Il n’est jamais facile de succéder à un monument. Lorsque Pierre Izard rend public, en novembre 2014, sa décision de ne pas briguer un 9e mandat de président du Conseil départemental, se pose la question de sa succession. Qui pour le remplacer ? Les candidats ne se bousculent pas au portillon. Il faut dire que le contexte politique du moment n’incite alors pas à l’optimisme dans les rangs du Parti socialiste.
L’équipe municipale de Nailloux pour le 2ème mandat de Georges Méric, mars 1989
Sébastien Vincini, son premier secrétaire en Haute-Garonne, se souvient du fiasco prédit par La Dépêche du Midi en Une, un mois avant le scrutin : « 1 canton sur 27 !, s’exclame-t-il encore. Même si nos prédictions étaient moins catastrophiques, on ne fanfaronnait pas. Du coup, pas de guerre d’égos ». Mais alors que tout le monde, rue Lancefoc, craignant une déculottée, ne voit pas plus loin que le premier tour, à Nailloux, une petite cellule prépare l’avènement de Georges Méric. Excès d’optimisme de la part du premier édile local ? Disons plutôt que l’homme déteste être pris au dépourvu : « Avec Méric, on ne réagit pas, on anticipe, on prépare, explique Sébastien Vincini. C’est toujours comme ça ». Difficile, dès lors, de croire que son accession au perchoir de l’assemblée départementale n’a pas été préparée de longue date. D’autant que l’histoire de Georges Méric avec l’institution ne date pas d’hier. Si son premier mandat significatif est celui de maire de Nailloux, il intègre dès 1988 les rangs de l’hémicycle du Conseil général, prenant ainsi le relais… de son père, personnalité incontournable du Parti socialiste haut-garonnais (et ancien président de groupe au Sénat), en obtenant « 5 % de voix de plus au premier tour ». Une hérédité qu’il s’était pourtant juré de combattre, marqué dans sa jeunesse par le peu de place que cette passion dévorante avait laissé à son père et, par ricochets, à sa famille. « Mon père, je ne l’ai pas vu souvent, à part dans les repas familiaux du week-end. Et encore. C’est ma mère qui m’a élevé. » Devenu médecin suite à un accident de voiture dont il est victime et qui lui fait prendre conscience de l’humanité du monde hospitalier, il ne résiste cependant pas longtemps aux sirènes de l’action publique, animé par l’envie de tout faire pour désenclaver Nailloux, sa ville d’adoption, dans laquelle il a installé son cabinet médical.
On est passé de Jojo à Président Méric
Pour y parvenir, il identifie très vite le Conseil général, ancêtre du Conseil départemental, comme un levier essentiel. « J’avais un village à sortir de l’anonymat, à organiser. Je devais faire venir des services marchands. Cela ne pouvait sortir qu’avec une meilleure correspondance avec Toulouse. »
À partir de son élection en 1988, il ne va cesser de gravir les échelons. De simple conseiller, il devient rapidement vice-président chargé des affaires sociales, puis, après un apprentissage « politique » dans le groupe socialiste, accède à la vice–présidence en charge de l’éducation et de l’enseignement. Un rôle qui lui permet d’agir, mais aussi d’apprivoiser le fonctionnement de l’institution. Et donc de toucher du doigt les limites de la gouvernance de Pierre Izard. « J’étais un vice-président sans latitude de décision. Certes j’avais une délégation de signature. Mais pour signer, encore faut-il qu’on nous présente des dossiers ! »
Bilan de fin de mandat d’André Méric, conseiller général du canton de Nailloux, 1970
Désireux de voir changer les choses, il adresse en 2011, avec quelques autres (Fillola, Raynal, Lépinay, ndlr), un courrier à Izard pour « dénoncer son mode de gouvernance ». Si l’épisode se conclut par une sévère réprimande de la part de l’omnipotent président de l’exécutif départemental, il a le mérite de mettre Georges Méric dans la lumière. Même s’il jure ses grands dieux que ce n’était pas le but de la manœuvre. Co-auteur de la lettre en 2011, le sénateur de la Haute-Garonne Claude Raynal se porte garant : « Des quatre, s’il y en avait un qui avait laissé apparaître des velléités, c’était Jean-Raymond Lépinay (ancien président de la communauté de communes du Saint-Gaudinois, ndlr) ». Il n’empêche. À force d’observer, on finit par avoir envie de faire. Et il ne faut pas trop le pousser pour qu’il finisse par concéder que l’idée germait dans son esprit depuis un moment. « Quand on a écrit la lettre, je n’étais pas candidat, même si je pensais, sans avoir la grosse tête, que je pouvais prendre les habits. »
Rétrogradé au rang de simple conseiller général après les élections cantonales pour avoir osé défier le boss, Georges Méric ne va pas s’en laisser compter. Ni perdre de vue ce qui apparaît de plus en plus clairement comme un objectif. À partir de 2011, les choses se mettent en place. Dans un restaurant de Nailloux, Méric, Vincini et quelques proches échafaudent le plan de bataille : d’abord prendre le parti, puis préparer la succession de Pierre Izard.
