« C’est la goutte de café qui fait déborder la tasse. » La colère est de mise chez les employés de Sauramps. François Huet, libraire depuis 22 ans au Triangle sur l’emblématique place de la Comédie à Montpellier et Julien Domergue, délégué syndical et employé à la réception des marchandises, ne cachent pas leur révolte. « Nous sommes menés par une équipe directionnelle qui n’a pas su s’adapter et a gâché le potentiel de l’entreprise. » À l’heure de fêter son 70e anniversaire, la librairie Sauramps, créée en 1957 par Henry Sauramps et reprise dans les années 1990 par trois salariés, Marie-Christine Wodizko, Jean-Luc Bonnet et Jean-Marie Sevestre, son actuel PDG, a été placée en redressement judiciaire depuis le 13 mars 2017.
Que s’est-il passé pour que le bateau coule ainsi à petits flots ? La crise économique, l’arrivée d’Amazon, l’avènement du livre numérique et la désertification des centres-villes ne suffisent pas à expliquer le fiasco. Il semble bien qu’il faille chercher les véritables raisons ailleurs. Car bon nombre de librairies indépendantes ont trouvé des parades à ces embûches. C’est le cas de la librairie Privat, à Toulouse. Quand Benoît Bougerol, PDG de La Maison Du Livre à Rodez, s’en porte acquéreur en 2013, l’historique librairie toulousaine est en piteux état.
On ne gère pas une librairie comme on gère une entreprise de savon
Propriété du groupe Chapitre, l’enseigne connaît de graves problèmes de gestion. Christine, libraire chez Privat depuis plus de 20 ans, se souvient : « Avec Chapitre, on avait l’impression qu’on tuait la vieille dame à petit feu ». À son arrivée, Benoit Bougerol identifie les problèmes de gestion (rayonnage, système informatique, etc.) comme les principaux ennemis de la rentabilité, et change tout, du sol au plafond. Chez Sauramps, on n’est pas loin de penser que c’est aussi la solution. Selon les responsables du personnel, les déficits successifs, principalement depuis 2008, sont largement dus à des problèmes de gestion. Julien Domergue nous rapporte par exemple que, depuis une dizaine d’années, il n’y a pratiquement pas eu d’investissement, ou de plan de restructuration concernant le réaménagement des rayons. « Les libraires et le personnel font beaucoup de suggestions concernant la mise en avant des produits mais ils ne sont pas écoutés. »
Livres et petits pois Or, comme on dit chez Sauramps : « On ne gère pas une librairie comme on gère une entreprise de savon », on dit chez Privat : « On ne gère pas le livre comme une boîte de petits pois ». Christine, de Privat, se souvient : « Les choix du groupe Chapitre n’étaient pas en lien avec la gestion d’une librairie. C’est à se demander s’ils étaient du métier ». Chez Privat, l’arrivée de Benoît Bougerol a été vécue comme une véritable bénédiction, tant la réputation de l’homme plaidait en sa faveur : « Grâce à sa connaissance du milieu et à son réseau, il a rendu à Privat son identité de librairie traditionnelle, en réorganisant les surfaces, en investissant et en redonnant à chacun son rôle de libraire. »
Rien d’étonnant, dès lors, de voir apparaître parmi les repreneurs potentiels de Sauramps, le patron de la librairie toulousaine. Dans sa première offre de rachat, avant le placement en redressement judiciaire le 13 mars dernier, il avait pointé du doigt 370 000 € d’économies potentielles, alors que le déficit annuel du groupe était inférieur à 60 000 €. Mais contre toute attente, son offre avait été écartée par la plupart des actionnaires, au profit de celle de Matthieu de Montchalin, PDG de l’Armitière à Rouen. Finalement, le président du tribunal a jugé le dossier du libraire rouennais trop léger financièrement, et le groupe Sauramps, qui compte 140 salariés, est toujours à vendre. Plusieurs repreneurs devraient présenter une nouvelle offre, dont Benoît Bougerol, qui préfère garder le silence, tout comme la direction de Sauramps. Affaire à suivre dans les prochaines semaines.
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