À Caillavet, en cette matinée voilée de mars, le soleil ne parvient pas à transpercer les nuages, donnant à la petite commune de 200 habitants du centre du Gers un air un peu tristounet. Mais la météo n’est pas la seule responsable des rues désertes. Dans ce patelin situé à seulement 8 kilomètres de Vic-Fezensac, comme dans la plupart des villages environnants, la démographie est comme l’activité : en baisse. Une tendance que son nouveau maire, Gérard Mimalé, sait inexorable. Aussi lorsqu’il y a 4 ans, son téléphone sonne et qu’à l’autre bout du fil, un opérateur spécialisé dans le développement et l’exploitation de projets d’énergies renouvelables lui fait part de son intérêt pour le lac de la Baradée, sa première réaction est de ne pas raccrocher le combiné. Président du tout nouveau syndicat Osse-Auzoue-Guiroue, né de la fusion des syndicats des Bassins Versants de l’Osse/Guiroue/Auzoue et des Bassins de la Gélise et de l’Izaute, l’homme se trouve à la tête d’une structure comprenant 7 intercommunalités et 76 communes distantes, pour les plus éloignées, de 125 kilomètres : « C’est trop mais l’agence de l’eau ne voulait qu’un syndicat », déplore l’élu.
Etienne Verret, maire de Montesquiou
Chargé de l’aménagement des berges et de l’entretien des cours d’eau, le syndicat gère également le lac de la Baradée (56 hectares), construit en 1989 pour faire de l’irrigation, à une époque où l’agriculture intensive battait son plein. Sinon que 30 ans plus tard, le nombre d’agriculteurs a été divisé par 3 et les besoins en irrigation ont significativement chuté, passant de 1 200 000 à 800 000 m3/an. Parallèlement, le barrage, sans montrer encore d’inquiétants signes d’usure, vieillit. « On sait que dans 10-15 ans, il faudra très probablement engager d’importants travaux de consolidation », assure Gérard Mimalé. Des travaux qui occasionneront un investissement que le syndicat est dans l’impossibilité d’assumer seul. C’est dans ce contexte économique que l’élu de Caillavet accueille ce démarchage téléphonique. Il ne lui faut pas longtemps pour voir l’intérêt financier, même s’il reconnait avoir, dans un premier temps, pensé utiliser cette nouvelle ressource (2500€ par hectare/an de location proposée par l’opérateur) pour diminuer les cotisations demandées aux communautés de communes. Jusqu’à ce qu’une rencontre avec Stéphane Péré ne change tout. Le directeur de l’Agence régionale énergie climat convainc le président du syndicat gersois de ne pas abandonner le portage du projet à l’opérateur. Responsable développement à l’Arec, Aurélien Pons, qui suit le projet de la Baradée depuis le début, décrypte : « Face à un tel projet qui mobilise autant d’investissement (évalué à 20 millions d’euros), c’est important que le territoire soit demain dans le projet, que ce soit de manière financière ou dans la gouvernance. » Le risque ? Qu’en laissant les clés du camion à l’opérateur, le territoire devienne spectateur : « C’est ce qui s’est longtemps passé dans l’éolien, où les opérateurs arrivaient en proposant un loyer et en disant aux élus : ” Laissez, on s’occupe de tout. ” »
Le lac de la Baradée vu depuis Castelnau-d’Anglès
Reste qu’un projet d’une telle ampleur est trop lourd à supporter pour le seul syndicat. Consciente de cela, l’Arec met à disposition son savoir-faire et associe d’autres acteurs, comme le syndicat électricité du Gers ou la Direction départementale des territoires (DDT), au tour de table : « Le solaire flottant étant encore assez récent, il y a nécessité d’accompagner les administrations. L’idée est vraiment de faire bouger tous les acteurs ensemble et de co-construire les projets. » Une co-construction qui passe aussi par une participation financière, l’Arec ayant compris la nécessité d’amorcer la pompe financièrement parlant. « On est souvent appelé à être seul au démarrage. Mais on a un système juridique qui nous donne la possibilité, au fur et à mesure du dérisquage du projet, de céder des parts au territoire. Sans oublier le financement participatif qui permet d’associer les riverains au projet. »