Sans être clairement énoncée, la répartition des rôles est claire pour tout le monde. « Dès ce moment-là, je savais que Georges serait le candidat aux élections départementales », confie le premier fédéral du PS 31. Un avis partagé par Eric Daguerre, son directeur de cabinet au Conseil départemental et membre du petit groupe : « Dès 2012, il réfléchissait à la perspective qu’il puisse être candidat à la présidence en 2015 ».
Election du nouveau président du Conseil Départemental Le 2 Avril 2015
Départementaliste convaincu, il l’est tout autant par la nécessité de rechercher des partenariats, des collaborations, des synergies entre les collectivités. Alors il consulte. « Il était à la recherche d’individus capables de bâtir des passerelles entre les institutions », précise Daguerre.
Même si le bureau d’Izard était toujours ouvert, je reconnais que je rentre plus facilement dans celui de Méric.
Plus d’un an avant le scrutin, début 2014, Georges Méric se dévoile. Aussi, c’est sans surprise qu’un an plus tard, au soir de la victoire du PS, il fait acte de candidature. Et se retrouve seul à postuler à la présidence du Conseil départemental après les défections successives de Jean-Michel Fabre et Jean-Jacques Mirassou. Pour un camarade du parti qui préfère garder l’anonymat, tout avait été savamment orchestré : « Il a bien préparé son coup. Vu qu’il n’y avait pas de débat sur le fond en interne au moment des cantonales, il a pu organiser le rapport de force dans les sections ». Un temps candidat au perchoir du Conseil départemental avant de se désister, Jean-Jacques Mirassou met en garde ceux qui seraient tentés de ne voir en Georges Méric qu’une blanche colombe : « Bien sûr qu’il est politique ; sinon, il ne serait pas devenu président du Conseil départemental ». Jean-Louis Llorca, vice-président sous l’ère Izard et toujours en poste aujourd’hui, a envie de croire que c’était tout simplement « son tour. Il avait les fondamentaux, la structure politique. Il n’a pas eu à s’adapter. Il était prêt. Même s’il n’aime pas se mettre en avant ».
Personne ne le dépeint d’ailleurs comme un ambitieux aux dents longues. Pour Kader Arif, ancien premier secrétaire du PS 31, si Méric a voulu prendre la suite d’Izard « c’est parce qu’il avait envie de montrer que sa méthode et sa force de conviction pourraient marquer une nouvelle étape ».
Le bal des 20 ans du club du 3ème âge de Nailloux
Marquer sa différence avec Pierre Izard, telle semble être en effet l’une des motivations premières qui ont poussé Méric à se présenter. Dès son intronisation, les grandes manœuvres commencent. Bertrand Looses, le directeur général des services (DGS) raconte : « Il a voulu envoyer tout de suite un signal fort de travail en équipe, montrer qu’entre la direction générale, le cabinet et lui-même, les choses se passeraient de manière soudée ». Comme attendu, concertation, partenariat, dialogue, co-construction, intelligence collective, deviennent les mots-clés. Et dès le départ, la volonté est affichée de faire fonctionner un groupe politique et d’avoir des élus avec des vraies responsabilités et de vrais dossiers. Pour Eric Daguerre, son directeur de cabinet, l’évolution est radicale. « Avant, toutes les décisions étaient entre les mains d’un président. Le personnage de Méric est en rupture totale : il ne conçoit l’action que dans un collectif. Il partage tout, met tout sur la table, il veut qu’il y ait des argumentations sur tous les sujets. Il est convaincu de la nécessité d’un leadership mais construit, co-élaboré. » Les élus, comme Jean-Louis Llorca, semblent revivre : « Je suis la politique de la Ville : eh bien je m’en occupe de A à Z. Je siège dans toutes les instances. Ce n’est pas Méric qui y va. Il fait confiance. C’est plus facile de travailler aujourd’hui : je me sens plus responsable et autonome ». Des vice-présidents avec un vrai pouvoir ? Un vrai bouleversement dans l’institution. Même Jean-Jacques Mirassou, pourtant soucieux de ne pas écorner la mémoire de Pierre Izard, reconnaît que « ça respire mieux », aujourd’hui, dans le grand bâtiment du boulevard de la Marquette. « Le bureau d’Izard avait beau être toujours ouvert, je reconnais que je rentre plus facilement dans celui de Méric. Mais on a changé d’ère par la force des choses : il y avait une soif de démocratie participative. Et Méric a eu la capacité de le percevoir. »
Izard siégeait dans toutes les commissions. Méric, on ne le voit jamais. En tant que délégué du personnel, je trouve que c’est fâcheux.
