Les truffes sont entassées sur de longues tables dressées dans la rue principale de Lalbenque, la capitale de la truffe noire du Quercy. Tandis que la foule piétine en attendant l’ouverture officielle de ce marché lotois de l’or noir, Louis Aliot cherche des yeux les objectifs et les caméras. En ce 1er décembre 2015, l’éminence grise et compagnon de Marine Le Pen est en campagne pour les élections régionales. Une course que la tête de liste du Front National en Midi-Pyrénées/Languedoc-Roussillon
ne remportera pas. Quelques jours plus tard, il apparaîtra la mine défaite au QG du FN de la place Occitane à Toulouse, pour commenter les résultats. Arrivé deuxième derrière la liste de Carole Delga, le cadre frontiste a manqué de peu le siège de président de région. Pour l’heure, celui qui plante son nez dans un champignon pour la photo y croit encore et cultive son image d’homme du terroir. Fort de sa carrure de rugbyman et de son accent du Sud-Ouest, Louis Aliot veut rappeler qu’il est un enfant du pays. Né à Toulouse en 1969, le quadragénaire a grandi dans la haute vallée d’Ax-les-Thermes. Son père, « Ariégeois pure souche » précise le cadre du FN, est plâtrier et issu d’une famille de paysans. Sa mère, pied-noir d’origine juive et espagnole, occupe le poste de surveillante générale du petit collège de la station thermale. Assis à la table d’un restaurant de Lalbenque, où il vient d’achever une conférence de presse, Louis Aliot déroule cette vie « normale » d’un ton affable. Sa figure ronde s’anime de temps à autre d’un sourire convenu tandis qu’il se raconte du bout des lèvres. Impassible ou timide ? Louis Aliot est avant tout un candidat et l’évocation de son enfance lui permet aussitôt de rebondir sur la désindustrialisation et la disparition des services publics, ses thèmes de campagne favoris : « En Ariège, j’ai vu les usines et les services publics mettre la clef sous la porte les uns après les autres. » Dans ses montagnes ariégeoises enneigées qu’il a quittées depuis bien longtemps, Louis Aliot est une célébrité, pour le meilleur et le pire. « Je n’ai pas envie de parler de cet individu. Il me répugne », lâche une de ses anciennes institutrices qui se souvient d’un « élève moyen » avant de s’empresser de raccrocher son téléphone. François, ancien camarade de collège, en dresse quant à lui un portrait flatteur :
« J’ai le souvenir d’un bon compagnon. Un jeune carré et droit à fond dans le sport ».
Politique et polochon Les mentions de sa formation en ski-études puis en tennis-études figurent en effet en bonne place sur sa page Wikipédia. « Il était plus sportif que scolaire, mais il a eu tous ses diplômes avant de donner un sérieux coup de collier à la fac » explique sa mère, Thérèse Aliot, plantée dans le salon de sa maison coincée entre deux pavillons et accolée à la voie ferrée qui traverse Ax-les-Thermes. La pièce est truffée de photos de Louis Aliot vers lesquelles la petite femme énergique de 78 ans jette de temps en temps des regards attendris. Elle déballe l’enfance de son fils, une jeunesse tranquille, passée entre la piscine et le court de tennis : « Son idole c’était Yannick Noah et il a fait plusieurs stages de tennis avec lui », s’enorgueillit-elle. Mais Louis Aliot abandonne vite l’idée de jouer au tennis à haut-niveau car faire carrière est incompatible avec ses études au lycée. Reste donc le rugby au club de Tarascon-sur-Ariège, où il occupe le poste de troisième ligne. Thérèse Aliot assiste rarement aux matchs : « C’était des concerts de bruits d’os. J’avais peur. Je me disais qu’ils allaient me le tuer », souffle-t-elle dans un frisson. « Il était un peu fainéant sur le terrain, le rugby ça lui a appris à s’accrocher », raconte Joseph Melesi, dit « Jojo », qui a joué à ses côtés. Les deux compères ont également suivi leur scolarité ensemble, de l’école maternelle d’Ax-les-Thermes au lycée de Foix : « On était pas des tronches, et on faisait beaucoup de conneries », s’esclaffe-t-il avant d’énumérer, comme si c’était hier, les frasques du jeune Louis Aliot : les batailles de polochons qui lui auraient valu d’être exclu de l’internat du lycée, les œufs jetés aux passants sur le bord des routes pendant les déplacements de l’équipe de rugby, la vaisselle lancée par la fenêtre de la maison familiale « parce qu’il avait la flemme de la laver », s’amuse son ami d’enfance à l’air débonnaire avant de poursuivre : « Aujourd’hui ça me fait rire de voir son visage sur les panneaux électoraux. À l’époque personne ne pensait qu’il ferait une carrière politique. Pendant les manifs contre la loi Devaquet en 1986, on était davantage du genre à aller au café qu’à descendre dans la rue ». Un autre camarade de classe se remémore, sous couvert d’anonymat, un « élève pas particulièrement brillant ni politisé ». Les opinions politiques et l’ascension fulgurante de celui qu’il décrit comme un « grand gaillard, un peu bourru mais fidèle en amitié » l’étonnent encore.
