Elle ne peut s’empêcher de jouer avec ses mèches, comme pour savourer une vieille sensation retrouvée. Pendant des mois, Marine de Nicola a fièrement affiché son crâne rasé. Même lorsque les traitements n’empêchaient plus ses cheveux de pousser. Un crâne aux traits fins soulignés par d’épais sourcils et de larges boucles d’oreilles dorées. Un crâne glabre et brut porté comme un étendard. Elles sont bien loin les boucles châtain qui affolaient la Chine et ont contribué, il y a quatre ans, à faire de Marine de Nicola la nouvelle coqueluche des Chinois. À l’époque, tout est allé très vite. Étudiante au Mirail, elle est repérée à Pékin par un producteur alors qu’elle participe à un concours international de culture chinoise. Sa chevelure ondulée, ses jambes effilées et son mandarin parfaitement maîtrisé tapent dans l’œil de Monsieur Liu, grande figure du show-business local, qui voit en elle l’occasion d’ajouter une pouliche à son écurie de beautés exotiques.
En quelques semaines, à 22 ans, elle devient une curiosité que se disputent toutes les chaînes de télé. Elle termine peu après – moyennant quelques billets – finaliste du plus célèbre télé-crochet chinois. En costume traditionnel ou tenue sexy, entonnant un opéra ancestral ou une bluette banale, la belle MoMo est adulée par 90 millions de téléspectateurs scotchés à leur écran.
Menée d’une main de fer par Monsieur Liu, elle enchaîne les concerts dans des enceintes à faire passer le Stade de France pour une salle des fêtes. Ses soirées sont noyées dans le champagne, les paillettes et les conquêtes. « C’était le conte à la Walt Disney dont j’avais toujours rêvé. » Comme dans tout conte, le mal se tient en embuscade. Deux ans plus tard, elle découvre qu’une tumeur de 15 cm sur 10 s’épanouit entre ses deux poumons. « Ça a été le déclic. Quand tu es face à la mort, tout devient clair. Tu prends conscience de ce qui est essentiel et de ce qui ne l’est pas. Et là, je me foutais pas mal de tout perdre du jour au lendemain. Ça a même été un soulagement. Le confort matériel qui me retenait ne me rendait pas heureuse. Qu’est-ce que j’allais emporter dans la tombe ? De l’argent ? Une reconnaissance pour un truc que je n’étais pas ? Sans le cancer, je vivrais encore une vie qui n’était pas la mienne. » Le soir même, la jeune femme lâche tout – luxe, paillettes, et son bel amant argentin Rafael – et rentre à Toulouse se faire soigner à « Cancerland ».
De la beauté dans la brutalité Alors qu’elle livre un combat acharné contre un cancer avancé du système lymphatique, Marine de Nicola entame une profonde métamorphose physique et métaphysique. À commencer par sa chevelure adorée. Après avoir longtemps résisté, la jeune femme doit se résoudre à la raser. Un choc. « Pour la première fois de ma vie je me suis trouvée belle, alors que j’avais un physique repoussant. Ça a questionné ma perception de la beauté. » La perfection, jusqu’alors capitale dans sa vie, devient source d’ennui. Désormais, elle cherchera les trésors dans les aspérités.
