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BOUDU

L’Archipel citoyen, démocratie particip’active

Bien avant les gilets jaunes, en janvier 2018, l’Archipel Citoyen faisait déjà le constat d’un « ras-le-bol de la politique politicienne » lors de sa première grande réunion publique. Au cœur de sa réflexion alors encore balbutiante, une obsession : repenser les modes de gouvernance démocratique pour « remettre le citoyen au centre des décisions qui le concernent directement ». Un an plus tard, et en pleine crise des gilets jaunes, le mouvement citoyen reste convaincu que rien ne vaut l’intelligence collective, et que chacun est légitime quand il s’agit de définir les orientations politiques pour sa ville. Et confirme son objectif de conquérir le Capitole en 2020 avec une liste citoyenne et participative. Une grande première à Toulouse.

Il y a un an, l’approche participative de l’Archipel Citoyen suscitait au mieux une curiosité polie, au pire un scepticisme moqueur. Mais depuis, les gilets jaunes sont passés par là et la démocratie participative est sur toutes les lèvres. Un phénomène que l’Archipel Citoyen observe avec beaucoup d’attention. « Avec les gilets jaunes, on se rejoint sur le constat qu’il y a une défiance vis-à-vis de la politique et qu’il faut repenser les modes de gouvernance démocratiques, observe Maxime Le Texier, l’un des porte-paroles tournants de l’Archipel Citoyen. Mais nous ne rejetons pas en bloc tous les élus. Certains font un travail fantastique et mènent des projets de démocratie participative qui ont fait leurs preuves. »

Les gilets jaunes ont déjà remporté un combat fantastique : les citoyens se ré-intéressent à la chose publique. 

Sans se mêler du fond de leurs revendications, l’Archipel Citoyen accompagne les gilets jaunes pour mettre en place des méthodes d’organisation lors de leurs réunions hebdomadaires à Sesquières. Et malgré des désaccords idéologiques – comme sur le plébiscite par les gilets jaunes d’une démocratie directe et le refus de toute forme de représentation démocratique – l’Archipel Citoyen voit dans le mouvement un signal encourageant pour tous ceux qui veulent remettre le citoyen au cœur de la démocratie. « Comme pour Nuit Debout, je ne sais pas ce qui va émerger de ce mouvement, mais ils ont déjà remporté un combat fantastique : les citoyens s’intéressent à nouveau à la chose publique. Ils s’interrogent sur la possibilité d’un meilleur système, et prennent conscience qu’ils sont aussi légitimes que d’autres à s’exprimer sur ces sujets », s’enthousiasme Maxime Le Texier. Autre point positif pour le porte-parole, la capacité des gilets jaunes à étouffer rapidement les revendications individualistes ou corporatistes pour se recentrer sur leurs combats communs (entretien réalisé à la mi-janvier). « C’est rassurant après un début de mandat Macron qui a réussi à fragmenter la population en catégories et les monter les unes contre les autres. Dans ce contexte qui était devenu très individualiste jusque dans la lutte sociale, les gilets jaunes, c’est une lueur d’espoir. On espère que cette envie de débattre, de co-construire se reflétera dans les envies municipales. »

Pour le moment, l’Archipel Citoyen n’a pas encore observé d’« effet gilets jaunes » sur la fréquentation de ses conférences et réunions publiques. « Ceux qui recommencent à s’intéresser à la chose publique sont très impliqués dans le mouvement actuel. Ce qui leur laisse peu de temps pour venir voir ce que l’on fait », constate Jonas George, ancien porte-parole du mouvement, très actif sur les questions de démocratie et de gouvernance.

Plébiscite populaire et tirage au sort

En attendant, depuis un an, l’Archipel Citoyen s’est structuré. Le collectif a avancé sur le fond comme sur la forme, et élaboré des méthodes démocratiques sur- mesure pour se lancer dans la course au Capitole en 2020. « Nous sommes aujourd’hui plus robustes et très clairs sur nos valeurs communes. Des valeurs humanistes, de solidarité, de mixité, d’inclusion, de participation, de bienveillance, de refus de la haine sous toutes ses formes. Et on est prêts pour la phase suivante : l’entrée en campagne », assure Maxime Le Texier. À un détail près : il faut encore constituer la liste des 69 candidats, et le programme.

