Une vie dédiée au football. Du pré où jouait son père, à Abzac en Charente, jusqu’au banc de touche ruthénois. Laurent Peyrelade est un enfant du ballon : « Tous les dimanches, j’accompagnais mes parents au match. Tu joues avec les autres au bord du terrain senior. Et puis, c’est parti », se remémore le facétieux personnage de 49 ans.
Pour lui, le football est un jeu. Les succès, l’accomplissement d’un travail collectif. La recherche d’émotions partagées, son leitmotiv. Fasciné par l’élégant Johan Cruyff, la légende néerlandaise, Laurent Peyrelade a admiré de ses yeux bleus la solidité défensive et la folie offensive du Milan AC des années 1980-1990.
Il débute sa carrière de joueur, chez les grands, à la même époque. Brive, Pau, Nantes, Le Mans, Sedan, l’attaquant devient même champion de France de Ligue 2 avec Lille en 2000. Sous les ordres du mythique Vahid Halilhodžić. « Quand on devient coach, on est forcément marqué par les éducateurs ou entraineurs qu’on a eus. Roland Courbis disait : “ L’entraîneur, c’est le plus grand des voleurs” ».
Laurent Peyrelade devient coach adjoint au Mans en 2009. Il quitte le club quatre ans plus tard, les valises garnies de désillusions. « Tout le monde n’était pas sur la même longueur d’ondes, ne portait pas forcément d’intérêt pour le collectif », regrette ce chantre de l’effort collectif.
Depuis 2015, il dirige l’équipe première de Rodez. Sa femme, employée dans une crèche hospitalière, et sa fille, lycéenne, vivent dans la Sarthe. Son fils, Alexis, évolue sous son aile à Rodez. Pour sortir du football, l’athlétique bonhomme dévore des livres, explore la nature aveyronnaise, entretient son physique par le body balance et le yoga.
S’il n’avait pas été footballeur, Laurent Peyrelade aurait quand même côtoyé le sport professionnel. « Ça m’aurait botté de travailler avec les sportifs de haut-niveau au sein d’un Conseil régional. Peut-être un jour. » Découvrir le monde, aussi. Tel un oiseau des îles : « Je projette d’aller à Bali l’an prochain et sur l’île Maurice l’année d’après. Et j’aimerais avoir une maison en Corse et une sur l’île de Ré ».
Séduit par « la nature humaine », Laurent Peyrelade est une « force tranquille » selon Thomas Fretté, préparateur physique du RAF. « J’ai dû le voir s’énerver trois fois depuis que je le connais. Son seul gros défaut : les horaires. Quand on programme un départ à 8 heures, on ne part pas avant 8h30… » Le meilleur entraineur de la saison 2018-2019 de National assure qu’il corrige cette imperfection. Pour ne pas arriver en retard sur les terrains de Ligue 2.
Valentin Scholz : Vous sortez d’une saison incroyable. Vous avez eu le temps de la fêter avant la reprise ?
Laurent Peyrelade : Je suis juste content qu’on découvre la Ligue 2 ensemble. Et que ce groupe, dont certains joueurs sont avec moi depuis quatre ans, continue à progresser et avancer. Je ne vais pas pour autant faire un salto arrière et faire la fête pendant trois jours. Mais au moins, ça restera : t’es champion ! T’es pas deuxième, troisième ou quatrième, t’es champion ! Il y a une ligne. Ton nom reste, ton équipe reste, ton groupe reste.
La saison vient de commencer. Votre équipe peut-elle durer en Ligue 2 ?
La plupart des joueurs de l’équipe n’a jamais joué à ce niveau. Moi, je n’y ai jamais entraîné. Il y a donc une marche à franchir. Technique, athlétique. Notre cohésion et nos valeurs collectives doivent compenser notre manque d’expérience à ce niveau.
On parle beaucoup des “valeurs ruthénoises”. De quoi s’agit-il exactement ?
Ici, tu es obligé d’avoir une mentalité de travail au-dessus de la norme. On est une équipe de coureurs et on le restera. On n’a pas la qualité et la maîtrise techniques de beaucoup de joueurs de Ligue 2. Donc il faut qu’on soit plus performants dans d’autres domaines. Notre économie et notre philosophie font que le travail doit combler notre inexpérience. Ici, c’est pas une grande agglomération. Tu as intérêt à aimer la nature si tu veux bien passer l’hiver. Ni strass ni paillettes. Personne qui se prend pour ce qu’il n’est pas. Les pieds bien ancrés dans le sol, et concentré sur tes progrès.
Comment attire-t-on des joueurs avec un tel tableau ?
Par notre vision du foot. Par le fait qu’on est prêt à donner du temps de jeu aux jeunes. Par une idée de travail. Par le bouche-à-oreille. On travaille de cette façon et on a des résultats. En fait, on choisit. On ne prend pas ce qu’il reste, on essaie de trouver les bonnes personnes qui puissent s’inscrire dans notre projet et dans ce qu’on cherche en termes de personnalité, d’intelligence, de dynamisme.
C’est quoi un joueur « intelligent » ?
