Avec sa silhouette effilée, ses éternelles chemisettes à fleurs tropicales et sa crinière bouclée, il a l’air béat de celui qui n’en revient toujours pas d’être là. Depuis cinq ans, Julien Barbagallo est le batteur de Tame Impala, l’un des groupes de rock psychédélique les plus en vue du moment. Avec les rockeurs australiens, il écume, à bord d’un bus gonflé aux stéroïdes, les salles de concert et les festivals les plus prestigieux au monde. Jusqu’à s’offrir l’été dernier l’emblématique scène Pyramide du festival britannique de Glastonbury, devant plus de 100 000 personnes. « J’étais comme un chrétien au mont Sinaï. Je me marrais tout seul en me revoyant ado dans ma chambre, imitant Noël Gallagher avec ma fausse guitare Les Paul, en regardant une VHS d’Oasis à Glastonbury. » À Los Angeles, il papote à la machine à café avec Paul McCartney. En Angleterre, il reproche à Liam Gallagher de l’avoir déçu, ado, en annulant plusieurs concerts.
Il semble bien loin le Tarn où Julien Barbagallo martyrisait ses premières peaux de batterie. Car peu de fans français de Tame Impala le savent, mais derrière la grosse caisse du groupe australien se cache un Albigeois installé à Toulouse. Et comme le trentenaire se plaît décidément à être là où on ne l’attend pas, il poussera la chansonnette cet été sur les routes de France, entre Rock en Seine et Francofolies, pour défendre son deuxième album solo de chanson française, « Grand chien », sorti en octobre dernier.
« Julien, c’est un peu Laurent Voulzy qui serait le batteur du U2 de 1987 », résume Benjamin Caschera, fondateur de son label, Almost Musique, lui aussi installé à Toulouse. S’il a goûté aux frissons de la renommée internationale avec un groupe australien, Julien Barbagallo s’est mis en tête de redorer le blason de la variété française : « 80 % des groupes français chantent en anglais, mais très peu percent hors de France. Alors ils chantent en anglais devant un public français. Ça n’a plus aucun sens. Mon défi, c’est de prendre les choses à l’envers : chanter en français et en faire une carrière internationale ».
Julien, c’est un peu Laurent Voulzy qui serait le batteur du U2 de 1987
Convaincu qu’un auteur ne peut jamais aller aussi loin que dans sa propre langue, sans pour autant vouloir se cantonner à ce que la chanson française actuelle peut avoir de niais ou de snob, l’Albigeois mêle ses influences anglo-saxonnes très modernes à des rythmes plus ancestraux, couronnés de textes poétiques. « Julien est un pionnier de cette nouvelle chanson française qui sort du cadre, assure Benjamin Caschera. Il mélange des genres qui ne se touchaient pas avant, et secoue les habitudes. Il y a un vrai potentiel, mais ça demande à notre génération biberonnée à l’anglais de remettre en question ses habitudes d’écoute. » À la fin de l’été, Julien Barbagallo partira d’ailleurs défendre sa chanson française en Allemagne, aux Pays-Bas, en Angleterre et jusqu’au Canada.
Et histoire de finir de faire voler en éclats l’image d’Épinal du batteur brut de décoffrage, pour son troisième album solo qu’il vient de finir d’enregistrer dans le Lot, Julien Barbagallo s’est plongé dans William Blake et les récits d’Hildegarde de Bingen, une nonne du XIIe siècle qui couchait ses visions sur papier. Son premier album, « Amor de Lonh » – « amour de loin » en occitan – faisait déjà référence à l’œuvre du poète et musicien aquitain du XIIe siècle Jaufré Rudel. Passionné d’histoire, le batteur revendique volontiers sa filiation avec cette lignée de troubadours et son attachement à sa région. « Il y a beaucoup de poésie dans le sud de la France. Une volupté dans l’appréhension du temps, de la vie. Et puis il y a cette architecture et toutes ces cultures qui s’entremêlent, comme autant d’héritages impalpables que l’on ressent très fort. J’ai besoin de faire partie d’une filiation millénaire qui me dépasse, pour me projeter dans un présent. C’est ce qui me manquera le plus, en septembre, quand je m’installerai en Australie », pays de sa femme.
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