Pour faire en sorte que la liste électorale soit la plus représentative possible de l’ensemble des Toulousains, le mouvement a élaboré une méthode mêlant candidatures volontaires et plébiscite citoyen (2/3 des noms) et tirage au sort (1/3 des noms). Grâce au plébiscite populaire, l’Archipel Citoyen espère inciter des profils atypiques à se sentir légitimes pour se présenter. Il essaie aussi de convaincre le milieu associatif, et notamment des organisations qui travaillent dans les quartiers populaires de Toulouse, de prendre part au processus de désignation. « Ces associations en ont marre de servir de caution sur les listes des partis traditionnels, à des positions non éligibles, dans une logique clientéliste, ou d’être contraintes de faire un lobbying permanent, alors qu’elles ont des compétences et une expérience de terrain qui seraient très utiles à la ville », regrette Maxime Le Texier.


Certains partis politiques traditionnels, – essentiellement de gauche – envisageraient eux aussi de prendre part au processus de désignation de l’Archipel Citoyen. « Ce serait une formidable carte à jouer pour recréer ce lien entre citoyens et personnel politique. Les élus ont aussi une connaissance des institutions qui est un atout pour une liste citoyenne. On vit dans la même ville, on peut arriver à faire quelque chose ensemble sans que nos étiquettes soient collées sur nos fronts en permanence », plaide Jonas George. Mais n’y a-t-il pas un risque de faire entrer le loup dans la bergerie en intégrant des « politiciens » à une liste citoyenne conçue pour redonner confiance en la politique ? Pas pour Jonas George en tout cas, qui prend pour exemple le mouvement municipaliste espagnol qui a vu des listes menées par des citoyens et des associations être soutenues par des partis traditionnels sans que ces derniers cherchent à prendre la main, même une fois élus.

Fin février, Europe Écologie les Verts a été le premier à sauter le pas en décidant de ne pas présenter de liste en 2020, et de passer par le processus de désignation du mouvement citoyen. Génération.s, le mouvement de Benoît Hamon, serait en passe de faire la même chose.Sans certitude de voir ses candidats figurer sur la liste, et encore moins en position éligible.

Parce que, tous les candidats volontaires et plébiscités, sans exception, seront soumis à une « campagne de likes » en ligne à laquelle tous les Toulousains et usagers de la ville de plus de 16 ans pourront participer. Ceux qui auront remporté le plus de soutiens devront ensuite s’exprimer lors de réunions publiques et divers « oraux » pour départager les 46 qui figureront sur la liste finale.

On espère que cette envie de débattre, de co-construire se reflétera dans les envies municipales. 

Pour compléter la liste, les 23 noms restants seront tirés au sort sur les listes électorales. « Ils pourront bien sûr refuser de participer. Mais on espère les convaincre qu’ils sont légitimes en les formant, en les aidant à s’exprimer en public, pour garantir des institutions les plus représentatives possibles des Toulousains. Et dans le modèle que nous promouvons, n’importe qui est légitime puisqu’on voit l’élu comme un facilitateur de débat, et non comme le détenteur d’un pouvoir concentré entre les mains d’une poignée d’élus », explique Maxime Le Texier.

Des garde-fous ont toutefois été prévus pour éviter que certains puissent détourner le système à des fins personnelles. Les candidats devront adhérer au code éthique et défendre le programme de réforme des institutions définis collectivement par le mouvement. Un comité de suivi s’assurera de la transparence de l’ensemble du processus de nomination. « Si ces points sont respectés, nous n’avons plus notre mot à dire. Ce n’est pas « notre » liste. Nous proposons simplement une procédure qui nous semble démocratique pour que toutes les forces qui souhaitent proposer une alternative démocratique sereine puissent le faire », insiste Jonas George.

Sans chef ni promesses

Une fois la liste construite – normalement d’ici la rentrée de septembre – il restera neuf mois à l’équipe de 69 candidats pour se mettre d’accord sur les noms en positions éligibles et sur le contenu du programme. Loi oblige, il faut bien choisir un leader qui sera nommé maire en cas de victoire. « Mais la tête de liste ne sera pas un chef. Ce sera une sorte d’animateur dont le rôle sera de faire avancer le travail collectif, à la fois pendant la campagne et après l’élection », insiste Maxime Le Texier. « On ne veut pas que la seule préoccupation des membres de cette liste soit de négocier une place éligible. Il faut que ce soit un véritable collectif de travail sans chef qui prendra des décisions collectives, au consentement. »