La mère-patrie Pourtant à cette époque, Louis Aliot porte déjà en lui les germes de son engagement. Il est avant tout le fils de sa mère, « rapatriée » à Marseille après l’indépendance de l’Algérie en 1962, « à l’âge de 25 ans et 11 jours, très précisément ». Son fils cadet baignera dans la nostalgie de cette Algérie française qu’il n’a pas connue. « Quand ma famille nous rendait visite, on parlait longuement de l’Algérie. Alors que son frère aîné allait jouer, Louis, lui, écoutait attentivement ces histoires. Il a peut-être pris de ce côté-là », indique la septuagénaire qui laisse couler des larmes en évoquant son quartier algérois de Bab-el-Oued. « Le seul homme politique qui a eu du courage pendant la guerre d’Algérie, c’était Le Pen », poursuit-elle. La pied-noir est une fervente admiratrice de l’ancien député poujadiste au bandeau noir, et une électrice de la première heure du Front National. Sur le fondateur du FN, mère et fils sont d’accord : « Jean-Marie Le Pen est le seul à avoir défendu l’Algérie française pendant la guerre », approuve Louis Aliot avant de certifier qu’il « n’aurait jamais fait de politique si le FN n’avait pas existé ». En 1988, il se rend en compagnie de sa mère au meeting du président du FN organisé à Lavelanet. Ils sont accueillis sous les huées, par des personnes bien décidées à perturber le discours du dirigeant du parti d’extrême-droite. « On nous a craché dessus. Louis a été choqué. C’est ce qui a déclenché son adhésion au parti », analyse Thérèse Aliot. Pour le principal intéressé, c’est l’affaire de la profanation du cimetière juif de Carpentras en 1990, dans laquelle le FN a été montré du doigt, qui est l’élément déclencheur de son engagement. Quoiqu’il en soit, à tout juste 20 ans, Louis Aliot ne fait pas mystère de ses idées frontistes. « Il essayait à l’époque de me convaincre que Le Pen n’était pas raciste ! Il m’a même invité une fois à le rencontrer. » Gilles Alazet a entraîné Louis Aliot au rugby à Tarascon-sur-Ariège pendant des années alors qu’il évoluait en senior. Socialiste notoire, l’ancien agent hospitalier ariégeois a souvent débattu avec le futur cadre du FN au cours des déplacements de l’équipe : « Notre seul point commun, c’était notre haine du général de Gaulle ».
Chez Tonton « Il est guidé par l’antigaullisme », confirme Pierre Esplugas-Labatut. Le professeur de droit public et conseiller municipal toulousain a fait partie du jury de la thèse que Louis Aliot a soutenu en 2002. Au cours de cette recherche, que le cadre frontiste annonce fièrement avoir bouclé « en quatre ans seulement », Louis Aliot s’est attaché à déconstruire le mythe démocratique de l’élection du président de la République au suffrage universel instaurée par de Gaulle. « Si cette thèse se voulait juridique et
scientifique, on sentait poindre derrière des écrits antigaullistes une critique de la réforme de 1962. Mais il ne faisait pas de prosélytisme », explique l’actuel porte-parole des Républicains 31 qui a également croisé le militant d’extrême droite sur les plateaux télé dans le cadre des émissions politiques qu’il animait alors sur TLT. « Il a été précurseur de la dédiabolisation du FN. C’était un “bon client” qui maîtrisait l’outil audiovisuel. Ce n’était pas le “facho de base”. » C’est à Toulouse que Louis Aliot a travaillé cette image. Son bac en poche, le jeune ariégeois s’inscrit en droit, à la fac de l’Arsenal. « Depuis le collège, je voulais être prof de droit. » Son arrivée dans la ville rose à la fin des années 1980 est synonyme d’une certaine « époque d’insouciance ». Comme beaucoup d’étudiants il boit des pastis au mètre Chez Tonton et fréquente Le Peyrou, QG des étudiants de droite. Puis il devient chargé de TD et s’installe avec femme et enfants à Francon, une commune haut-garonnaise de 200 habitants sur la route de son Ariège natale. Il étudie et travaille jusqu’en 2005 à la fac de l’Arsenal où il ne semble pas avoir laissé un souvenir marquant. Des personnalités toulousaines comme Sacha Briand ou Ivo Danaf, qui ont fréquenté les mêmes couloirs et amphithéâtres à l’époque, disent ne pas se rappeler de lui. Jean-Michel Lattes, adjoint au maire de Toulouse en charge des transports, qui l’a croisé plusieurs fois dans la salle des profs, parle d’un jeune homme « discret et poli, avec