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Pas si moutons

Dernière mise à jour : 5 janv.

Au domaine de Burosse, dans le Gers, les héritiers de la longue dynastie familiale n’ont pas choisi la facilité en décidant de vinifier sur place et de se lancer dans la bière. Un choix audacieux pour la fratrie Mouton, qui a su déjouer les embûches du travail en famille.



Lorsque la famille Mouton s’installe, en 1920, en provenance de sa Lozère natale, à Demu, en plein cœur du Gers, elle ne fait pas différemment de ce qui se fait alors dans les fermes gasconnes, à savoir de la polyculture principalement axée autour de l’élevage. Les raisins qui sont déjà présents sur la propriété ne servent qu’à la production d’armagnac. Ce n’est qu’en 1981, lorsque Joël reprend le flambeau, que s’opère un virage avec un repositionnement de l’activité sur la vigne. Le domaine ne va alors cesser de s’agrandir pour passer de 20 à 45 hectares en moins de 20 ans. Tout d’abord coopérateur à Éauze puis à Aignan (Plaimont), le vigneron reçoit dans les années 2010 le renfort de ses deux fils, Brice et Rémi, aujourd’hui âgés de 34 et 31 ans, qui vont le convaincre de sortir progressivement de la cave coopérative. Une évolution logique pour l’aîné, Brice, le premier à rejoindre l’exploitation familiale en 2015, qui a peaufiné sa formation au sein d’une propriété bordelaise après avoir obtenu un BTS viticulture œnologie puis une licence commerciale en vin et spiritueux à Bordeaux. « Depuis tout petit, j’avais envie de faire du vin au domaine. Et l’idée était vraiment d’aller jusqu’au bout du processus ». 

La transition se fera par étapes avec dans un premier temps, une expérimentation sur 4000 bouteilles entièrement commercialisées sous le nom de Cadets de Burosse en vente directe : « On connaissait tous les gens qui buvaient notre vin ! » L’idée est alors de s’entraîner à vinifier au domaine pour envisager une montée en gamme. 


Domaine Burosse

Mais les deux frangins comprennent vite que l’activité ne sera pas suffisante pour faire vivre toute la famille. Ingénieur agronome de formation et titulaire du diplôme national d’œnologie (DNO), Rémi a alors l’idée de créer une brasserie sur le domaine pour amener une valeur ajoutée. « L’idée était de mettre en commun le matériel pour les 2 activités (vin et bière) et de valoriser nos terres agricoles ». Désireux d’amener à la bière « la vision du viticulteur », il décide de produire à partir des matières premières cultivées sur place. De l’orge et du houblon sont ainsi semés. « On n’est pas autonome en houblon, précise, honnête, Rémi Mouton, mais l’idée est vraiment de tendre vers ça. » C’est donc de sa cuisine que le jeune homme concocte sa première mixture en 2017 estampillée bio. Un choix qui s’avère immédiatement payant tant le marché de la brasserie artisanale est dans ces années-là en plein essor : « Je pensais que j’étais le seul à faire de la bière dans le Gers alors qu’il y en avait déjà 5 ! » Pas question néanmoins d’embarquer toute la famille dans le projet : c’est en solo qu’il se lance en créant son entreprise en nom propre. Dès le début, le succès est au rendez-vous : « On a vendu l’intégralité des 100 000 bouteilles ! » Tout va alors s’enchainer. Parce que désormais, les frères Mouton ont démontré à leur père leur crédibilité : « Il avait besoin qu’on lui prouve le bien-fondé de notre vision. Parce que jusqu’alors, on dépensait des sous pour faire du vin, on s’amusait. Alors qu’avec le projet bière, on a montré que l’on était capables de vendre des bouteilles, de développer un réseau de professionnels, etc. », résume Brice. 


Rémi Mouton à l’oeuvre, dans le nouveau cuvage du domaine.
Rémi Mouton à l’oeuvre, dans le nouveau cuvage du domaine.


L’objectif, dès lors, est de déterminer à quel moment ils pourront appliquer au vin la même méthode. « On s’est posé la question de faire les choses progressivement mais en voyant les problèmes que l’on avait rencontré avec la bière en commençant petit, on a décidé qu’il fallait tout basculer d’un coup. » La décision est alors prise de voler de ses propres ailes en 2020 et de quitter la cave coopérative. 

Mais pour ce faire, encore faut-il pouvoir accueillir 3000 hectos sur la propriété. Pour financer le chai, les frères Mouton sollicitent les aides de la Région, de l’Europe et installent des panneaux photovoltaïques sur toute la toiture du bâtiment : « Comme ça au bout de 20 ans, les économies réalisées auront financé les ¾ de l’investissement puisque la quantité d’électricité produite est nettement supérieure à celle qui est consommée sur la ferme. »

Les premiers pas du domaine Burosse en tant que « vigneron indépendant » ne sont cependant pas de tout repos. Le « réseau bière » sur lequel ils comptaient s’appuyer pour commercialiser leurs bouteilles n’est pas forcément si assidu. Et le choix des capsules à vis s’avère un repoussoir, notamment pour les cavistes qui ne daignent même pas goûter les deux gammes proposées. « Pourtant, la capsule à vis, c’est l’avenir. Et ça nous semblait bien correspondre à la Gascogne audacieuse. En réalité, elle donnait l’image d’un vin de

mauvaise qualité, comme la villageoise. » 


Brice Mouton devant l’entrepôt de stockage
Brice Mouton devant l’entrepôt de stockage


Or c’est précisément tout le contraire de l’effet escompté. Consciente que l’équipe marketing a été peut-être trop avant-gardiste, la famille Mouton fait machine arrière. Mais l’année d’après, c’est une météo capricieuse qui s’en mêle avec une pluviométrie qui rend les vins très acides. « Et quand ça sort, ce n’est pas bon, à l’exception du blanc doux qui sera d’ailleurs primée médaille d’or au Concours de Paris en 2023. » Mais les frères Mouton insistent, convaincus que le potentiel est là, illustré par la grande diversité des cépages travaillés (tannat, manseng noir, artaban, cabernet sauvignon ou floreal). Et la récolte 2022 est enfin à la hauteur des espérances. « Même si l’on n’a pas été épargné entre le gel et la guerre en Ukraine », déplore Brice. Si la qualité est désormais au rendez-vous, reste encore à trouver les bons débouchés commerciaux. « Parce qu’il y a beaucoup d’offre en Gascogne et que l’on ne s’est pas positionné sur un segment bas de gamme. Or ici, les vins sont connus pour ne pas être très chers. » Un nouveau défi à relever tant le référencement risque de prendre du temps. Pas question toutefois de regretter les choix audacieux qui ont été faits comme le confie le paternel : « Moi, ma vie, c’était la coopérative. J’avais envie de passer en bouteille mais je ne savais pas faire. Je savais en revanche depuis longtemps que mes fils en auraient la capacité. C’est pourquoi j’ai fait en sorte de conserver un vignoble en bon état en attendant leur retour. Ils ont eu raison car s’ils ne le font pas maintenant, ils ne l’auraient jamais fait. » Si papa le dit…

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