Dans le système mis en place par l’Archipel Citoyen, les 69 membres de la liste municipale devront défendre deux programmes élaborés collectivement par le mouvement citoyen. Le premier, le « programme thématique » contiendra les propositions du mouvement sur le fond. Mais là encore, la méthode de l’Archipel Citoyen casse les codes. Dans ce programme, pas de promesses ni de solutions clé en main. « On ne veut pas reproduire le schéma classique de l’homme providentiel et faire des catalogues de promesses qu’on ne pourra pas tenir », assure Maxime Le Texier. Leur méthode ? Dresser un diagnostic des problématiques rencontrées par les citoyens identifiées et discutées, entre autres, pendant les réunions publiques et les « maraudes citoyennes » dans la rue. Puis en présenter les enjeux et mettre en avant les thématiques prioritaires pour le mouvement. « La démocratie participative demande du temps et des moyens. On sait bien qu’on ne pourra pas traiter toutes les problématiques en seulement 6 ans. »

Participation sans responsabilisation = piège à con

L’autre programme que la liste devra défendre, c’est le « programme démocratique ». Un projet de transformation des institutions municipales – dans la limite du cadre légal pour « casser les pouvoirs qui sont entre les mains d’un petit nombre de personnes », et les rendre plus collectifs. S’ils sont élus, les candidats d’Archipel Citoyen auront pour mission de mettre en œuvre le concept de « démocratie permanente » porté par le mouvement. Un système qui implique le citoyen tout au long de l’élaboration de la politique municipale et métropolitaine, et non plus seulement lors des échéances électorales. Notamment en faisant collaborer citoyens, équipes municipales et élus pour que chacun soit conscient des problématiques, mais aussi de ce qui est faisable techniquement et financièrement, avant de chercher des solutions qui conviennent à tous. « On est très attentifs à ne pas résumer la notion de démocratie à la simple capacité de prendre des décisions. C’est très réducteur, voire dangereux », estime Jonas George. D’où la méfiance envers ceux qui voient le désormais fameux référendum d’initiative citoyenne (RIC) comme la panacée. « La démocratie participative telle qu’on nous la vend aujourd’hui, c’est du flan, déplore Maxime Le Texier. Si on nous donne seulement le choix entre deux propositions qui nous sont imposées, ce n’est pas plus démocratique, et ça crée encore plus de frustration. À l’inverse, quand on donne la possibilité aux gens de s’engager et de participer tout au long du processus, on crée de la confiance, on leur redonne le pouvoir, mais on crée aussi une forme de pression, d’angoisse, parce qu’on leur donne des responsabilités. »

Résumer la notion de démocratie à la simple capacité de prendre des décisions, c’est très réducteur, voire dangereux.

C’est le fameux « participation sans responsabilisation = piège à con » qu’affectionne tant Jean-François Caron, maire de Loos-en-Gohelle, qui expérimente la démocratie participative dans sa ville minière du Pas-de-Calais depuis 2001. Et pour l’Archipel Citoyen, le meilleur moyen de responsabiliser les citoyens et de les impliquer dans la politique locale est de respecter un certain « cercle vertueux » : faire en sorte que tout le monde puisse se former sur le fonctionnement des institutions, s’informer sur les sujets dont il est question et leurs enjeux, débattre collectivement pour se forger une opinion et faire émerger des propositions en « misant sur l’intelligence collective », participer au vote, et enfin contrôler l’application effective de ce qui a été voté.

Le mouvement cite en exemple des initiatives de démocratie participative menées au Canada, en Australie, en Irlande et même en France, notamment à Kingersheim en Alsace ou à Saillans dans la Drôme, dont les premiers résultats sont encourageants. Mais ces initiatives – du moins françaises – concernent des communes de petite envergure. Est-ce vraiment transposable à l’échelle toulousaine ? Pour Jonas George, la réponse est oui, « parce qu’à l’échelon municipal, il reste un certain degré de confiance, une volonté d’améliorer les choses à l’échelle de son quartier ».

Mais le mouvement est aussi conscient des limites de l’exercice… « On est pragmatiques, on sait qu’il est impossible d’organiser des AG de tous les Toulousains tous les mois. On ne peut pas non plus mobiliser les gens trois jours par semaine pour décider de tout collectivement, reconnaît Maxime Le Texier. Mais c’est ce vers quoi il faut tendre et qu’il faut expérimenter. » Et Jonas George de renchérir : « On appelle à une forme de courage. Allons-y, tentons ! Voyons jusqu’où on peut pousser le curseur. Parce que ce dont on est certains, c’est que si on ne va pas vers ce type de fonctionnement, on va encore agrandir le gouffre qui s’est ouvert entre les élites isolées et le reste de la population, et on prend le risque de voir de plus en plus de votes exutoires. » 

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