Photos : Orane Benoit
« J'habite Toulouse depuis le 21 septembre 2001. Jour fatidique de l’explosion d’AZF. Quand j’ai emménagé, tout était détruit sauf cet arbre magnifique au milieu de l’impasse. Avec son tronc clair et rugueux qui rappelle la peau d’un éléphant, il m’a tout de suite apporté un sentiment de sécurité.
Ce platane est pour moi plus qu’un arbre. C’est un membre de ma famille. Chaque matin, en ouvrant mes fenêtres, c’est lui que je vois en premier. Je l’ai appelé Symphonie. Son chant avec le vent d’autan me fait du bien, et je suis sûre qu’il doit en faire à d’autres.
Avec le Covid, ma relation avecSymphonie s’est renforcée. J’étais terrifiée par les scènes horribles diffusées à la télé, par tous ces décès. Ma tension artérielle était forte et mon cœur battait la chamade. Alors, le soir, je sortais pour faire des câlins à l’arbre. Il me rassurait. Je lui racontais tout ce qui me sortait par la tête, comme on se confie à un psy.
Je suis matinale, surtout au printemps. Dès 6 heures, je m’installe sur ma terrasse pour écouter les oiseaux. Cela me rappelle la maison de mes parents, entourée d’arbres, où mon père imitait leur chant. Un matin alors que je traînais sur ma terrasse, un homme a déboulé dans l’impasse, une bombe de peinture à la main. Il s’est mis à taguer l’arbre d’une croix. Il m’a bouleversée. J’ai commencé à pleurer parce que j’ai senti que c’était quelque chose de mauvais. Il m’a annoncé que l’arbre serait bientôt coupé. J’étais affolée. Hors de question. Sans lui, l’impasse n’est que bitume.
Sans lui, l’impasse n’est que bitume.
Je suis maman de cinq enfants, dont deux filles en situation de handicap à 80 %. Quand mes enfants étaient petits, ils y installaient une petite couverture pour pique-niquer. Ils aiment passer du temps sous cet arbre. L’été, les enfants jouent autour, le chat grimpe dans ses branches, les oiseaux, les huppes et les chauves-souris y trouvent refuge. C’est tout un écosystème, une vie. C’est beau. Mais les gens ne les regardent plus assez. Ils devraient un peu observer ce que Dieu nous a donné.
J’ai commencé à frapper aux portes de l’impasse pour en parler avec mes voisins, mais certains, sans même consulter tout le monde, avaient décidé avec le syndic de l’abattre. Les feuilles tombées gênaient, jugées trop sales.
Personne n’est venu nous voir. C’est ça qui m’a fait le plus de mal. On est des voisins, on est des êtres humains. Je leur ai proposé des solutions, de balayer les feuilles, de mettre des fleurs, mais personne n’écoutait… C’est chacun chez soi.
Alors j’ai contacté des associations, Vincent, un écureuil, s’est même installé plusieurs heures dans l’arbre avec une banderole, j’ai même lancé une pétition. J’ai écrit ce que j’avais sur le cœur, et à ma grande surprise, j’ai obtenu 18 000 signatures. Cet élan de solidarité m’a profondément émue. Des gens que je ne connaissais pas sont venus frapper à ma porte pour me remercier. Aujourd’hui, le projet d’abattage semble en pause, mais je reste vigilante. Si l’arbre part, je pars ».