© Tristan Haddad
Pour la jeune femme, c’est une libération. Elle se débarrasse enfin de l’image de bimbo, de fille populaire, qu’elle avait endossée depuis le lycée. « Même en Chine, je n’étais qu’un produit, un animal de foire. C’était gerbant. » Une moue de dégoût se dessine sur son visage jusque-là ouvert et souriant. « Le crâne à nu, je me suis sentie libérée de beaucoup de pression et je me suis approprié ce style brut, cru. Maintenant, je suis écoutée et regardée pour ce que je suis profondément, et c’est bien plus valorisant. »
En trois passages de rasoir, Marine de Nicola a aussi découvert le féminisme. « Toutes les femmes devraient se raser le crâne une fois dans leur vie pour prendre conscience du poids que la société accorde à la beauté physique, et s’en libérer. Je sais maintenant que je suis davantage que mon esthétique. La beauté est toujours essentielle pour moi, mais dans un sens très différent. »
En Chine, je n’étais qu’un produit, un animal de foire. C’était gerbant Aujourd’hui, Marine de Nicola a fait de sa définition de la beauté un principe de vie. Une vie dépouillée, authentique, brute, aux antipodes de ses années chinoises. « J’ai pris conscience que je n’ai pas besoin de confort, mais de progrès. Ma vie est beaucoup plus intense. Mais pas une intensité superficielle : fêtes, mecs, paillettes. Une intensité dans la simplicité des sentiments et la relation aux autres. » La jeune femme autrefois attirée par les plastiques parfaites est désormais magnétisée par « les personnalités qui ont un vécu, des choses à raconter, des idées particulières ». Et lorsque la Toulousaine, qui vit aujourd’hui une relation tumultueuse avec un bel acteur chinois, « tombe encore dans le panneau de l’esthétique, c’est en toute connaissance de cause ! ». Un style rugueux, sans fard, qu’elle adopte aussi lorsqu’il s’agit de raconter dans son livre ses aventures chinoises et les affres de la maladie. Le sexe, les larmes, le vomi. « Ce n’est pas confortable pour moi. L’histoire est crue, sans filtre, mais je n’avais pas envie d’y mettre les formes. Je ne voulais rien déguiser. Même si la réalité n’est pas esthétique, elle est belle parce qu’elle est vraie, authentique. » Si elle a l’air d’assumer son récit avec aplomb, elle commence pourtant à appréhender le regard du grand public. « En Chine, les critiques que je recevais ne me concernaient pas. J’étais MoMo, le produit de Liu. Aujourd’hui, je suis bien plus vulnérable, parce que je suis vraiment moi. »
De la vie après la mort Si la maladie l’a libérée et lui a permis d’amorcer un changement radical dans sa perception de la vie, la victoire de la jeune femme contre la tumeur, à l’issue de huit mois de chimio et de radiothérapie, l’a de nouveau bousculée. Comment reprendre le cours de son existence quand on en a déjà fait le deuil, et qu’on s’est évertuée à griller ses dernières cartouches avec panache ? « C’est comme une mauvaise blague. Quand on pense qu’on va mourir, on se fout de tout. On m’a d’ailleurs beaucoup reprochée d’être égoïste. On ne prend que le meilleur, ce qu’il y a de plus beau. Sauf que dans la vie normale, il n’y a pas que le meilleur, et c’est difficile de s’y résoudre. » Le retour à la « vie normale » est délicat. Malgré l’insistance de Monsieur Liu, hors de question pour la jeune Toulousaine d’endosser à nouveau le rôle de MoMo. « Après avoir palpé la mort, je ne pouvais plus tout reprendre comme si de rien n’était. J’ai déjà eu la sensation d’être passée à côté de ma vie. Aujourd’hui, je veux faire des choses profondes, qui ont du sens pour moi, transformer la violence que j’ai subie en quelque chose de beau. Je suis plus exigeante aussi. Ça me ferme des portes, mais celles qui s’ouvrent sont plus intéressantes. » Aujourd’hui installée à Paris, celle que son entourage décrit à l’unisson comme une pile électrique, aventurière, rêveuse et un peu perchée, se lance dans « des millions de projets » : musique, conférences, publication de son récit en Chine, d’un recueil de nouvelles érotiques et même d’un livre de développement personnel « atypique ». « Je teste toutes sortes de choses. Ça me plaît ou pas, mais je me trouve un peu plus chaque jour. Je ne me mets plus de barrières et je me sens plus libre. Parfois je suis encore perdue, je ne sais pas qui je suis, mais c’est finalement le lot de notre génération. On a tellement de possibilités, de libertés, qu’on ne sait plus où aller. »
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