Il y a un an, Chamonix fêtait en grande pompe l’inscription de l’alpinisme au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco. Une distinction obtenue de haute lutte, qui pourrait donner des idées aux artisans de son rival méconnu : le pyrénéisme.
Les grands desseins naissent parfois de petites fêtes. C’est le cas de l’inscription de l’alpinisme au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco. L’idée est montée en 2009 dans des vapeurs de vin blanc, après la cérémonie des Piolets d’or, le grand rendez-vous annuel des montagnards : « On se réjouissait de prendre en considération, pour ces prix, des critères culturels et humains autant que sportifs, se souvient Claude Gardien, guide de haute montagne, ancien rédacteur en chef de la revue Vertical, et membre du comité de pilotage du projet alpinisme-Unesco. Comme on discutait du moyen d’assurer la permanence des valeurs de l’alpinisme on s’est mis au défi de le faire classer à l’Unesco. On s’est procurés un dossier, on a étudié les critères… et finalement l’alpinisme cochait toutes les cases ! » Dix ans après ce « pari festif », l’alpinisme est gravé dans le marbre et reconnu par 178 pays comme « l’art de gravir des sommets et des parois en haute montagne, en toutes saisons, en terrain rocheux ou glaciaire. » Et que ceux qui n’y voient qu’un symbole se détrompent : « Au-delà du patrimonial et du culturel, cette inscription contribue à assurer aux alpinistes un libre accès à la montagne, droit que certains voudraient voir limité. Elle nous donne aussi une légitimité pour lutter contre la judiciarisation qui menace la pratique. D’une certaine manière, c’est un lobby », résume Claude Gardien. Loin de Chamonix et de ces considérations, les Pyrénées ont accueilli la nouvelle du classement de l’alpinisme avec indifférence. Habitués à vivre dans l’ombre de leurs pendants alpins, les Pyrénéens n’ont pas songé à porter la candidature du pyrénéisme. Pourtant, le pyrénéisme n’est pas une chimère. Il a des pères, tous nés au XIXe siècle : le poète alsacien Louis Ramond de Carbonières, l’explorateur franco-britannique Henri Russel, le géologue nantais Maurice Gourdon, le géographe et artiste peintre bordelais Franz Schrader… Et il a une définition, offerte par un autre de ses pères, l’écrivain et fonctionnaire parisien Henri Béraldi : « L’idéal du pyrénéiste est de savoir à la fois ascensionner, écrire et sentir. S’il écrit sans monter, il ne peut rien. S’il monte sans écrire, il ne laisse rien. Si, montant, il relate sec, il ne laisse rien qu’un document » écrit-il dans son œuvre en sept tomes Cent ans aux Pyrénées. Le pyrénéisme n’est donc ni un sport ni une pratique mais un idéal qu’on poursuit à la force des mollets pour des motifs intellectuels, artistiques, scientifiques et humanistes. Un état d’esprit qui s’explique par le contexte historique qui accompagne son apparition et sa maturation : « Le pyrénéisme est né à la fin du XVIIIe siècle. Une époque où l’on publie un récit de voyage dès que l’on sort de chez soi ! Et à mesure que passent les modes, on vient chercher dans les Pyrénées des choses différentes. Fin XVIIIe, c’est la minéralogie, la géologie, la botanique, puis au XIXe vient l’époque romantique et les écrivains, et au XXe les sportifs » éclaire Anne Lasserre-Vergne, docteur ès Lettres, descendante du pyrénéiste Ludovic Gaurier, et auteure de thèses et d’ouvrages sur les Pyrénées. De quoi tempérer les ardeurs de certains esprits chagrins qui considèrent que si les pyrénéistes se préoccupent d’autre chose que d’exploit sportif, c’est que leurs parois sont moins hautes et leur niveau technique moins élevé. S’il s’est accoutumé des modes, le pyrénéisme a gardé le récit en guise de « clef de voûte », ce qui selon le Palois Xavier Arnauld de Sartre, directeur de recherche CNRS en géographie, en fait un phénomène très particulier. Tout en reconnaissant ce mariage « entre le verbe et piolet », il y ajoute un troisième aspect moins séduisant, une forme d’entre-soi apparue dans les années 1970 : « Le pyrénéisme a présenté une nouvelle dimension plus identitaire et excluante. C’était le temps des cercles fermés et du Groupe Pyrénéen de Haute Montagne. Or, ce qui fait la richesse du pyrénéisme et sa différence d’avec l’alpinisme, c’est justement le partage avec d’autres personnes. Cette idée de partage me semble avoir cours à nouveau aujourd’hui ».
Cime luchonnaise à la fin du XIXe siècle. Photo Maurice Gourdon. Bibliothèque municipale de Toulouse. Domaine public.
L’himalayiste et réalisateur Jean-Michel Jorda confirme ce retour en grâce du partage. Ce documentariste a filmé les montagnes du monde entier et réalisé l’an dernier, avec son fils Maxime, un documentaire sur le pyrénéisme : « On me dit himalayiste, alpiniste, suis-je pour autant pyrénéiste pour la seule raison que j’ai gravi quelques sommets pyrénéens ? Il est à peu près certain que non. Peut-être que les images hivernales que nous avons ramenées avec mon fils et l’histoire que nous avons racontée, ont permis aux Pyrénéens de découvrir leurs montagnes autrement. Si tel était le cas, nous avons tiré notre inspiration des écrits des pyrénéistes. »
Cette belle idée qu’est le pyrénéisme a donc tout autant que l’alpinisme le droit d’obtenir les grâces de l’Unesco. Reste à trouver l’énergie pour instruire le dossier. Peut-être Manel Rocher Gonzalez, directeur du PyrenMuseu du Val D’Aran, et Claude Molinier, guide de montagne sont-ils les hommes de la situation. En 2018, au cours d’un colloque à Pau, ils ont pour la première fois envisagé la démarche : « Nous sommes tous deux effrayés par l’uniformisation de la langue et des pratiques de montagne. L’alpinisme a littéralement écrasé le pyrénéisme. Ce dernier charrie pourtant de grandes disciplines qu’il est rare de trouver mêlées : science, philosophie, recherche, art, exploration, littérature, culture, aventure, sport… C’est pratiquement un courant civilisateur », s’enthousiasme Claude Molinier. Sur le moment, la proposition a soulevé l’enthousiasme de l’auditoire palois, mais depuis le soufflé est retombé. Claude Molinier veut pourtant y croire : « Le pyrénéisme à l’Unesco, c’est pour nous tout à fait faisable. Il faut désormais monter une équipe avec un panel de personnalités et de compétences différentes ». L’idée, en tout cas, séduit jusqu’au président du Conseil départemental de Haute-Garonne Georges Méric, qui estime « que ce serait très porteur dans un monde où les gens cherchent proximité et authenticité » et la présidente du Conseil régional d’Occitanie Carole Delga « ce serait un formidable levier pour assurer la promotion des Pyrénées, la préservation et la transmission auprès des générations futures. J’appelle bien sûr à une mobilisation collective derrière cette démarche. » Comme on dit au pied du Canigou : Endavant !
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