Reste qu’on ne passe pas d’un système verrouillé pendant plusieurs décennies à une gouvernance partagée du jour au lendemain. Eric Daguerre toujours : « Les élus étaient dans un système vertical où ils n’exerçaient aucune prérogative, où les vice-présidents n’avaient même pas de délégations de signatures. En fait, on leur demandait de se taire. Dès le départ, Méric a voulu balayer ça ». L’objectif ? Mettre en place un management plus proche, transversal, avec une incitation forte à prendre des initiatives et à être porteur d’un projet. Sur le terrain, les élus approuvent, y compris ceux qui ne sont pas de sa sensibilité politique comme Bernard Bagnéris, conseiller départemental France Insoumise : « Ce que Méric apporte, c’est le décloisonnement avec les services du Conseil. Cela rend l’engagement plus intéressant. On peut discuter, échanger et faire avancer les sujets de manière assez directe ».
Mais si cette mini-révolution a été, semble-t-il, du goût des élus, dans les services, la mise en place du management participatif a été diversement appréciée. Agent du conseil départemental depuis 1990, Stéphane Borras n’est toujours pas convaincu du bien-fondé de la méthode. Le syndicaliste Sud conteste surtout la manière : « Beaucoup de collègues prennent mal le fait de dire que tout allait mal avant leur arrivée. Le Conseil départemental avait commencé sa mue bien avant ». S’il reconnaît un assouplissement de la réglementation, en particulier sur les horaires et les temps partiels, il est beaucoup plus circonspect quand il s’agit d’évaluer les bienfaits du management participatif : « Le dialogue n’est pas plus aisé. Certes la méthode a changé : avant, on avait à faire à de fortes personnalités, mais les prises de décisions étaient assez rapides. Alors qu’aujourd’hui, les responsabilités se sont extrêmement diluées. Du coup, on a du mal à savoir qui décide quoi ». Et d’enfoncer le clou en comparant avec l’ancienne administration : « Ce qui ressort des services, c’est que c’est moins rapide que du temps d’Izard qui, pourtant, centralisait tout. »
Banquet Républicain à l’Hotel de Département 14 juillet 2017
Dans la ligne de mire du syndicaliste, les chargés de missions dont le nombre aurait considérablement augmenté et qui « ralentiraient le processus ». Un avis partagé par son collègue de la CGT, Stéfan Barbé, qui a démissionné du Comité technique (l’instance qui régit les règles de fonctionnement du CD, ndlr) pour manifester son désaccord avec l’actuelle équipe : « Il y a des consultations à tous les niveaux qui ne servent à rien. La réalité, c’est que le patron perd de l’argent. Soyons clairs, au final, l’objectif est de mutualiser les services pour faire des économies ». Nostalgiques du père Izard, les organisations syndicales ? « Au moins, on savait qui on avait en face », lâche Stéfan Barbé. Un reproche auquel s’associe, une fois de plus, Borras : « Izard siégeait dans toutes les commissions. Méric, on ne le voit jamais. En tant que délégué du personnel, je trouve que c’est fâcheux. On a le sentiment, dans les services, qu’il ne s’occupe pas de nous ». Trop présent pour certains, pas assez pour d’autres, du côté du premier vice-président du Conseil départemental, on préfère relativiser les difficultés sans occulter les contraintes budgétaires : « Le fait de passer à un management de responsabilités a un peu perturbé au début. Vu qu’on a lancé beaucoup de mutations dans la collectivité, il a fallu faire de la pédagogie. Par ailleurs, à notre arrivée, les directeurs nous ont dit qu’il fallait augmenter la fiscalité pour continuer à faire des investissements. On a préféré procéder différemment en maîtrisant les dépenses. Résultat des courses ? On augmente, pour la 3e année, notre budget d’investissement, on est en train de désendetter la collectivité. Le tout sans augmenter les impôts ». Des contraintes financières bien connues du directeur général des services, Bertrand Looses qui, après avoir connu « les 30 glorieuses du Conseil général », a dû prendre des mesures pour sauvegarder la structure financière du département, du fait de l’effet ciseau, c’est à dire la baisse des recettes fiscales couplée à la hausse des dépenses sociales : « La pression est forte sur les services à cause de l’instabilité institutionnelle qui fait peser une épée de Damoclès sur nos têtes. Mais l’arrivée de Méric a permis de stabiliser la collectivité ».
