warner grâce à mon copain Jacques Metgès. Il était comme un fou. Il hurlait: « Je vais te faire écouter un truc… Tu vas voir, tu vas tomber raide par terre ! » À la première écoute, j’ai compris que ce serait un tube. « Dès l’aérogare / J’ai senti le choc… », c’est génial ce parcours de fou sur les rimes en -are et en -oc !
Comment a réagi le petit milieu de la chanson à ce virage à 180° de Nougaro ?
Ils ont été un peu surpris, dans le métier. Mais bon. Dans le métier, ils sont toujours surpris. Bien sûr, entre le jazz de ses débuts et la musique de Philippe Saisse, il y avait un fossé musical, mais c’est justement ça qui était jubilatoire. Donc oui, certains faisaient la fine bouche, mais c’était pas étonnant. Nougaro ça volait trop haut pour eux. Ça leur passait au-dessus de la tronche. Mais pour ceux qui l’aimaient vraiment, cette évolution coulait de source.
On nous vend Gainsbourg comme le génie absolu de l’écriture, mais Nougaro est au-dessus.
Vous faisiez partie de ces inconditionnels ?
J’écoute Claude Nougaro depuis l’âge de 10 ans. Et c’est encore l’artiste que j’écoute le plus. J’ai toujours un de ses albums dans la bagnole. Le destin a voulu que ce soit le premier chanteur que je voie sur scène. J’avais 16 ou 17 ans. Un choc. J’ai compris ce soir-là ce que c’était qu’un auteur de chansons intellectuel et populaire à la fois.
Que voulez-vous dire ?
Ses chansons sont des chefs-d’œuvre de subtilité et de précision, servies par un texte toujours au-dessus de la moyenne. Et pourtant elles parlent à tout le monde ! Je vais vous dire le fond de ma pensée : on nous vend Gainsbourg comme le génie absolu de l’écriture, mais Nougaro est au-dessus.
Qu’ont ses textes de plus que les autres ?
Une intelligence, une magie et une malice hors norme. Paris mai, Don Juan… ce sont des chansons sublimes. Il est moqueur, poète et pitre dans ses textes. Il dépose discrètement des pépites que tout le monde ne voit pas. Il me fait penser à ces sculpteurs de cathédrales qui laissaient derrière eux une gargouille, un petit symbole païen un peu caché, pour le plaisir de ceux qui sauront en relever la présence. Et le plus dingue, c’est qu’il était en plus un immense chanteur, alors que généralement, les auteurs de grands textes ne chantent pas très bien. Vous avez bien de la chance, à Toulouse, d’avoir Nougaro. Si j’étais Bordelais, je serais jaloux.
Nougaro n’occupe pourtant pas, au panthéon de la chanson, une place à la hauteur des qualités que vous lui trouvez…
C’est vrai qu’il n’a pas la place qu’il mérite. C’était déjà le cas de son vivant. C’était sans doute une trop grande pointure pour les émissions de variété de l’époque. Quand on n’a pas de mélodie facile ou passe-partout à fourguer, on s’éloigne forcément des plateaux de télévision. Pourtant, vocalement, c’était le seul à pouvoir rivaliser avec Johnny. D’ailleurs, j’aurais adoré entendre Nougaro reprendre son répertoire. Requiem pour un fou dans la bouche de Nougaro… ça aurait été magique.
Pourquoi ne lui avez-vous jamais proposé une musique ou un texte ?
Je l’admirais trop. Dans la chanson, c’est un poids lourd. Moi, un poids plume.
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