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BOUDU

La violette, emblème obsolète ?

Les serres municipales, boulevard de la Marne à Toulouse. 7 200 m2 de bâtiments transparents qui fournissent la ville en plantes en tout genre. Parmi elles, la violette de Toulouse, petite plante herbacée aux fleurs en forme de cœur et à la couleur parme. À l’intérieur, une ribambelle de pots. « En février ou mars, tous ces pots fleurissent et tout est violet, c’est magnifique et ça sent bon ! », annonce Christelle Bringaud, responsable du site. Ces fleurs sont principalement cultivées pour la Fête de la violette, organisée par la municipalité chaque année en février. Près de 1 500 pots y sont alors distribués aux visiteurs. « Il y a une valeur patrimoniale derrière », assure Christelle Bringaud, heureuse de pouvoir embellir sa ville en prenant soin des serres et de ses habitantes. Mais cette valeur reste relative car sur les 300 000 plantes produites chaque année, seules 2 000 sont des violettes.


Il faut dire que la violette de Toulouse est une plante qui a besoin d’attention. Elle aime le soleil mais pas la chaleur, le froid mais pas le gel. « On ne laisse pas cette plante dans un coin. Il faut s’en occuper constamment », précise Christelle Bringaud. Dans les années 1950, 500 agriculteurs produisaient cette petite fleur au nord de Toulouse, principalement dans les communes de Lalande et Aucamville. « C’était fabuleux, se souvient Edmond Thomas, ancien producteur, il y avait des wagons entiers réservés aux violettes et l’odeur parfumait tout le quartier. » La culture se faisait dans des châssis vitrés en rotation au milieu des légumes car pour ces agriculteurs, la production de cette fleur était un complément. L’hiver 1954 porte un coup presque fatal à la violette. Une vague de froid ensevelit littéralement la Ville rose sous d’épaisses couches de neige. C’est le début du déclin. S’ajoute à cela le contexte d’après-guerre où remplir son assiette est plus important que décorer sa table. Les producteurs se consacrent alors aux productions rentables comme les légumineuses.


De nos jours, ce ne sont plus les maraîchers d’Aucamville qui se chargent de promouvoir la violette, mais une péniche amarrée au Canal du Midi depuis l’été 2000. Hélène Vié se tient à sa barre. Passionnée depuis toujours par la couleur, cette native de Carcassonne tombe amoureuse de la fleur toulousaine au début de sa vie d’adulte. « Je savais que j’allais faire ma vie avec la violette. » Elle achète alors une péniche qu’elle transforme en véritable temple violet. « C’était très important pour moi que Toulouse puisse avoir un lieu de référence. » Si elle déteste s’entendre dire que ce qui est devenu son gagne-pain (en plus) de sa passion est obsolète, elle admet néanmoins qu’« à l’époque, il y avait beaucoup de violettes mais peu de produits dérivés. Aujourd’hui, c’est l’inverse ». Même son de cloche, à un peu plus d’un kilomètre de là, chez La Marchande de violettes, où Katia Magron qui a repris la boutique de sa grand-mère, concède quelques doutes sur l’avenir de la violette : « Elle a quelque chose de nostalgique, il serait bon de la secouer. Je pense qu’il faut des cerveaux frais. » Historiquement, la violette fait partie du folklore toulousain. Un mythe veut qu’en 1850, un soldat de Napoléon III aurait ramené cette fleur de Parme à sa dulcinée toulousaine. Des décennies plus tard, le maire de la ville est intronisé par la Confrérie de la violette : au Capitole, il reçoit symboliquement un gilet violet. Les joueurs du Toulouse Football Club revêtent à domicile leur maillot violet. Passé ces deux éléments, difficile de trouver la violette dans le quotidien des Toulousains. Pas de boutonnière pour Claude Nougaro, pas de bouquets pour les jeunes mariés au Capitole. Une absence de pratiques culturelles que déplore Adrien Roucolle, membre actif de l’association La Violette dans son terroir. « Personne ne nous a proposé de relancer la violette au cours de mon mandat, se dédouane Pierre Cohen, maire de Toulouse de 2008 à 2014. De plus, il n’y a pas un symbole toulousain mais des symboles », ajoute-t-il. La région Occitanie, c’est le rugby, le cassoulet, le pastel et surtout l’aéronautique. « Dire que Toulouse est la Cité de la violette c’est bien, mais l’histoire de la violette n’est pas assez riche pour être porteuse de sens », souffle le prédécesseur de Jean-Luc Moudenc. Un désintérêt qui semble de façon irrémédiable se transmettre de mandat en mandat selon Edmond Thomas, fondateur de l’Exposition de la violette à Aucamville, qui souhaite en créer une permanente au cœur de la Ville rose. « Nous sommes déçus du peu d’engouement. Laissez un joyau comme ça sans le soutenir, c’est dommage. » Clément Riquet, le nouveau conseiller municipal délégué aux Jardins et espaces verts avoue ne pas s’être encore emparé du dossier. « Ce qui est fait à l’heure actuelle permet de maintenir ce symbole. On pourrait faire plus mais ce n’est pas la priorité pour le moment. »