Montesquiou
Reste que le syndicat devrait néanmoins sortir 2 millions pour avoir un apport capitalistique significatif et s’assurer des ressources intéressantes, évaluées à 80 000 euros/an. Directeur du SDEG 32, Jean-Michel Walker a tout de suite cru dans le projet… à condition que les communes ne soient pas les dindons de la farce : « Il faut qu’une part importante du capital soit public si l’on veut des retombées économiques fortes. Il y a toute une réflexion de solidarité à mener. Sinon, le petit maire aura l’impression d’avoir les problèmes sans avoir les bénéfices. Il faut faire en sorte que les communes s’y retrouvent. »
Convaincues de la pertinence du projet, les 76 communes du syndicat ont voté pour. Mais la crise du Covid-19 est passée par là, gelant tout. Puis, dans le même temps, un projet de méthanisation mal ficelé voit le jour, à cheval sur Montesquiou, l’une des trois communes entourant le lac, et Saint-Arailles. Dans l’ancien chef-lieu de canton, où l’on trouve encore quelques commerces, une école, une crèche ou une caserne de pompiers, Etienne Verret, maire depuis 2014, souffle à l’évocation de cet épisode. Pour cet ambulancier qui habite le village depuis 20 ans, ce projet finalement avorté a causé beaucoup de tort aux énergies renouvelables. « On y est plutôt favorables dans l’esprit », se défend-t-il… à condition de ne pas négliger la phase de concertation : « Lorsque je m’étais renseigné pour installer une unité communale de méthanisation, j’avais senti que la population n’y était pas franchement favorable. Du coup, j’avais conseillé aux 2 agriculteurs désireux d’en installer une sur leurs champs d’en parler très en amont à leurs plus proches voisins. » La recommandation n’ayant pas été suivie, c’est à une véritable levée de bouclier que le maire assiste lorsque ses administrés apprennent la création de l’entreprise chargée d’étudier la faisabilité du projet. Le projet divise autant la population que le Conseil municipal : « Du jour au lendemain, des gens qui se côtoyaient depuis 20 ans se sont fâchés ».
Gérard Labordère, maire de Castelnau-d’Anglès
Même si deux ans plus tard aucun permis de construire n’a été déposé et que le projet semble abandonné, il a laissé des séquelles : « Les habitants sont échaudés », reconnait le premier édile. Soucieux de ne pas apparaitre réfractaire au projet du lac de la Baradée, ce natif de Paris craint une nouvelle fois la réaction de ses administrés… tout en jurant ne pas avoir peur pour sa réélection : « On n’est pas contre mais on a besoin de garanties, il faut aller voir les riverains qui ont vue sur le lac. Il faudrait aussi que l’étude d’impact soit indépendante car on est sur une zone naturelle d’intérêt faunistique et floristique ». À quelques kilomètres de là, à Castelnau-d’Anglès, autre village qui jouxte le lac, la méfiance est également de mise. Même si là aussi, on veille à ne pas paraître opposé au progrès : « On a bien compris qu’il fallait passer à autre chose. Mais ce n’est pas une raison pour faire n’importe quoi », avertit Gérard Labordère, son premier magistrat. Quel impact aura le dispositif sur la biodiversité, sur l’augmentation de la température du lac ? Ce Castelnois pur jus, fils d’agriculteur et électricien, aimerait avoir des réponses avant de se prononcer. Et partage la circonspection de son confrère de Montesquiou concernant l’impartialité de l’étude d’impact (réalisée par un cabinet indépendant, ndlr) : « Je vois mal l’entreprise qui l’a financé prendre le risque de se faire débouter ». Lui aussi concède ne pas sentir sa population très favorable au projet : « Ils ne sont pas très chauds. Faut dire que c’est un beau lac et que ce projet va en changer l’aspect. » Dans ce patelin de 92 âmes dont la moitié n’est pas originaire du cru et où certaines maisons ont vue sur le lac, le maire semble marcher sur des