Un joueur qui progresse, qui avance, qui est capable de mettre ses états d’âme de côté. Un joueur qui va faire une erreur et en tirer bénéfice. Quand on est avec des gens intelligents, on peut discuter, manager, et c’est ce que je cherche. Des gens avec qui on peut partager des choses, et pas seulement du football. Et je crois qu’on y revient, dans le football, à ces valeurs collectives. À Reims, Nîmes ou Liverpool. Putain ! Tu vois qu’il se passe un truc entre les joueurs. Ça se sent !
On a pourtant l’impression que vous parlez d’un football d’une autre époque…
Non, on revient à ces choses-là. On est un petit club dans une petite agglomération. Si tu cherches beaucoup de lumière et d’argent, ce n’est pas ici qu’il faut venir les chercher. Par contre, si tu cherches à passer de bons moments, à vivre une aventure, à partager des choses avec des gens, c’est ici que cela se passe. C’est pour ça que le choix des personnes est important. Je ne veux pas m’emmerder avec les états d’âme des uns et des autres. Les footballeurs font un magnifique métier, ils sont payés pour ça. C’est le plus beau métier du monde. Va à l’usine et tu comprendras ce que je veux dire !
Qu’est-ce qui diffère, à Rodez, des autres clubs que vous avez connus ?
Il y a des gens qui se débrouillent pour faire de belles choses avec peu de moyens. On n’est pas nombreux, donc l’information circule vite. Les décisions sont prises plus facilement. Ça parle vrai. On peut avoir des désaccords, mais au moins on se dit les choses et après on avance. Chacun fait bien ce qu’il a à faire, à sa place. Chacun y met son énergie et fait ses 70 heures de travail par semaine. Certains parce qu’ils aiment leur métier, d’autres leur club, d’autres leur région. Il y de la compétence et beaucoup de bienveillance. Parfois même de l’amour.
Même chose pour le boulot d’entraîneur ?
Je suis bien payé pour faire ce que j’aime. C’est fantastique ! Et en plus, quand tu as des résultats… C’est le deuxième plus beau métier du monde après joueur de football. Bon, il faut se l’avouer aussi, on ne mangera pas de l’or tout le temps. Tous les métiers sont faits de bonheurs partagés et d’échecs solitaires. De remises en question régulières. Mais la personne que je suis à l’heure actuelle est la même qu’il y a quatre ans, quand ça ne marchait pas. Elle sera la même l’an prochain et dans cinq ans. Elle ne peut que se bonifier avec les cheveux blancs. L’entraineur, lui, est différent car plus il avance dans le métier et plus il progresse.
Pensez-vous que vos bons résultats sont de nature à attirer du public des régions voisines à Rodez ?
Il ne faut pas se leurrer : les Toulousains ne vont pas aller à Rodez pour voir un match de Ligue 2. On est une région enclavée, mais nous en sommes très fiers. La fibre départementale est très forte. Donc il faut qu’on soit capable de l’incarner pour que les gens viennent nous voir. On doit leur ressembler. Et il faut une enceinte qui leur donne envie de venir.
Vous jouez vos cinq premiers matchs de la saison à domicile au Stadium de Toulouse en attendant la fin des travaux à Rodez. C’est un handicap ?
Mais c’est bien ! On s’en fout ! C’est mieux que de ne pas avoir de stade. Si nos élus et nos dirigeants ne s’étaient pas mis en quatre, on jouerait en CFA 2. Il faut faire des choses qui restent et qui sont utiles. Dans cinq ans, on ne sera certainement plus là, mais le stade sera là. Il y a une autre démarche qui est celle d’être une image de marque. On est en Ligue 2. Tous les week-ends, tu vas parler de Rodez, de la région. Tu vas voir ton maillot à la téloche. Tu vas accueillir les médias parisiens. Coup de projecteur, d’un seul coup. Enfin, le club va vendre des gros matchs. À part Chambly et nous, toutes les autres équipes ont joué en Ligue 1.
Vous vous voyez rester 10, peut-être 15 ou 20 ans à Rodez ?
Non, ce n’est pas possible. Ça n’existe pas. À la fois parce que Rodez aura besoin de changer d’entraineur et parce que l’entraineur aura besoin de changer d’endroit. C’est fini, le temps où les entraineurs passaient plus de dix ans dans un club. Déjà, quand tu finis un cycle de six ans, tu es un extraterrestre ! Deux paramètres sont importants : savoir avec qui on partage les moments et avoir le sentiment qu’on avance et qu’on progresse. Tant que j’ai le sentiment qu’avec le club on construit, on produit des choses, il n’y a pas de raisons de partir. Bon, si on me paie quatre fois plus, peut-être que j’irai voir ailleurs. Mais il y a des choses qui sont très importantes à mes yeux. La liberté de travailler, la liberté de parole, ça n’a pas de prix. Surtout dans le foot. Ce n’est pas qu’une question de salaire.
S’il y a une philosophie que vous souhaiteriez faire passer à votre équipe, votre club et votre région, quelle serait-elle ?
« On est vous, vous êtes nous. »
Et que peut-on vous souhaiter pour cette saison ?
Du bonheur partagé.
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