Mon indépendance financière m’a toujours permis de dire ce que je pensais.
Sur le fond, la méthode en a aussi dérouté plus d’un. Féru de philosophie, Georges Méric revendique l’héritage humaniste et progressiste des Lumières. Il puise dans ses lectures la substantifique moelle de sa réflexion politique. Pas un discours, y compris les plus importants comme celui de son investiture à la présidence du Conseil départemental, sans qu’il cite, mentionne, fasse référence à un ou plusieurs philosophes, avec une préférence marquée pour Spinoza, Pic de la Mirandole ou, parmi les contemporains, Marcel Conche ou André Compte-Sponville. « Spinoza affirme que l’émancipation par la connaissance, c’est la liberté. C’est très important pour moi. Ça m’a porté dans ma vie. »
Une façon de faire singulière qui en fait sourire certains, les plus indulgents, et énerve d’autres, qui l’accusent de s’écouter parler. Méric s’en défend : « La citation, c’est un éclairage. La liberté commence où l’ignorance finit, qu’est ce que vous voulez dire de plus après ça ? Tout est dit. Cela permet d’éclairer le propos et de donner du sens, de la charpente. L’époque en manque ». Pour mesurer l’importance de ces lectures dans ses prises de décision, il suffit de le voir sortir d’un tiroir de son bureau un petit tableau tracé à la main, élaboré pendant les dernières vacances de Noël pour « classer ses idées ». Dans la colonne de gauche, les trois implications qu’il extirpe de son parcours philosophique : l’émancipation, l’universalisme et l’humanisme. Dans la colonne du milieu, leur objectif : l’émancipation, c’est un but, donc la liberté ; l’universalisme, c’est un principe, donc l’égalité ; et l’humanisme, c’est une règle de vie, donc la fraternité. Enfin dans la colonne de droite, la traduction concrète, « ce que je développe ici. Si on prend la liberté, c’est le développement de la culture et de l’éducation, et la mixité sociale dans les collèges ; si on prend l’égalité, c’est combattre la ghettoïsation ; et si on prend la solidarité, ce sont les contrats de territoire que j’ai inventés ».
L’ensemble constitue sa « boussole » politique : « Je pars d’un raisonnement philosophique qui est le penser par soi-même et l’émancipation par la connaissance, qui m’amène à la République et aux dossiers du Conseil départemental ».
Au cœur de la matrice Méric, la République et, plus encore, la laïcité. Son vieux compagnon de route Jean-Jacques Mirassou explicite : « Il fait le constat d’une société qui est en mauvais état. Il met tout en œuvre pour être en adéquation avec ses convictions républicaines. Cela s’illustre notamment par le parcours laïque et citoyen ».