Le salut par la feuille

Découvertes à la faveur de recherches scientifiques récentes, les vertus antioxydantes de la feuille de violette pourraient bien en relancer le commerce à court terme… à condition que la production reprenne dans la région toulousaine, où elle a quasiment disparu.

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©Rémi Benoit


L’âge d’or de la violette toulousaine est terminé depuis bien longtemps lorsqu’en 1985 un pôle scientifique est créé pour plancher sur son avenir. Adrien Roucolle, fils de producteur et l’un des créateurs du pôle, rappelle que l’objectif était avant tout de trouver « une nouvelle façon de cultiver la violette en boostant sa qualité ». C’est la naissance de la culture in vitro. Si ce projet connait un accueil favorable auprès des producteurs et de la trinité de la violette toulousaine (le parfumeur Berdoues, les bonbons Candyflore et la liqueur Serre), il n’est pas suffisant pour inverser la tendance. En 2016, tout change avec le lancement du projet Viola Tolosa fondé sur la thèse de la doctorante Justine Chervin. Il a pour but de mettre en place une nouvelle filière économique autour de la violette en misant sur le pouvoir antioxydant des feuilles de violette. Pendant quatre ans, la recherche s’organise autour de deux grands axes. Tout d’abord le classement des différentes espèces de violettes, pour « différencier chimiquement les parfums qui sont émis par toutes les variétés », détaille Thierry Talou ingénieur et codirecteur de la thèse, et pour « obtenir une carte d’identité des plants », ajoute Justine Chervin. Ensuite, l’étude des propriétés des feuilles de violettes. C’est à ce moment-là que les allers-retours de Justine Chervin commencent, du laboratoire de chimie agro-industrielle de l’INP-ENSIACET à ceux de pharmacologie et de recherche en sciences végétales de l’Université Paul-Sabatier.

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Dans les serres de la Maison de la Violette ©Rémi Benoit


La feuille de violette est scrutée dans ses moindres détails : « Nous avons effectué un travail pluridisciplinaire en fouillant la génétique, la chimie et la biologie de la plante », relate la doctorante. Si les fleurs ont été épargnées lors de la classification, les feuilles, elles, passent par l’extraction. Elles sont mélangées à une solution hydroalcoolique puis purifiées et réduites en extrait. C’est ce dernier qui intéresse les chercheurs et les industriels de la cosmétique car il s’avère riche en antioxydants. « L’étape suivante, c’est produire en plus grande quantité. Le problème est qu’ici, il n’y a pas beaucoup de producteurs », constate Thierry Talou. Si certaines entreprises comme Berdoues, partenaire du projet, s’y sont intéressées, la production à grande échelle semble difficile à envisager.

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