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BOUDU

L’Atelier, couveuse du TNT


Théâtre National de Toulouse


17 avril 2017.

Seize étranges volatiles vengeurs volettent et se pavanent sur la scène du Théâtre national de Toulouse (TNT). La première représentation des Oiseaux, dernière création de Laurent Pelly et Agathe Mélinand, fait salle comble. Fauvettes, faucons, coucous, corbeaux, bécasses, passereaux pépient en chœur dans un ballet réglé au millimètre. Parmi eux, sept jeunes comédiens, pour qui ce soir a une saveur toute particulière : après plusieurs mois dans l’ombre de la machine, ils font leurs premiers pas sur la grande scène du TNT.

14 octobre 2016

Sonia, Romain, Raphaël, Anne, Nicolas, Nick et Malou ont débarqué au théâtre dans un grand éclat de rire il y a sept mois. Ce 14 octobre, leurs voix résonnent dans la salle de réunion surchauffée, cachée derrière de lourds rideaux noirs dans un recoin du Théâtre National de Toulouse. Caroline Chausson, la responsable de l’Atelier, plaisante avec eux, mi-directrice, mi-maman. C’est un groupe d’ados trop vite devenus adultes. Potaches et passionnés, enfantins parfois, comédiens tout le temps. La tête pleine de projets et le regard émerveillé, encore étonnés d’avoir été retenus pour faire partie de la vingtième promotion de l’Atelier.

Imaginée dans les années 1980 par Jacques Rosner, directeur du centre dramatique national basé au Sorano, l’idée est reprise par Jacques Nichet quand il prend la tête du théâtre en 1998. « L’Atelier volant » dure alors six mois pendant lesquels des comédiens de moins de 25 ans apprennent les ficelles du métier. 20 ans plus tard, l’Atelier n’est plus « volant », il s’étend sur 14 mois et accueille des jeunes de 22 à 27 ans.

Mais le principe, décrit par Caroline Chausson, reste le même : « L’idée n’est pas d’offrir une énième formation supérieure de théâtre. L’Atelier est une année d’insertion professionnelle. C’est du donnant-donnant : les comédiens apprennent, bien sûr, mais ils sont rémunérés pour travailler au Théâtre National de Toulouse ». Pour le centre dramatique, ces comédiens sont presque devenus une troupe semi-permanente, qui, tous les deux ans, anime la respectable maison. « Ils créent une dynamique différente au théâtre. Ils le font vivre par leur présence bordélique, qui sort du train-train quotidien. Ils empêchent la mécanique de se gripper. »

Théâtre National de Toulouse

3 novembre 2016

Il faut franchir un certain nombre de portes, longer autant de couloirs et grimper quelques marches pour pénétrer dans la salle de répétition, qui sera, pour les sept de l’Atelier, un repaire. Ce jour-là, ils attendent Marion Guerrero et Virginie Barreteau, deux comédiennes passées par la toute première promotion de l’Atelier, il y a 18 ans. Elles assurent la première création de ce groupe qui se forme tout juste. Le travail a commencé depuis quelques jours : improvisations puis entretiens individuels ont permis d’écrire une pièce sur mesure que les jeunes comédiens répètent.

Allongée par terre, une feuille imprimée dans la main, Sonia mime son texte à Nicolas. Quelques notes de guitare résonnent. Les voix se mélangent et bourdonnent. Certains déambulent, murmurent les mots qui rentrent doucement. Anne soupire : « Je suis nulle ». Raphaël noue une cravate, ajuste un costume bien trop élégant. Nick enfile une perruque blonde élimée et une barbe châtain, qui provoque l’hilarité générale.

« Enlève la barbe », intime Marion Guerrero, puis, satisfaite du résultat : « C’est affreux cette perruque ». Virginie Barreteau distribue quelques consignes : « Anne, on t’a écrit un texte, tu pourras broder autour. Par contre, il te faudrait une boîte de cassoulet. Sonia, il faudrait que tu mettes de grosses chaussettes, en les roulant aux chevilles ». Elle s’exécute, brandissant une paire vert et violet. « On dirait un bizutage… qu’est-ce que j’ai fait ? »

Trois heures plus tard, c’est sur la terrasse que tout le monde se retrouve. Petit refuge communautaire, le lieu accueille quelques tables, un olivier et une cuisine. Le personnel du théâtre vient y boire un café, fumer. Romain parcourt l’horoscope de Nick.

Théâtre National de Toulouse
Théâtre National de Toulouse

10 novembre

La première représentation s’achève. Une histoire cousue de dialogues burlesques et improbables, une ville en ruine où errent des personnages étranges, forcés à cohabiter. Malou en enfant-adulte hyperactive. Sonia en Yolande Moreau maniaque et bonne, affublée de couches de vêtements superposés, attendant son fils inlassablement. Raphaël en insupportable agent immobilier, inconscient de la misère qui l’entoure. Anne en hystérique affamée après des mois à se nourrir uniquement de lumière.

Et toi, tu l’aimes ton métier, non ?

Ravis, les comédiens aimeraient faire une reprise. Ils n’auront pas le temps. Leur emploi du temps est déjà organisé pour les douze mois qu’ils passeront ici. Les ateliers s’enchaînent, les temps morts sont réservés à l’organisation des lectures. Pour l’heure, ils savourent leur premier succès autour d’un verre de vin. Nicolas reste à l’écart, accroché à son téléphone.