Reste que pour certains pragmatiques, philosophie et politique ne font pas bon ménage. À trop être dans la théorie, le président Méric en oublierait-il le principe de réalité ? Éric Daguerre, son directeur de cabinet, objecte : « Certes il est dans les idées mais il veut que ça marche. Et ces longues années de terrain font qu’il sait ce qui fonctionne ». Pour Sébastien Vincini, si l’action s’appuie sur une réflexion philosophique, elle est surtout au service de solutions. « C’est l’inverse d’un pragmatisme déshumanisé à la Macron. De ses mains, il a créé 600 emplois : il a donc un vrai sens de la négociation, du concret, de la méthode et de la mise en œuvre. » Conscient de renvoyer une image un peu iconoclaste, Georges Méric assume sa différence. « Le politique ne peut pas être qu’un technicien, un gestionnaire comptable. Il faut imprimer du sens à sa politique, sinon vous ne servez à rien. Si on met plus d’argent sur la médiathèque que sur les routes, c’est un choix. » Pour Romain Cujives, son ancien chef de cabinet, Méric est un ovni dans la sphère politique : « Dans un monde aseptisé, lui ne l’est pas. Cette singularité est très agréable au quotidien et lui donne de la force. Il n’est pas soumis à la dictature de l’instant comme beaucoup ». Jean-Louis Llorca souscrit : « Ses convictions, la République, la laïcité, il les transcende et les fait partager. Dans cette période compliquée pour les socialistes, remettre du fond, ça fait du bien ». Jusque dans les rangs de l’opposition, on semble apprécier sa singularité. Pour Jean-Luc Moudenc, par exemple, avec lequel les relations, cordiales au début du mandat, semblent pourtant se tendre depuis le début de l’année, le discours de Georges Méric sur la République « est extrêmement prégnant, à un niveau qui est peu commun dans la vie politique locale. La dimension intellectuelle de son engagement est très intéressante ».
Pour certains, néanmoins, le président du Conseil départemental en fait trop avec la République et la laïcité. Au point d’alimenter la rumeur, surtout depuis le banquet républicain donné au Conseil départemental le 14 juillet dernier, que Méric n’est pas tout à fait maître à bord.
Méric, un « pantin » de la franc-maçonnerie comme certains le persiflent ? Ridicule pour son entourage. Le principal intéressé, qui ne souhaite pas commenter ces allégations, préfère rappeler qu’il a toujours été un homme libre : « Mon indépendance financière m’a toujours conféré une liberté d’action. Donc je peux dire des choses que d’autres ont du mal à dire. C’est tout ». Sévère avec ceux qui ne vivent que dans la « volonté de renouveler absolument leur mandat », il affirme avoir choisi de faire de la politique « par passion, parce que les mots émancipation, universalisme et humanisme sont importants pour moi ».
Pour ses proches, c’est précisément cette foi en l’humain qui l’a conduit à prendre des décisions audacieuses dans la première partie de son mandat, comme la mise en place du parcours laïque et citoyen, les contrats de territoires ou encore la mixité dans les collèges. « La politique, ça se mesure à l’audace. Si l’on ne prend jamais de risques, qu’est ce qu’on laisse après ? ». Des dossiers qui sortent pourtant du champ de compétence traditionnel du Conseil départemental. Mais pour Eric Daguerre, le contexte actuel justifie ces audaces : « Vu l’instabilité institutionnelle que l’on traverse, on doit convaincre les habitants de la Haute-Garonne de l’utilité du Conseil départemental, mais aussi de sa capacité à innover ». L’expérimentation du revenu de base ou, plus encore, la mixité dans les collèges en font partie. Un motif de fierté pour le président Méric : « On a inventé une stratégie difficile à faire admettre aux uns et aux autres. Aujourd’hui, tout le monde est pour ». Pour ce vieux loup de la politique qu’est Kader Arif, Méric dispose d’une qualité rare en politique : le courage. « Ce qu’il fait sur les collèges, alors qu’il n’y avait pas un grand enthousiasme, y compris dans nos rangs, il a toutes les raisons de ne pas le faire s’il n’est pas porteur de cet idéal républicain. » Le directeur de cabinet de Méric approuve : « Si on était sur de la tactique politicienne, on n’y serait pas allé. Le fait qu’il soit pétri de convictions intellectuelles, donne beaucoup de force pour faire face à des décisions contestées comme sur le collège Badiou. »
Georges Méric et Romain Cujives au meeting de Joël Aviragnet à Saint-Gaudens en mars 2018
