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Nicolas BELAUBRE

Hommes en jupe, virils mais coquets

Dernière mise à jour : 17 janv.

Parachute, courte, portefeuille ou assortie au costard, la jupe pour homme descend des podiums pour s’aventurer dans la rue. Révolution encore marginale en France, qui concernerait 30 000 hommes dans le pays, parmi lesquels quelques Toulousains… 



Jupe ou pantalon ? Ce dilemme matinal et en apparence trivial n’est plus l’apanage des femmes. À l’instar de Brad Pitt lors de l’avant-première de son dernier film, ou d’autres célébrités plus ou moins victimes de la mode, de plus en plus d’hommes portent la jupe sans pour autant avoir l’impression de sacrifier leur masculinité. Un choix de confort, teinté de militantisme, qui exprime avant tout un désir de liberté et la volonté de reconquérir, avec près d’un siècle de retard sur leurs prédécesseures féminines, le droit de disposer de leur corps comme ils l’entendent.


Mais s’affranchir des usages et affronter le regard des autres sans pantalon n’est pas évident. « Il y a un tabou. Même si c’est minoritaire, il existe encore le cliché du travesti, du transgenre ou de l’homosexuel. Tout ce qui, dans la tête de certains, revient à être destitué de son statut d’homme, déplore Dominique Moreau, président de l’association des Hommes en jupe (HEJ). J’ai mis longtemps à comprendre que la masculinité pouvait s’accommoder d’une jupe. Et qu’elle pouvait même s’y déployer ». C’est donc souvent après de longues tergiversations que les hommes qui revêtent la jupe se décident à renvoyer le pantalon au placard.


« La première fois que j’ai osé porter une jupe en public, j’ai ressenti un mélange de gêne et de fierté. Pour le coup, c’était une robe que m’avait prêtée une amie lors d’un stage de communication non violente, il y a un an et demi. Je lui avais dit que j’aimais bien l’idée de porter une jupe mais que je n’osais pas. Ce jour là, le cadre était bienveillant et j’ai osé », se souvient Sarinn, chercheur au CNRS à Toulouse et papa d’un petit garçon qui trouve son nouveau look « très cool ». Si aujourd’hui il compte cinq jupes dans sa garde-robe, Sarinn reconnaît qu’il y a encore de nombreuses situations où le regard des autres est un frein à sa fantaisie vestimentaire. Notamment au travail. « J’ai peur du qu’en-dira-t-on et d’être réduit à l’image du gars qui porte des jupes car c’est un marqueur puissant. Du moins, c’est l’idée que je m’en fais… peut-être à tort ».


Iones, 48 ans dans son bus scolaire réaménagé pour de la location.
Lones, 48 ans dans son bus scolaire réaménagé pour de la location. Photo: Orane benoit

Légèreté du short, le confort en plus

Finalement, les réflexions désobligeantes et quolibets sont rares. Quand un homme en jupe ne suscite pas l’indifférence, il reçoit un accueil positif, en particulier des femmes : « Mes compagnes ont bien accueilli la chose. Elles trouvent même ça sexy. Les femmes sont globalement enthousiastes. Je suis même étonné de l’effet que ça produit chez certaines », assure-t-il. Romain Granger, trentenaire adepte du kilt et créateur de la marque spécialisée Sous les jupes des hommes, y voit même un moyen de briser la glace ou de séduire. « Ça offre un chouette sujet de conversation tout en donnant une touche d’originalité », assure le jeune entrepreneur qui rencontre de plus en plus d’hommes séduits par cette démarche. Sur les trois dernières années, celui-ci a vu ses ventes doubler. « Ça reste un marché de niche et on ne peut pas encore parler de phénomène de mode. Mais on sent que les mentalités évoluent. » Selon le président de l’association des HEJ, il y aurait aujourd’hui près de 30 000 hommes qui portent la jupe occasionnellement ou régulièrement en France.


« Il faut souvent du temps pour assumer. Il faut accepter son image dans le miroir et réapprendre à assumer sa masculinité. Le kilt, avec son crédit folklorique et son image virile, voire guerrière, est une bonne porte d’entrée. Mais il ne faut rien s’interdire. La jupe peut aller à tout le monde. Pas uniquement à des hommes avec un style de viking », avertit Romain Granger. Pour lui, la jupe offre « la légèreté d’un short avec le confort et l’élégance en plus. Il faut vraiment essayer pour mesurer le confort que ça procure ». Un point sur lequel les adeptes sont unanimes. Plus que la portée symbolique, politique ou militante de leur geste, ce sont les incomparables sensations qu’offre ce vêtement ouvert qui les pousse à chiner dans les rayons de fringues féminines.