une certaine forme de timidité, qui n’a jamais été prosélyte ». « Il n’avait pas d’activité politique à la fac », renchérit Pierre-Marie Bonneau, ancien membre de la section locale du GUD qui ne se souvient pas avoir vu Aliot dans l’organisation étudiante d’extrême droite. L’avocat toulousain se remémore également avec difficulté le syndicat Renouveau Étudiant, bras universitaire du FN dont le vice-président affirme avoir créé une antenne à Toulouse. Claire Conte, professeure à l’IEP de Toulouse, a une version plus nuancée : « On flirtait avec le GUD même si pour nous c’était des primates. » Pour l’enseignante, passée un temps par l’Action française, l’homme était proche, à l’instar d’autres étudiants et professeurs toulousains de la droite « non conformiste », de groupes de réflexion comme le GRECE (le Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne) ou le cercle de Saint-Exupéry. « On organisait régulièrement des conférences. Le syndicat Renouveau Étudiant n’avait qu’une existence formelle pour faire des demandes de réservations de salle. Il y avait alors une véritable effervescence intellectuelle », s’extasie encore aujourd’hui l’enseignante en se remémorant, par exemple, avoir forcé un barrage
d’étudiants grévistes en compagnie de Louis Aliot, et avoir interrompu certains cours donnés en amphi pour en dénoncer « les références néo-marxistes ».
Chez Le Pen C’est au cours de ses années fac à Toulouse que Louis Aliot gravit les échelons au Front National. Il est d’abord remarqué en 1991 à l’université d’été du FNJ dont il sort « major ». Dès 1992, il se présente aux cantonales en Ariège, sous l’étiquette FN. En 1998, le doctorant de 27 ans est élu au conseil régional de Midi-Pyrénées où il siègera 12 ans. Il y est aussi transparent qu’à l’université « Il était tout nouveau dans le Landernau, et je n’en ai pas de souvenir particulier à cette époque-là », confie l’avocat toulousain Serge Didier, ancien conseiller régional baudisien. À cette époque, Louis Aliot a un pied à Toulouse et un autre à Saint-Cloud, au siège historique du FN. Profitant de la scission mégrétiste de 1998, le jeune homme entre dans les arcanes nationaux du parti d’extrême-droite. Après avoir porté le combat de sa mère, Louis Aliot va soutenir contre vents et marées Jean-Marie Le Pen qu’il appelle aujourd’hui « le père Le Pen ». Dès 1999, il entre au service direct du dirigeant du FN comme directeur de cabinet. « À partir de ce moment-là, j’ai été pris dans un Maelström », sourit Louis Aliot. Ce tourbillon le portera au cœur du dispositif de la campagne présidentielle de 2002. Il fait également le ménage dans les rangs du parti d’extrême-droite en éloignant les personnalités les plus radicales afin de rendre le parti respectable. « Il a gagné le surnom de “Loulou la purge” parce qu’il a su remercier des personnes qui n’avaient rien à faire là », remarque Julien Léonardelli. Le jeune secrétaire départemental qui a remplacé Serge Laroze à la tête du
FN31 est un « bébé-Aliot » qui reconnaît s’identifier à ce « père spirituel » qui œuvre pour la normalisation du Front National. Ce processus de dédiabolisation va l’amener à se rapprocher d’une autre figure montante de la famille Le Pen : Marine. À ses côtés, il s’attèle à maquiller l’image du parti extrémiste. Sa relation avec la fille cadette du président du Front National, dont il est l’assistant au parlement européen, est officialisée en 2009 alors que tous deux sont fraîchement divorcés. Louis Aliot poursuit son ascension et devient vice-président du Front National. Il assiste Marine Le Pen comme directeur de campagne pour l’élection présidentielle de 2012. Il ne délaisse pas pour autant le Sud-Ouest où il affirme vivre la « moitié de la semaine » en raison de ses différents mandats. Envoyé par le parti dans les Pyrénées-Orientales, un « bastion du FN » contrairement à l’Ariège et la Haute-Garonne qu’il définit comme des « terres de mission », il déménage à Perpignan en 2007 où il est élu conseiller municipal puis conseiller régional. Aujourd’hui au cœur de la prochaine campagne présidentielle de sa compagne, Louis Aliot a annoncé vouloir arrêter la politique si Marine Le Pen remportait un jour les élections. « Certains politiques ne décrochent pas, moi j’ai envie de me poser et d’écrire. »