Du côté de Pierre Cohen, on ne cache pas sa surprise : « Je m’attendais à un mandat de transition alors qu’il a créé une empreinte sur les valeurs, ce qui n’est pas simple, surtout dans la période actuelle. Il a incontestablement acquis une visibilité ». Au point de ne plus entendre parler de son prétendu manque de leadership ? S’il reste encore quelques dinosaures dans la maison, le Conseil départemental s’est considérablement rajeuni et féminisé depuis trois ans. Et l’on entend, ici ou là, que ce sont les quadras qui seraient, en réalité, aux manettes. Une hypothèse balayée d’un revers de main par l’ancien maire socialiste de Toulouse : « Il est tout à fait possible qu’il laisse la stratégie, qui ne me semble pas être sa tasse de thé, à Vincini, Daguerre ou Gibert. Mais on ne lui fait pas faire ce qu’il n’a pas envie de faire ». Suspecté, par certains, de lorgner sur le poste, Sébastien Vincini assure qu’il n’est pas « un président bis ». « C’est une réalité : on partage une même vision philosophique. Mais c’est lui qui a l’expérience et le recul des situations. Et c’est lui qui m’influence, notamment en m’incitant à lire L’art de la guerre, pour mieux appréhender la stratégie politique. » Pour Eric Daguerre, Méric est beaucoup plus « politique » qu’il n’y paraît. Sa différence ? Il assume ses choix : « Sur Badiou, il savait que ça pouvait partir de tous les côtés. D’ailleurs, il nous a demandé de nous préparer. Ce n’est pas un élu qui recherche le conflit, mais il sait que si ça part, il va falloir être là ». Comme par exemple lorsqu’il s’agit de défendre son institution face à la Métropole. « Seul le département peut faire de la solidarité territoriale. Les contrats de réciprocité ? C’est une aide dans les mots. Toulouse Métropole ne pourra jamais donner une salle des fêtes ici, une bibliothèque là. Je suis un gestionnaire politique favorable à ce que chaque bassin de vie ait son propre destin entre les mains. »
L’appétit vient en mangeant. Il y a des dossiers importants qui ne seront pas achevés à la fin de mon mandat, donc tout est ouvert.
L’homme n’est cependant pas sectaire à en croire Claude Raynal, vice-président de l’institution métropolitaine : « Il est attentif à ce que se dit et reconnaît chez l’autre sa part d’intelligence et de raisonnement juste. Quand il discute avec la Métropole, il est capable d’intégrer des choses sensées ». Une institution, le Conseil départemental, dont il s’attache à changer l’image un peu « bunkérisée ces dernières années ». « Les maisons des solidarités, le pivot de l’action sociale dans les quartiers et les cantons, avaient l’habitude de travailler sur eux-mêmes. Je leur ai demandé de coopérer avec les autres services, d’aller vers les autres. » Bref de moderniser leur fonctionnement. Pour le premier secrétaire du PS 31, comme pour l’ensemble des personnes interrogées dans cette enquête, Georges Méric a incontestablement pris la mesure de la fonction. Pour preuve sa gestion des requêtes des conseillers départementaux : « Au début du mandat, c’était le défilé permanent. Maintenant, ils sollicitent un rendez-vous avec le Président. On est passé de Jojo à Président Méric ». Quant à la « gestion » de ses anciens rivaux pour la présidence de l’institution, Jean-Jacques Mirassou et Jean-Michel Fabre, il semble avoir fait sien le bon vieil adage qui dit qu’il faut garder ses amis près de soi, et ses ennemis encore plus proches. Même si, selon Daguerre, « ce n’est pas le style de Méric de mettre Mirassou et Fabre sous surveillance. Mais c’est un vrai patron : quand il faut trancher, il tranche ». À l’heure de faire le bilan de son mimandat, rares sont ceux, y compris dans l’opposition, qui trouvent à redire. Se pose, dès lors, la question de savoir s’il se contentera d’un seul mandat comme il l’avait annoncé lors de son élection : « La vie politique, il faut la prendre comme elle vient. L’appétit vient en mangeant. Il y a des dossiers importants qui ne seront pas achevés à la fin de mon mandat, donc tout est ouvert ».
Mais quelle que soit sa décision, une chose est sûre, il a déjà réfléchi à l’empreinte qu’il veut laisser. Celle d’un président « qui s’est adapté à la modernité, qui a des valeurs et qui les a appliquées concrètement sur des dossiers qui n’étaient pas ficelés d’avance ». Et surtout pas celle d’un politique qui n’a fait que disserter. « Parce que je peux théoriser, mais je suis avant tout un pratico-pratique. »
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