Jupe en gros plan
Photo: Orane Benoit

Viril mais coquet

« Si on la porte nu, on a vraiment une sensation de liberté très sensuelle. La masculinité n’est plus contenue. J’en porte surtout en été. Plus il fait chaud et plus j’aère », provoque Iones, un solide barbu de 48 ans qui a découvert le port du pagne en voyage, il y a plus de vingt ans. « J’avais trouvé génial d’avoir les jambes nues et de sentir l’air qui circule. J’ai alors compris pourquoi les femmes portent des jupes. » De son côté, Lilian, un ingénieur Arts et Métiers qui vient de quitter son travail pour se consacrer au développement de technologies alternatives et durables, souligne avec humour le côté pratique d’un tel vêtement. « Avec une jupe portefeuille, je peux m’habiller en gardant les deux pieds sur terre. C’est aussi extrêmement pratique pour pisser. Je n’ai qu’à lever le genou pour saisir le coin de ma jupe ». Au-delà de ce clin d’oeil, ce vêtement fonctionne, pour lui, comme un hacking social et symbolique qui permet de dépasser la logique binaire de nos sociétés. « Nous devons sortir de ce vieux paradigme qui montre ses limites. Nous ne sommes pas exclusivement masculin ou féminin. Nous nous situons sur un arc de nuances constitué de toute la diversité humaine. »


Lilian, ancien ingénieur Arts et Métiers qui va créer sa marque de jupes unisexes.
Lilian, ancien ingénieur Arts et Métiers qui va créer sa marque de jupes unisexes. Photo: Orane Benoit

Toutefois, il n’est pas toujours évident pour les hommes en jupe de trouver des vêtements à leur goût dans le commerce. « Le vestiaire masculin est infiniment triste. Et beaucoup d’hommes sont contraints de se rabattre sur les rayons femmes, plus diversifié et moins cher, ou de se confectionner des jupes sur mesure », déplore le président de l’HEJ. Coupes standardisées, choix de couleurs et de matières extrêmement limité, l’homme moderne est cantonné à un uniforme qui s’est imposé avec la révolution industrielle. Une tendance que le psychologue John Carl Flügel décrit comme la « Grande renonciation du sexe fort ». L’homme ayant cédé ses prétentions à la beauté et la coquetterie, pourtant en vigueur à la cour jusqu’à la révolution française, pour prendre « l’utilitaire comme seule et unique fin ». L’une des revendications partagées par les adeptes de la jupe est donc d’élargir le vestiaire masculin, voire d’en finir avec la perception « genrée » des vêtements.

« La jupe n’est pas féminine par essence et elle doit retrouver son caractère neutre. Il n’y a rien de nouveau ou subversif à défendre cela. Dans de nombreuses cultures et dans toutes les époques, les hommes ont porté des jupes, des robes, des toges ou des pagnes. C’était, par exemple, le cas des Romains. De même la robe est parfaitement acceptée, encore aujourd’hui, en tant que vêtement ecclésiastique », relève Dominique Moreau, qui considère que l’injonction à porter le pantalon est le pendant masculin de « l’oppression patriarcale qui pèse sur les femmes. Hors du cadre sportif, il y a une injonction pour l’homme à être couvert de la tête aux pieds. Nous revendiquons, nous aussi, de pouvoir disposer de notre corps comme bon nous semble ». Comme les femmes, d’ailleurs, de nombreux hommes confient renoncer à porter une jupe la nuit, lorsqu’ils se promènent en ville ou par peur d’être contrôlés par la police.


Homme en jupe
Photo: Orane Benoit

« J’ai encore du mal à me promener dans Toulouse en jupe. Et, c’est vrai que plus elle est courte et plus je me sens féminisé et vulnérable », relève Iones qui confie également ne pas l’assumer dans toutes les situations. « Je ne cherche pas à me mettre en difficulté avec le fait de défendre ce choix. Alors je ne le fais que quand l’ensemble des paramètres sont favorables. À savoir la météo, le contexte social et les activités de la journée. Mais je ne me force pas. Je me préserve pour que ça reste un plaisir », explique-t-il avant de concéder que son physique joue en sa faveur. «Dans le milieux ouvrier, par exemple, les hommes ont plus tendance à me dévisager avec une forme de sévérité. Mais c’est très amusant de constater que ma barbe et ma grosse voix les rassurent. Si j’étais plus efféminé, j’aurais sûrement plus de mal à assumer. » Portée avec une veste de costard, la jupe atteint pourtant un seuil d’élégance qui pousse certains à l’adopter pour leur mariage. « Ça peut être chic et décontracté à la fois. Il y en a pour tous les goûts et toutes les situations. Il faut juste essayer pour s’en convaincre », insiste Romain Granger. Car, comme le dit Iones, « les seules limites de la jupe, c’est la moto et les travaux en hauteur ».


Jupe doudoune
Photo: Orane Benoit

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