œufs : « Mon devoir est de mettre le plus de garanties possibles et de répondre aux inquiétudes des riverains. Nous, les maires, on fait tampon. Je suis d’une génération qui a fait les pires conneries. Donc on essaie d’en tirer les leçons. » Le sujet fait davantage sourire à Bassoues où le premier adjoint au maire, Christian Cabos, prend les choses avec philosophie. Excepté quelques pêcheurs un peu inquiets, et une Anglaise « écolo jusqu’au bout des ongles », celui qui effectue son 4e mandat à la mairie ne craint visiblement pas une insurrection des habitants, « pour la plupart retraités ». Et puis sa longévité lui permet d’analyser le phénomène sereinement : « Dans la ruralité, c’est toujours la même chose : quand il ne se passe rien, ça râle. Et quand il y a un projet, ça gueule parce qu’on a peur que ça bouleverse tout. Sans compter qu’il suffit parfois d’une seule personne pour semer le doute et la méfiance… » Pas question néanmoins de s’asseoir sur la manne financière que représente le projet : « Parce que si ça ne doit rien nous rapporter, ce n’est pas intéressant. Les communes rurales comme la nôtre ont de plus en plus besoin d’argent. » Conscient de cet état de fait, Gérard Mimalé espère secrètement qu’une solution sera trouvée. Pour convaincre ses confrères du bien-fondé du projet, il s’apprête même à les amener, en bus, dans le Vaucluse à Piolenc près d’un lac où des panneaux photovoltaïques ont été installés il y a 6 ans. Parce que le président du syndicat le promet : même s’il n’est légalement pas tenu d’avoir l’accord des 3 maires, « il n’est pas question de passer en force. C’est d’ailleurs parce que l’on a senti qu’il y avait des réserves que nous avons pris la décision, en décembre dernier, de décaler l’appel à manifestation d’intérêt (qui doit déterminer précisément le projet et qui sera publié afin de trouver l’opérateur, ndlr) ». Une précaution qui laisse cependant Etienne Verret, un brin fataliste : « Pour l’heure, on attend d’en savoir plus avant de nous prononcer. Mais j’ai peur que ça se fasse, quoi que l’on dise. » Une issue à laquelle Jean-Michel Walker donne quitus, à mots couverts : « Si on veut atteindre les objectifs fixés par les EPCI (Établissement public de coopération intercommunale), la Région, il faut s’en donner les moyens. De toutes façons, le photovoltaïque se fera. Donc il vaut mieux les placer dans des territoires comme à la Baradée où il n’y a pas de conflit d’usage et où l’impact visuel est moindre. Parce que si on ne tient pas la trajectoire, on risque de moins nous laisser le choix à l’avenir… » Convaincu que ce projet est le bon pour ce territoire, Aurélien Pons de l’Arec préfère voir les choses du bon côté : « Les retombées pour le territoire seront nombreuses : financières, bien sûr, mais aussi en terme d’emploi au moment des travaux. Et puis cela permet de faire perdurer l’activité. Parce que dans le Gers, il y a des lacs qui ne sont qu’à 1/3 de leur niveau à cause de digues fissurées que le propriétaire n’a pas les moyens de rénover. Ce type de projet, c’est une garantie que pendant 30 ans, l’opérateur va entretenir l’infrastructure et participer à sa consolidation »
Christian Cabos, premier adjoint à Bassoues
Le projet en chiffres
Alors même que l’AMI n’a pas encore été publié, une chose est sûre : sur le lac de la Baradée, 30 % maximum de la surface pourra être recouverte par des bacs flottants photovoltaïques. Le projet, qui devrait osciller autour de 20 M€, serait de l’ordre de 18 mégawatt crête (MWc). Soit pour un ensoleillement de 1200 heures, une production de 21.6 GWh (gigawattheure) d’électricité. Un projet de cette envergure répond à la moitié de la consommation annuelle de la communauté de communes Cœur d’Astarac en Gascogne (19 communes ; 7700 habitants en 2018), ou d’une ville comme Vic-Fezensac. Quant au délai, si aucun recours n’advient, le projet pourrait voir le jour en 2026.
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