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La Grande Motte : un idéal de mobilité

Le 14 juin dernier, c’est à La Grande Motte que le Conseil de l’ordre des architectes d’Occitanie a choisi d’organiser son traditionnel Rendez-vous de l’architecture. Sur les 400 professionnels présents, l’écrasante majorité s’est pliée à l’exercice de la visite guidée. À cela, rien d’étonnant : la station balnéaire emblématique de l’aménagement de la côte languedocienne par de Gaulle et Pompidou a toujours eu la cote chez les architectes. Ses immeubles pyramidaux autorisant à chaque balcon une place au soleil ; sa proportion un tiers béton / deux tiers végétal ; son dialogue permanent entre dieu soleil, sainte famille et trinité républicaine ; ses inévitables sous-entendus maçonniques ; ses modénatures, ses jeux d’ombre et de lumière… Tout concourt à faire de cette cité de 9 000 habitants l’hiver et 100 000 l’été, le totem des architectes et des urbanistes.

À Toulouse ou à Montpellier, je trouve hallucinant qu’on ne pense jamais au confort du piéton. 

Pour les autres, le coup de foudre fut immédiat en 1968, mais la suite fut moins passionnée. Devenue le symbole abhorré du tourisme de masse, du béton et de l’indifférenciation, La Grande Motte fut traitée par le mépris au cours des décennies 1990 et 2000.

Depuis quelques années pourtant, le goût du vintage et l’intérêt croissant de la population pour la question de la mobilité douce braque à nouveau les projecteurs sur La Grande Motte. Il faut reconnaître qu’en matière de déplacement, le parti pris de l’architecte-philosophe Jean Balladur, cousin d’Édouard et ancien disciple de Jean-Paul Sartre, était culotté. Essayez d’atteindre le front de mer en voiture comme à Nice, par exemple, et vous comprendrez pourquoi. Les voitures en sont bannies, contenues sur des parcs de stationnement situés à dix minutes à pied de la mer. Le trajet s’effectue le plus souvent à l’ombre, via des passerelles hérissées d’antennes d’escargot, à travers des jardins, des pinèdes, et dans une ambiance sonore affranchie des bruits de moteur. « Au début des années 1960, rappelle l’actuel directeur de la station Jérôme Arnaud, la voiture était un objet iconique chargé de valeurs positives. Facteur d’évasion, d’équilibre et d’équité sociale. Lorsque de Gaulle lui a confié le soin de créer La Grande Motte, Jean Balladur a décidé de prendre le contrepied de son époque. Et de laisser toute la place à la mobilité douce. »

Ce qui pousse Balladur à ce choix tranché n’a rien à voir avec les préoccupations de notre époque. La pollution, la congestion et le prix du pétrole n’étaient alors pas en question. La protection de l’environnement non plus, d’ailleurs, comme le rappelle Thomas Blancart, directeur associé de l’agence parisienne de valorisation architecturale et patrimoniale Temaprod : « La pensée de Jean Balladur n’est pas le fruit de considérations écologiques. Elle se focalise sur le cadre de vie et l’agrément. Quand il décide de consacrer 2/3 de la surface au végétal, ce n’est pas pour décarboner, mais pour que les estivants puissent marcher à l’ombre ! De plus, bâtir cette ville rêvée de la mobilité douce a nécessité la création d’un écosystème artificiel et donc un acte assez violent sur la nature ».

Et marche à l’ombre

Ce qui meut Jean Balladur quand il conçoit les plans de circulation de La Grande Motte n’est donc pas l’écologie mais son humanisme. La conviction, comme le synthétise Thomas Blancart, « qu’il ne s’agit pas de mettre l’Homme à sa place, mais de donner une place à l’Homme. » Tout en s’inscrivant dans la continuité des architectes qui ont pensé la modernité comme Le Corbusier, il s’en détache, conscient des limites de leur modèle. À l’époque, la politique des grands ensembles commence déjà à montrer ses faiblesses.


Cinquante ans plus tard, le résultat n’en est pas moins bluffant. À l’heure où tous les maires de France se demandent comment organiser les flux de circulation, le modèle de Balladur fait figure d’exemple. Évidemment, les 100 000 personnes qui transhument à La Grande Motte de leur appartement vers la plage n’ont pas les mêmes besoins en matière de mobilité que le million d’habitants de l’agglomération toulousaine qui vont travailler aux quatre coins de l’aire urbaine. Malgré tout, certains principes grand-mottois pourraient être appliqués dans les villes. « Pourquoi ne pas s’inspirer des passerelles qui permettent aux piétons d’enjamber les voies de circulation automobile ? Et penser aux frondaisons ! À Toulouse ou Montpellier, je trouve hallucinant qu’on ne pense jamais au confort du piéton. Toutes les déambulations y sont caniculaires. Chaque nouvel immeuble inauguré est accompagné de quatre pauvres arbres parce qu’il faut mettre des arbres pour faire bien. Mais rien de suffisant pour que le trajet à vélo ou à pied soit agréable. S’il ne fallait garder qu’une idée de Balladur pour améliorer les villes, ce serait celle-là : l’équilibre entre bâti et nature », suggère Jérôme Arnaud.


Reste que contrairement aux aménageurs d’aujourd’hui, Jean Balladur bénéficiait d’avantages non négligeables pour arriver à ses fins : « D’abord, il a une page blanche, un territoire vierge qu’il va pouvoir aménager comme il veut. Ensuite, il a les pleins pouvoirs. Il est architecte en chef, et quand quelque chose bloque, cela remonte directement à de Gaulle ou Pompidou. Enfin, il a l’assurance de la longévité. Pendant 30 ans, il reste à la tête de la mission, ce qui lui permet de livrer un plan urbain intelligent, compréhensible et cohérent », égrène Thomas Blancart.

Les maires et aménageurs d’aujourd’hui qui ne disposent ni de temps, ni d’espace, et encore moins du pouvoir absolu, apprécieront sans doute le message. 

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