Au fil des jours, dans le travail et dans la fête, ils apprennent à se connaître. Un processus essentiel pour que l’année fonctionne. « S’intégrer dans le groupe, c’est ce qu’on attend d’eux, souligne Caroline Chausson. Ici, chacun doit trouver sa place. Mais on leur demande aussi formellement d’apprendre à travailler ensemble, qu’ils soient amis ou pas ». Si l’on en croit Laurent Pelly, le directeur du Théâtre National de Toulouse, l’alchimie ne prend pas toujours : « C’est un peu des hasards, car on ne cherche pas de profils précis. Les auditions sont longues, on peut se tromper. L’an dernier par exemple, ça ne marchait pas forcément entre eux ».

Pour Sébastien Bournac, le directeur du théâtre Sorano, qui intervient chaque année en dramaturgie, « la dynamique de groupe est fondamentale. Après l’euphorie de la découverte, il y a des moments difficiles, des crises de groupe. Ils se séparent, des affinités se créent. Le groupe, c’est à la fois une force et ce qui fait que ça ne peut pas durer. Il faut savoir se séparer, pour mieux se retrouver ».

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16 décembre

La salle de répétition est plongée dans le noir. Un carré de néons blancs éclaire la scène. Les sept sont assis au fond. Les voix crèvent soudain le silence. Les silhouettes s’avancent, raides, douloureuses. En chœur elles hurlent « Vivants. Vivants. C’est le principal, nous sommes vivants, et ce n’est pas beaucoup plus qu’être en vie après avoir quitté la sainte patrie ». 45 minutes d’une longue litanie, brutale, haletante. Parfois une voix se brise et les autres prennent le relais. Et puis le silence. Quelques secondes avant que la salle applaudisse. Sonnée.

Ce travail avec Julien Gosselin les a tous éreintés. La rencontre a été particulièrement intense pour Romain. « Il y a eu un moment où je n’étais pas assez efficace dans le travail. Il m’est rentré dedans. Il a remis en question la place que je prenais en général dans les projets du groupe. J’étais trop en retrait. » Une mise au point bénéfique que le jeune homme prend avec philosophie : « J’ai toujours eu besoin de ce genre de rapport pour avancer, pour comprendre ce qu’on veut de moi ».

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15 février

La salle de répétition a changé de sens. Des gradins ont été montés d’un côté. Une barre de manteaux, robes et costumes traverse le plateau de part en part. Assis en retrait, les traits tirés, Nick ne participe pas aux étirements. Il vient d’être papa, un bouleversement dans sa vie qu’il doit désormais concilier avec l’activité incessante de l’Atelier. Pour cette fois, il est dispensé, cantonné dans un rôle d’observateur.

Pour les autres, Aurélien Bory, a imaginé Les habits froids, vieux costumes remisés des théâtres, suspendus et à moitié morts. À moitié seulement. Il entend bien les ressusciter. Créer un ballet de ces vêtements fantomatiques. Faire des acteurs des chercheurs, les obliger à « écrire une matière chorégraphique, un jeu », sans oublier de rappeler « le socle » : « Il faut nettoyer les outils, préciser ce qui a été vu dans les formations antérieures ». Et pour parfaire son tableau, Aurélien Bory a invité des élèves du Lido, l’école de cirque de Toulouse. « C’est intéressant que ces gens se croisent. Ils sont à l’orée de leur carrière et il peut en sortir des choses. C’est une rencontre qui peut durer. » Ça ne serait pas la première fois. En 2013, Antoine Rafalli et ses compagnons de promo participent à une création avec Jean Bellorini. Le directeur du théâtre Gérard-Philippe à Saint-Denis engage dans la foulée les garçons dans Un fils de notre temps. Trois ans plus tard, la pièce tourne toujours. Cette année, Antoine Rafalli montera aussi une pièce dans laquelle joueront ses anciens camarades.

21 mars

Un gazouillis d’enfant trouble le silence des spectateurs. Nick vient de prendre la parole. Au fond du studio, sa femme emporte discrètement sa fille d’un mois. Sur scène, la lecture se poursuit, errance onirique dans des contrées lointaines. Constance Émilie, l’auteure, petite femme à la voix frêle, se délecte. « Je suis sous le choc. Il y a quelque chose de douloureux dans le texte que je n’avais pas vu. Vous êtes tellement précis que vous ne faites presque rien. C’est ce que j’aime. »

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Il leur reste sept mois, et déjà l’émerveillement n’est plus le même. C’est vrai pour Romain : « Quand j’ai commencé, j’étais un peu tout feu tout flamme, à me dire que c’était extraordinaire. Maintenant, je le prends de façon plus concrète, dans ce que j’ai à apprendre ici et dans la projection de ce métier que j’ai envie de faire ». C’est vrai, de manière générale, pour tous les comédiens qui passent par l’Atelier, si l’on en croit Sébastien Bournac. « Ils perdent de leur naïveté. La formation qui leur est proposée les sculpte. Ils trouvent ce qu’ils veulent ou au moins ce qu’ils ne veulent pas. Mais c’est bien de tout vivre. » Surtout, cela permet d’appréhender ce qui les attend à la sortie : l’intermittence, les projets qui s’enchaînent.

Un élément qui inquiète déjà Nicolas : « Il y a en moi une peur persistante de me retrouver sans projet dans un an. Je suis convaincu que la formation de l’Atelier nous apporte des relations pouvant nous permettre de travailler par la suite, mais peut-être pas dans l’immédiat. Tout est facteur d’entente humaine, de compétences et de hasard de planning ».

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